Attaquer les bombardiers nucléaires russes est-il un aussi bon calcul politique qu’une opération de communication réussie ?
L’opération « Toile d’araignée », consistant à bombarder des bases stratégiques russes jusqu’à Irkoutsk, dans la lointaine Sibérie orientale, a demandé un an et demi de préparation minutieuse et s’est déroulée sans incident. C’est un exploit digne d’éloges du point de vue militaire, qui restera sans doute dans les annales, au même titre que l’opération du fameux commando russe passant par un gazoduc abandonné. En revanche, d’un point de vue politique, c’est une catastrophe si l’on se range du côté ukrainien, pour deux raisons.
D’abord, il est impossible que la localisation des bases de bombardiers nucléaires russes ait pu se faire sans la complicité de l’OTAN : en effet, le fait que ces bombardiers se trouvaient à découvert entrait dans la logique des accords de transparence sur les armes nucléaires (traité New Start) : les Russes sont engagés à montrer leurs bombardiers aux satellites américains, de même que les Américains sont engagés à exposer les leurs à la vue des Russes. Imaginons donc qu’un pays ami des Russes ait pu localiser des avions américains et les ait bombardés, que dirions-nous ? Que les Russes n’auraient pas respecté nos engagements mutuels en profitant de la vulnérabilité induite par cette transparence. Aujourd’hui, après cette attaque, les Russes sont en droit d’en conclure que nous avons rendu caduc l’accord bilatéral sur les bombardiers stratégiques.
La deuxième raison tient à ce que le bombardement s’est produit au moment même où des pourparlers se tiennent entre les parties adverses à Istanbul. Il faut vraiment n’avoir eu qu’une expérience professionnelle de saltimbanque pour ne pas deviner que cette opération militaire en profondeur (jusqu’à Irkoutsk !) est de nature à parasiter les conversations. Ou alors M. Zelensky pensait-il que l’exploit de ses soldats réduirait à néant la capacité nucléaire russe ? On n’ose imaginer une telle illusion.
En retournant notre réflexion dans tous les sens, on peut, soit conclure que le chef de l’Ukraine est fou – car après tout, il y en a au moins un autre dans le camp occidental –, soit qu’il est tombé dans un piège tendu par MM. Trump et Poutine. L’expérience que nous avons de M. Poutine, depuis vingt-cinq ans qu’il gouverne, permet d’espérer qu’il ne se laissera pas conduire par le bout du nez vers une guerre mondiale. En revanche, le jusqu’au-boutisme du chef de l’Ukraine peut servir d’argument à M. Trump pour le laisser tomber.