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FREDERICUS REX ?

Friedrich Merz dirige l’Allemagne, c’est-à-dire qu’il est l’otage des Verts qui ne sont pas au gouvernement mais auxquels il a réussi à arracher le droit de dépenser sans compter. Réussira-t-il à gouverner malgré ses “alliés” et contre l’AfD, aux ordres des Américains et malgré les vœux des Allemands ?

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FREDERICUS REX ?

Chancelier depuis mars dernier, Friedrich Merz est dans l’ensemble bien accueilli par la plupart des dirigeants européens et occidentaux, après les incertitudes et divisions croissantes de la coalition « feu tricolore ». Pourtant, son élection comme chancelier au Bundestag a nécessité deux tours de scrutin, pour la première fois dans l’histoire de la RFA. Et le tract électoral de la coalition entre chrétiens-démocrates et socialistes pour les élections du mois de décembre dernier comprenait tous les poncifs habituels : digitalisation, simplification, accélération des administrations et des procédures. Ceci dit, si tout cela est effectivement réalisé, cela pourrait être très positif dans un pays devenu hyper-régulé.

Mais le contrat-programme de la nouvelle coalition (144 pages !) révèle dès le départ un certain nombre de divergences qui pourraient, dans une situation budgétaire et économique contrainte, devenir des contradictions. Les chrétiens démocrates ont certes obtenu un amortissement annuel des investissements de 30 % pour les entreprises, de 2025 à 2027, puis une baisse de l’impôts sur les sociétés, actuellement de 15 %, de 1 % par an à à partir de 2028, jusqu’à 10 % (j’espère que les entrepreneurs français qui me lisent ne vont pas se jeter par la fenêtre…).

En revanche la SPD a maintenu une évolution de la fiscalité plus favorable pour les revenus faibles et moyens, alors que les hauts revenus restent très taxés. Cependant les deux partenaires sont tombés d’accord pour décider un durcissement de la politique des minimas sociaux, très laxiste sous Scholz. Néanmoins l’ensemble, moins décisif que ne l’aurait souhaité Merz (qui a passé 20 ans dans le secteur privé) pourrait permettre un redressement économique dans un pays qui possède malgré tout d’immenses possibilités industrielles (dont un parc de robots dans ses usines sept à huit fois supérieur au nôtre).

Seulement, CDU et SPD ont dû faire des concessions aux Verts, pourtant absents de la nouvelle coalition : l’objectif de la neutralité carbone en 2045 est maintenu, alors qu’il peut suffire à faire capoter tout le reste, et dans les 500 milliards d’investissements prévus pour les infrastructures, 100 seront consacrés à la défense du climat. On notera que par un tour de passe-passe cela a été voté le 18 mars, avant la réunion du nouveau Bundestag, car il fallait une modification de la constitution pour autoriser un déficit budgétaire dépassant 1 %, que l’on n’aurait eu aucune chance d’obtenir avec la nouvelle assemblée (mais pour cela on avait besoin des voix des Verts, qui ont imposé leurs conditions).

Ceci dit, beaucoup d’experts pensent que cela servira surtout à financer des projets déjà lancés, et pas forcément des projets vraiment nouveaux. Avec tous les jeux d’écriture que permet une organisation très complexe entre Berlin et les Länder. En ce qui concerne les dépenses concernant la défense, elles seront également admissibles au-delà de la règle d’or budgétaire (pas plus de 1 % de déficit). Mais si la firme Rheinmetall profitera certainement de la manne budgétaire, cela ne suffira pas à restaurer une véritable armée. Beaucoup d’autres questions se posent, y compris la réactivation du service militaire.

Et l’immigration ?

De nombreux experts et beaucoup d’électeurs de la CDU-CSU pensent que le résultat sera moins d’augmenter les investissements productifs que de se dégager de la discipline budgétaire respectée depuis les années 1980, et qui a valeur de dogme pour beaucoup d’Allemands (dogme nourri par l’Histoire et par le souvenir de la terrible inflation de 1923). Et de permettre de poursuivre en fait le programme social-démocrate (ou même Vert). Notons au passage que l’accroissement de l’endettement allemand contribuera à la montée des taux d’intérêt et que les Français en seront les premiers touchés.

