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La Bretagne, un séparatisme nuancé

Alors que la France traverse une crise de confiance, de gouvernance et d’efficacité territoriale, certaines régions comme la Bretagne expriment plus fortement leur besoin de reconnaissance et d’autonomie. Faut-il y voir les prémisses d’un séparatisme ? Ou le signal d’un nécessaire aggiornamento républicain ?

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La Bretagne, un séparatisme nuancé

C’est dans un contexte de tensions particulièrement accrues avec l’Algérie que le séparatisme breton s’est à nouveau réinvité dans le champ politique français. Le 10 mai 2025, la deuxième chaîne de télévision publique algérienne (ENTV) a consacré un reportage sur le sujet, amputant la carte de la France de sa partie armoricaine ornée d’un Gwenn ha Du (drapeau breton composé de neuf bandes horizontales noires et blanches d’égales largeurs parsemé de onze mouchetures d’hermine), n’hésitant pas à donner la parole à Erwan Pradier. Leader du (néo) Parti National Breton (PNB), un mouvement indépendantiste d’extrême-droite, un tantinet monarchiste, ce dernier n’a pas hésité à dénoncer la violente annexion unilatérale de « son pays » par une politique de répression et d’effacement culturel initiée par la France.

Avec une économie incertaine, une société fragmentée qui pourrait basculer à tout moment dans la guerre civile, une inflation majeure, une classe politique déconnectée des réalités, un pays menacé d’être mis sous tutelle du FMI, les inégalités territoriales qui se creusent, la défiance envers les institutions n’a jamais été aussi haute. Ce climat instable n’est pas sans conséquences : il ranime des aspirations locales parfois oubliées et l’on assiste à un regain d’intérêt pour l’autonomie régionale et une résurgence des mouvements indépendantistes.

Si la Bretagne ne fait pas partie des territoires les plus sinistrés économiquement – elle reste l’une des plus dynamiques de France –, elle n’échappe pas à cette impression d’être ignorée, reléguée à un rôle secondaire dans les grandes décisions nationales. Ce sentiment d’oubli est d’autant plus fort que la Bretagne porte une identité régionale forte. Royaume, elle est devenue au fils des années un duché, objet de fortes convoitises de la part des Capétiens, indépendant jusqu’en 1532 et qui a su rivaliser avec la France voisine. Son rattachement au royaume de France demeure controversé et divise encore bon nombre d’historiens. Une Bretagne qui a marqué de son empreinte l’histoire de France notamment durant la Révolution française où elle a fermement rejeté la République.

40  % de Bretons se disent plus bretons que français

Terre de revendications depuis des siècles, elle possède sa langue, son drapeau, ses traditions. Elle a sa littérature, sa musique, sa toponymie, sa mémoire populaire. Depuis les années 1970, un renouveau culturel breton s’est affirmé, avec les écoles Diwan, les radios locales, les festivals, les médias militants. Mais cette renaissance, aujourd’hui, dépasse la seule sphère culturelle. Elle se teinte de revendications politiques : demande de compétences accrues en matière d’enseignement, de fiscalité locale, de gestion du littoral, de transport, d’agriculture, de politique énergétique. En somme, une volonté d’adapter les politiques publiques aux réalités régionales.

L’idée d’indépendantisme breton n’est pas nouvelle. Elle prend ses racines au début du XXe siècle (notamment avec l’Union régionaliste bretonne du marquis de L’Estourbeillon de La Garnach) et connaît son essor durant l’entre-deux guerres. Le journal Breizh Atao ne cache pas le but des régionalistes, celui de rendre sa pleine autonomie à la Bretagne. Divisé idéologiquement et fragilisé par des échecs politiques, les plus radicaux des nationalistes vont se regrouper au sein d’un Parti National Breton sensibles aux théories allemandes et au druidisme. Entre combats de rues (notamment avec les camelots du roi de l’Action française) et attentats (comme celui de 1932 où la statue représentant Anne de Bretagne à genoux devant le roi de France sera plastiquée), les membres du PNB vont vainement tenter de convaincre Berlin de leur accorder l’indépendance d’une Bretagne amputée de sa Loire-Atlantique par décision du Maréchal Pétain (1941).

