L’afflux massif d’immigrés musulmans en Allemagne a profondément déséquilibré la vie politique et va influer pendant des générations sur la démographie, et donc la société. Sous un prétexte humanitaire, c’est en fait une révolution étatique qui a eu lieu, au détriment du peuple allemand.
Été 2015 : les médias allemands sont inondés d’images de jeunes filles issues de milieux aisés s’extasiant comme lors d’un concert pop et lançant des ours en peluche sur des centaines de jeunes hommes syriens débarquant des trains. Que s’est-il passé ? Angela Merkel vient de décider, sans consultation du peuple ou de son gouvernement, d’ouvrir les frontières pour accueillir sans contrôle préalable des réfugiés venant de tout le Moyen-Orient suite à la guerre de Syrie. Depuis lors, ce qui a commencé comme un spectacle hystérique a profondément transformé l’Allemagne et a mené le pays, ainsi que tout le continent, un peu plus vers une implosion politique et sociale.
En effet, il y a dix ans, lorsque la guerre civile syrienne a déraciné des centaines de milliers de personnes et les a contraintes à l’émigration, la chancelière allemande Angela Merkel a pris la décision, pour des raisons qui restent obscures à ce jour et le resteront probablement toujours, d’ouvrir largement les frontières allemandes à tous les réfugiés et d’ignorer si ceux-ci avaient déjà déposé (ou non) une première demande d’asile dans un autre pays européen. Pire encore : Angela Merkel et la presse allemande, largement dominée par la chancelière, ont diffusé dans le monde entier des images destinées à faire connaître les lanceuses de nounours et la Willkommenskultur (« culture de l’accueil ») allemande jusque dans le plus petit village afghan, exerçant de plus, via l’Union Européenne, une pression politique considérable sur tous les pays européens voisins pour qu’ils fassent de même et ouvrent largement leurs frontières extérieures aux millions de réfugiés massés aux portes de l’Europe.
Des conséquences pour cent ans
Cette décision désastreuse a non seulement réduit à néant les réglementations européennes existantes, notamment les accords de Dublin (2003), mais elle a également soumis l’UE à une épreuve dont elle ne s’est pas encore remise et qui a entraîné la sortie du Royaume-Uni et l’opposition de Viktor Orbán. Surtout, l’ouverture des frontières par Merkel a eu pour effet que les réfugiés syriens ont été rejoints par d’innombrables migrants économiques venus du monde musulman tout entier, du Maroc à l’Afghanistan, et que l’Allemagne a été littéralement submergée par les demandeurs d’asile, sans parler de la profonde division politique de la population face à ces événements. Rien qu’en 2015, plus d’un million de nouveaux réfugiés ont été enregistrés en Allemagne, et, depuis, ce chiffre a triplé, le nombre réel étant probablement plus élevé encore. Au cours de cette même période, pas moins d’un million et demi de personnes ont obtenu la nationalité allemande, dont 292 000 rien que l’année dernière. Ces chiffres bruts cachent une véritable révolution politique et démographique qui pèsera sur la République fédérale pendant des générations, et aucune solution aux problèmes ainsi créés n’est en vue, ni même envisageable compte tenu de l’ampleur de la situation. D’une certaine manière, pour parler cyniquement, il s’agit même d’une sorte de « normalisation » européenne de la situation migratoire en Allemagne, qui a enfin permis à de nombreux citoyens allemands de comprendre ce que les patriotes français dénonçaient déjà depuis des décennies.
En effet, jusqu’en 2015, la grande majorité des personnes issues de l’immigration non européenne résidant en Allemagne provenaient de Turquie et se réclamaient (tout en restant attachées à leur pays d’origine) du kémalisme ou de variantes plutôt libérales de l’islam, ce qui facilitait grandement leur intégration dans la République fédérale. Cependant, les nouveaux arrivants qui ont afflué dans le pays depuis 2015 – ou plutôt qui y ont été invités – ne proviennent pas uniquement de Syrie, pays en proie à la guerre civile, mais aussi de nombreux autres pays musulmans ayant des conceptions beaucoup plus traditionalistes, voire archaïques, de la foi, de l’honneur, de l’identité et de la famille. De plus, contrairement aux générations précédentes, ces nouveaux-venus ne sont pas arrivés en Allemagne dans le cadre de contrats de travail, mais par la voie d’une migration humanitaire, ce qui représente un coût élevé pour l’État social allemand, déjà fortement sollicité par le vieillissement de la population et la désindustrialisation ciblée du pays. En fin de compte, depuis 2015, l’Allemagne n’a fait que s’aligner sur la situation de pays voisins comme la France ou la Belgique, où la migration de masse est depuis longtemps considérée comme une expérience largement ratée, du moins sur le plan économique et civilisationnel, et où la pratique religieuse de la majorité des demandeurs d’asile ou des nouveaux citoyens correspond davantage au modèle traditionaliste et conservateur de l’islam maghrébin ou centre-asiatique qu’à celui de l’islam turc.
