C’est une histoire de zombies, certes. Mais pas seulement. Dans ce roman aussi haletant que politique, l’apocalypse surgit d’un laboratoire secret : une souris contaminée s’échappe de l’Institut de l’immortalité fonctionnelle, temple de la science au service d’un régime qui rêve d’éternité. Son objectif ? Prolonger la vie de Vladimir Poutine. Mais au lieu d’un élixir de jeunesse, c’est une pandémie incontrôlable qui déferle sur Moscou, transformant ses habitants en créatures à demi aveugles, mais capables de courir, flairer et surtout, traquer.
Bienvenue dans un Moscou en ruines, théâtre d’une dystopie aussi délirante que lucide. Au fil des pages, on suit une poignée de survivants, disséminés aux quatre coins de la ville, qui ne se connaissent pas, mais que le chaos pousse à converger vers un ultime espoir : un lieu d’évasion encore accessible, quelque part dans les marges de ce monde dévasté.
Le livre a été interdit en Russie. Son auteur, aussitôt frappé du sceau infamant d’« agent de l’étranger », s’est vu réduit au silence sur les terres mêmes qu’il décrit. Résultat paradoxal mais prévisible : le roman s’est arraché sous le manteau, propulsé par la censure au rang de phénomène éditorial. L’auteur, désormais persona non grata dans son pays, est aujourd’hui sollicité sur les plateaux des télévisions européennes, devenant à son tour un symbole d’une parole dissidente en exil.
Ce qui fait la force du récit, c’est la manière dont l’auteur mêle les codes du roman de genre – horreur, survival, anticipation – à une critique sociale implacable. Sous les dehors d’un thriller postapocalyptique, il règle ses comptes avec la Russie contemporaine. Une société gangrenée par la violence, obsédée par l’ordre, le contrôle et la verticalité du pouvoir. Chaque ruelle de Moscou, chaque station de métro désertée, chaque bâtiment effondré, porte en creux la marque d’un régime plus mortifère encore que les zombies eux-mêmes.
Et pourtant, c’est bien une déclaration d’amour à Moscou qui affleure tout au long du roman. La ville, magistralement décrite dans ses moindres recoins, devient un personnage à part entière. Tour à tour protectrice, hostile, maternelle ou impitoyable, elle incarne toute la complexité de l’âme russe. Ce paradoxe fascinant – cette cohabitation entre le sublime et l’effroi – irrigue chaque page. On sent, derrière le récit de la chute, un attachement profond au tissu urbain, aux mémoires qu’il abrite, aux beautés secrètes que même l’apocalypse ne peut effacer.
Loin des caricatures, l’auteur offre une vision de la Russie que les Occidentaux connaissent mal. Une Russie d’en bas, de la débrouille et du courage, où la solidarité surgit parfois là où on ne l’attend plus. Mais aussi une Russie qui, dans son effondrement, révèle les pulsions autoritaires qui l’ont conduite à sa perte.
Dans un style nerveux, tendu, parfois brutal mais toujours incarné, le livre saisit par son énergie autant que par sa lucidité. Il parvient à conjuguer l’adrénaline du récit de survie avec une réflexion politique acérée. Et si les zombies y pullulent, ce sont peut-être les vivants, prisonniers d’un ordre aveugle et destructeur, qui apparaissent les plus inquiétants. Un roman choc, à lire comme un cri – celui d’un auteur qui, dans les décombres de Moscou, cherche encore à sauver une part d’humanité.
Ivan Philippov, La Souris. Une apocalypse zombie à Moscou. Blueman, 320 p., 20 €