Décapité à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le nationalisme breton va connaître plusieurs renaissances. Stimulé par l’irrédentisme irlandais avec lequel il partage la même fibre celtique, le Front de libération de la Bretagne (FLB) va commettre de nombreux attentats entre 1966 et 1981 contre les représentations de « l’État français » en Bretagne. Quatre ans plus tard, son successeur, l’Armée révolutionnaire bretonne (ARB), reprendra les activités du FLB jusqu’en 2000. Si quelques incidents persistent encore aujourd’hui, les activités de ces groupes radicaux sont devenues marginales, sans jamais bénéficier d’un soutien massif de la part des Bretons dont les combats ont été principalement centrés sur la cause sociale, agricole et écologique.

« Une petite portion est à l’aise avec le régionalisme, mais davantage sur un aspect folklorique que par un réel engagement autonomiste. On a tout de même 40  % de Bretons qui se disent plus bretons que français, contre 20  % il y a trente ans », résume à ce propos Benjamin Morel, maître de conférences à l’université Paris Panthéon-Assas. « Parmi ceux acquis au régionalisme, certains rejettent des méthodes violentes, les considérant comme un échec ; d’autres, au contraire, tombent dans le romantisme de la résistance du peuple breton face à l’impérialisme français », ajoute l’auteur de La France en miettes – Régionalismes, l’autre séparatisme, lors d’une interview au magazine Le Point (2023). La demande de réunification de la Loire-Atlantique au reste de la Bretagne (plus que majoritaire chez les Bretons) a redonné du souffle à l’idée indépendantiste accentuée par la crise que traverse la France et à laquelle est sensible la jeune génération bretonne en quête de repères et d’identité. Selon un sondage Ifop daté de 2013, 18 % des Bretons souhaitent l’indépendance de la Bretagne. Le taux est quasiment doublé par deux chez les 18-34 ans avec 33 % d’adhésion à ce désir d’émancipation.

« Je suis Breton, j’ai le droit »

Dans ce contexte, les exemples catalan, écossais ou flamand sont scrutés avec attention. L’Europe des régions est souvent brandie comme un contre-modèle au jacobinisme français. Certains élus bretons rêvent d’une Bretagne autonome dans une Europe fédérale, disposant de son propre Parlement, de sa propre stratégie de développement, de sa propre politique linguistique. Il serait exagéré de parler aujourd’hui d’un véritable projet de sécession en Bretagne. Toujours aussi divisées, les formations indépendantistes (comme l’Union Démocratique Bretonne) ne recueillent qu’une faible part des suffrages. En réalité, la majorité des Bretons, attachés à la République, souhaitent un ancrage régional plus fort, mais pas une rupture.

Ce que l’on observe, en revanche, c’est une forme de séparatisme passif, un éloignement progressif de la centralité républicaine : on parle breton, on consomme local, on enseigne une histoire alternative à l’histoire nationale, on revendique une citoyenneté bretonne symbolique (comme lors des campagnes « Je suis Breton, j’ai le droit »). Et surtout, on fait entendre une voix qui dit : « Nous voulons être respectés en tant que territoire à part entière, et non comme une simple province périphérique. »

Face à cette situation, deux options se présentent : ignorer ces signaux et risquer une rupture à long terme ; ou bien écouter, comprendre, dialoguer. La Bretagne ne demande pas l’indépendance, elle demande de l’attention, du respect, et de la liberté dans le cadre national. En somme, une autonomie d’action, sans autonomie de séparation. Le moment est donc peut-être venu de repenser le pacte national. Non pas en l’affaiblissant, mais en le renouvelant. Une nation moderne ne devrait pas ignorer les diversités régionales qui ont contribué à écrire son histoire. Elle devrait les intégrer, les protéger, les valoriser. Accorder davantage de compétences aux régions, reconnaître les langues régionales, permettre des expérimentations locales, ce n’est pas trahir la France : c’est la faire respirer.

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