Féru de toponymie, président de la Société française d’onomastique, Stéphane Gendron publie C’est du pipeau ! chez Actes Sud. En nous détaillant avec allégresse le jargon de la musique et des musiciens, il nous révèle toute l’étendue du vocabulaire et des expressions liées à cet art qui innervent et colorent la langue française.
En 1892, Émile Gouget fit éditer L’Argot musical. Curiosités anecdotiques et philologiques qui demeure une première et incontournable référence. Il fallut ensuite attendre un siècle pour que paraisse L’Argot des musiciens, pareillement décliné sous forme de dictionnaire, établi par Didier Roussin, Madeleine Juteau et Alain Bouchaux. Peu auparavant, Jean-Paul Levet s’était penché de manière plus circonscrite sur Le langage du Blues et du Jazz. Le nouvel ouvrage de Stéphane Gendron nous propose quant à lui une large et heureuse synthèse sur le sociolecte particulièrement productif fleurissant chez les musiciens.
Chaque couche de population possède un jargon qui lui est propre, appelé communément argot ou langue verte. Et dans tout métier, les termes techniques se voient détournés pour fournir une ribambelle de tournures singulières. Souvent perçu comme anecdotique, voire futile, ce langage recèle pourtant une insondable richesse sémantique. D’autant que le jargon musical, usant de quantité de locutions que nous employons quotidiennement, à l’oral comme à l’écrit, emprunte à quantité d’autres domaines comme la religion, l’armée, le théâtre et – plus récemment – au sport.
Une espiègle tradition corporatiste
« Nous sommes allés puiser en partie nos sources en recueillant mots et expressions du jargon auprès de musiciens, lors de discussions, de répétitions, comme le collectionneur discret muni d’un petit carnet d’enquête. Beaucoup d’éléments de langage peuvent être saisis dans la spontanéité, n’étant d’ailleurs pas nécessairement perçus comme des écarts par rapport à une norme langagière. » Si l’auteur apporte ainsi une appréciable contribution à l’étude de l’oralité, il s’appuie parallèlement sur moult passages extraits de la presse ou d’œuvres littéraires. Au fil des pages, il évoque non seulement des plumes célèbres : Rabelais, Molière, Vidocq, Zola, Sand, Gautier, Flaubert, Wilde, Proust, Giono, Vian, Cocteau, … mais aussi – pour le contentement des curieux – des écrivains aujourd’hui tombé dans l’oubli, tels Charles Coypeau d’Assoucy, Fortuné du Boisgobey ou Henry de Pène.
Stéphane Gendron ne dissimule pas ce qu’il doit à l’indispensable compilation de Gouget, qu’il mentionne en abondance, qu’il complète et prolonge, intégrant les vocables apparus concomitamment aux nouveaux styles artistiques du XXe siècle. « Les foyers les plus créatifs et les plus vivaces se sont formés dans les villes qui ont connu des formes d’expression musicale très à la mode : le musette, le jazz, le rock, la chanson de variété. » S’il reconnaît l’importante créativité langagière du rap, il ne s’y aventure guère.
Comment la scie devint saucisson avant de se transformer en tube
Evitant la sécheresse et la monotonie d’une présentation alphabétique des termes, l’auteur a opté pour un regroupement en divisions thématiques explorant chaque famille d’instruments (cordes, vents, percussions), les différents modes de jeu et enfin les praticiens eux-mêmes. Rédigées avec soin, précision et compétence, les notices mêlent étymologie, histoire, organologie, etc. actualisant au besoin les connaissances sur le sujet. Il agrémente son propos de réflexions érudites et d’anecdotes cocasses, tout en explicitant par quel mécanisme telle ou telle tournure est devenue coutumière ou proverbiale. L’accumulation et la densité des informations finissent par donner le vertige au lecteur le plus appliqué. Rien n’empêche alors de butiner dans les chapitres selon son humeur pour goûter à loisir la saveur trempée des citations et profiter d’une divertissante et instructive récréation.
Violon, flûte, piano et accordéon bénéficient presque naturellement de sections développées par rapport au court paragraphe traitant du basson. Tous les instruments sont passés en revue jusqu’à la musette, la guimbarde et l’harmonica avant de laisser place aux chanteurs, chefs d’orchestre, interprètes et autres routiniers. Nous nous familiarisons avec nombre de formules désuètes (faire trombone : mettre la main à la poche comme pour payer et ne pas l’en sortir), apprenons que le composé grec xylophone a détrôné le poétique claquebois et nous étonnons que la populaire partoche ne soit pas encore entrée dans Le Petit Robert qui a déjà accepté variétoche.
L’inventivité débordante de l’argot musical témoigne d’un sens de l’humour et de la grivoiserie toujours vivant et d’une ironie pleine de pétillance et d’esprit. Divers exemples érotico-burlesques égayent plaisamment les pages de ce livre. « Il est d’ailleurs bien difficile de restituer à l’écrit tout ce qui relève du contexte, ce qui donne son efficacité et sa pertinence – autrement dit son sel et son intelligence – aux mots et expressions employés. » Respectant le canon académique, les annexes proposent une abondante bibliographie et un classement méthodique du vocabulaire exploré. Agrémenté d’illustrations judicieusement choisies, C’est du pipeau enchantera autant les amoureux de la langue que les mélomanes confirmés.
À lire :
- Stéphane Gendron, C’est du pipeau, le jargon de la musique et des musiciens, Actes Sud, 2025.
- Émile Gouget, L’Argot musical. Curiosités anecdotiques et philologiques, Fishbacher, 1892.
- Jean-Paul Levet, Talkin’ That Talk : Le langage du Blues et du Jazz, Soul Bag, 1986.
- Didier Roussin, Madeleine Juteau, Alain Bouchaux, L’Argot des musiciens, Climats, 1992.
- Revue Argotica n°7 : L’Argot de la musique et des musiciens, 2019.

La 29e édition du Festival International Albert-Roussel propose une série de manifestations (concerts, conférences, exposition) qui s’échelonneront du 13 septembre au 13 décembre dans les Hauts-de-France et en Belgique. Les incontournables Ravel, Roussel, Debussy, Franck voisineront avec des compositeurs rarement programmés comme Geloso, Castéra, Labey, Pineau ou Sérieyx. Légende du violon mondialement appréciée mais rarement programmée en France, Gérard Poulet figure en attraction majeure. Parmi les artistes invités, mentionnons Diane Andersen, Damien Top, Vincent Martinet (lauréat des Etoiles du piano 2024), Katia Krivokochenko, Miren Adouani, Yun-Yang Lee, Jessica Dahmani, etc. Une exposition sera consacrée à Madelaine Osmont, peintre et céramiste. Compositrice en résidence lors du festival de cette année, Pierrette Mari sera mise à l’honneur lors du concert de clôture.
L’entrée est libre sur réservation pour les lecteurs de Politique Magazine.
Le programme est disponible sur le site : https ://ciar.e-monsite.com
Renseignements/Réservations :
09 53 63 32 08 et albertroussel@free.fr