Le deuxième grand sujet sur lequel les électeurs de la CDU attendent le nouveau gouvernement, c’est l’immigration. Le programme de la coalition comporte de fait une série de restrictions sur les aides financières aux migrants et le chancelier Merz a immédiatement fait interdire l’accès du territoire allemand aux sans-papiers. Mais la SPD n’est pas d’accord, cette mesure pose beaucoup de problèmes juridiques au niveau allemand et européen et à mon avis elle ne durera pas longtemps telle quelle.

L’électorat CDU-CSU risque donc d’être déçu, tandis que la SPD, malgré son plus mauvais score depuis sa création, continue à contrôler largement le jeu. Beaucoup d’électeurs de droite s’en irritent, et certains auraient préféré un rapprochement avec l’AfD, qui a obtenu son meilleur score et dont les sondages montrent qu’elle pourrait profiter de la déception ressentie par certains électeurs CDU-CSU. Mais l’AfD est soumise à une forte pression : son groupe parlementaire n’a obtenu aucun poste de responsabilité dans le nouveau Bundestag, elle y est en fait ostracisée, tandis qu’une campagne a commencé pour l’interdire. Il n’est pas du tout sûr que cette campagne aboutira, contre un parti qui a obtenu 20,8 % des suffrages aux dernières élections et que les sondages situent actuellement autour de 24 %… Il reste que les dirigeants de la CDU sont sensibles à la pression exercée par les partis de gauche, les sommant constamment de se distancier de l’AfD, et poussant ainsi les responsables chrétiens-démocrates plus à gauche que leur électorat. Et le contrat de coalition comporte tout un paragraphe « contre la désinformation » qui justifie en fait toutes sortes de mesures possibles contre la liberté d’expression.

Repenser l’UE

La politique économique et intérieure du nouveau chancelier promet donc d’être très difficile, plus sans doute que ne le pensent beaucoup de commentateurs. En politique extérieure, en revanche, il a pris très vite ses marques, affichant un soutien à l’Ukraine bien plus ferme que celui de son prédécesseur, passant en revue une nouvelle brigade blindée de la Bundeswehr stationnée en permanence en Lituanie, s’entendant dire des choses aimables part le président Trump à la Maison Blanche, affichant une volonté de coopération étroite avec Paris, y compris pour les questions stratégiques.

Mais en fait, c’est l’OTAN qui reste l’horizon de la politique de défense allemande, et la volonté d’y voir la RFA y jouer un rôle primordial. Quant à l’Union européenne, les milieux qui réfléchissent à ces questions conviennent qu’elle avait été conçue à l’époque heureuse du triomphe de la démocratie libérale et de l’économie de marché. Or on n’en est plus là : avec le retour des conflits, économiques et militaires, et la montée des adversaires de la démocratie libérale un peu partout, il faut tout reprendre à la base. Le gouvernement allemand ne l’exprime pas publiquement, mais à mon avis il n’en pense pas moins. Comme l’a écrit récemment un historien et politologue très admiré des milieux conservateurs (et d’ailleurs excellent), Herfried Münkler, la RFA jouera dans la réforme nécessaire de l’Union « le rôle d’un primus inter pares, mais bien d’un primus ». (La puissance en reconstruction : le rôle de l’Allemagne en Europe et les défis du XXIe siècle).

Ceci dit, l’opinion allemande adhère-t-elle ? Un groupe des responsables de la SPD viennent de publier un Manifeste violent contre l’engagement de Merz en Ukraine. En dehors des Verts, et dans une certaine mesure de la CDU, les partis allemands se montrent en fait prudents, voire hostiles à l’aide accrue à l’Ukraine. Celle-ci comporte d’ailleurs des dangers : Merz hésite encore à fournir des missiles Taurus (500 km de portée) car ils nécessiteraient la présence d’effectifs allemands considérables sur place, c’est-à-dire une forme de cobelligérance qui pourrait se révéler dangereuse.

Comme en outre les crises se multiplient, du Moyen-Orient au commerce international, il n’est pas sûr que la RFA et le gouvernement Merz ne se retrouvent pas dépassés et en situation d’échec. En revanche s’ils réussissaient, de l’économie à la relance de l’Union européenne selon la vision de Berlin, cela pourrait bien nous poser des problèmes !

 

Illustration : l’Union européenne est visiblement peinte aux couleurs allemandes.

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