Mais quelles sont les conséquences de cette triste « normalisation » imposée par Angela Merkel ? Les suites immédiates ont été si souvent soulignées qu’il n’est guère nécessaire de les développer davantag : augmentation de la criminalité, terrorisme, pression sur l’État social, fragmentation culturelle de la cohésion sociale, mise à rude épreuve du système éducatif, et bien d’autres encore. Il convient également de prendre en considération les conséquences politico-démographiques à long terme : dans un pays où la génération des grands-parents n’a généralement eu qu’un ou deux enfants par famille, les personnes âgées seront très bientôt beaucoup plus nombreuses que les jeunes, avec toutes les conséquences que cela implique pour le système de retraite et de santé. Dans une telle situation, le fait de marginaliser encore davantage les jeunes générations déjà fortement sollicitées par l’importation de millions de « jeunes hommes » accompagnés de leurs familles nombreuses est susceptible d’aggraver encore le risque de tensions sociales. C’est d’autant plus préoccupant que la gestion extrêmement libérale de la naturalisation crée actuellement un « fait accompli » politique qui risque de creuser un fossé profond entre les anciens et les nouveaux citoyens dont les intérêts collectifs sont totalement différents.
Vers des partis musulmans ?
Si l’intention d’Angela Merkel et de ses partisans était d’affaiblir la cohésion culturelle et sociale de l’Allemagne afin de « diviser pour mieux régner », leur calcul a pour l’instant porté ses fruits, mais les conséquences à long terme pourraient bien sonner le glas des grands Volksparteien (« partis populaires ») allemands de centre gauche et centre droit tels qu’ils existent encore aujourd’hui. Il est en effet évident que le paysage politique allemand va s’aligner sur celui de la France (où le binôme socialisme-gaullisme s’est effondré depuis quelques années déjà) et sera dominé à long terme par trois pôles de plus en plus radicaux, tandis que le centre modéré, correspondant à la « Macronie », devrait disparaître avec la génération des baby-boomers. Les seuls survivants seront ainsi la droite patriotique, l’écolo-gauchisme et, à terme, l’islam. En effet, si les nouveaux citoyens constituent pour l’instant un électorat important pour la gauche politique et que chaque nouveau citoyen musulman représente une voix potentielle pour les post-communistes, les écolos ou les socialistes, l’idéologie woke pèse lourdement sur cette relation, notamment en matière de famille, de religion ou d’identité ; un fardeau qui deviendra un problème au plus tard lorsque cette divergence idéologique ne pourra plus être compensée par une redistribution correspondante des prestations sociales en raison du déclin économique général de l’économie allemande. Cela ne signifie pas nécessairement que des partis musulmans distincts seront créés, mais il faut considérer comme acquis que des structures ethnoculturelles parallèles, même si elles se situent en dehors du système parlementaire, exerceront une influence profonde sur les décisions politiques et que les intérêts particuliers des musulmans, même sans partis politiques propres, façonneront de plus en plus la législation et la vie quotidienne.
Identitaire mais trop tard
À la suite de l’ouverture des frontières décidée par Angela Merkel, la droite patriotique a également connu une évolution significative, qui aurait été impensable auparavant et qui est loin d’être achevée. À l’exception de quelques partis minoritaires sans intérêt, se positionner « à droite » de la CDU démocrate-chrétienne signifiait pendant longtemps un libertarisme économique centré sur le Deutsche Mark, derrière lequel se cachait l’espoir que la main invisible du marché réglerait en fin de compte toutes les questions existentielles importantes et, surtout, dispenserait les Allemands de rouvrir la boîte de Pandore de l’identité nationale – une position qui a également caractérisé les débuts de l’AfD. L’ouverture des frontières de 2015 a profondément modifié cette orientation et a transformé un parti libéral en un parti plutôt identitaire, comme d’ailleurs partout en Europe occidentale où la migration de masse, la paupérisation et le wokisme ont conduit à un remaniement politique de la droite, qui met de plus en plus l’accent sur des motivations civilisationnelles dans la définition de ce qui est « nous » et de ce qui est « eux ».
Reste à savoir si ce retour à ce qui est véritablement « nôtre » au sens de l’identité culturelle collective, et pas seulement du solde bancaire individuel, n’arrive pas trop tard historiquement et ne servira, au mieux, qu’à livrer sur un terrain encore plus défavorable des batailles perdues sans combat il y a de nombreuses années. Il ne fait toutefois aucun doute que les problèmes ainsi esquissés ont pénétré la conscience collective et auront des conséquences politiques importantes.
Au final, il ne reste que le constat amer que l’ouverture des frontières de 2015 était bien plus qu’un simple acte administratif ou un geste humanitaire : elle a marqué un tournant profond dans l’histoire de la République fédérale, une rupture avec la conception précédente de l’affirmation nationale, de la solidarité européenne et de la rationalité politique. Ce qui a été décidé à l’époque dans un mélange d’exubérance moraliste, de calcul stratégique à court terme et d’utopies politiques glaçantes apparaît aujourd’hui comme un bouleversement tectonique dont les véritables dimensions ne se révèlent que progressivement. Contre toute attente, l’Allemagne aura-t-elle encore la force de contrôler politiquement cette évolution ou, à l’instar d’autres pays d’Europe occidentale, se perdra-t-elle dans une spirale de tensions ethnoculturelles croissantes, de difficultés économiques, de totalitarisme bien-pensant et de radicalisation politique ? Telle est la question cruciale qui se posera au cours des prochaines décennies. Une seule chose semble certaine : il n’y aura pas de retour au prétendu « bon vieux temps » d’avant 2015. La République fédérale est entrée dans une nouvelle ère de son histoire, beaucoup plus conflictuelle, et ne sera plus jamais comme avant.
Illustration : Un selfie avec « Mutti » et ses nouveaux enfants.