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Lancement de l’Année Dutilleux à la Philharmonie de Paris

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Lancement de l’Année Dutilleux à la Philharmonie de Paris

Philharmonie de Paris, le vendredi 22 janvier 2016. Hommage à Duthilleux en présence de Madame la Ministre Fleur Pellerin.

Henri Dutilleux (1916-2013) aurait eu 100 ans le 22 janvier.

« À la faveur de cet anniversaire, nous apprend la brochure commémorative, l’année Dutilleux 2016 coordonnée par la Cité de la musique-Philharmonie de Paris mettra en perspective tous les aspects de son œuvre, à travers de nombreux concerts, conférences, tables rondes et projections — aussi bien en France qu’à l’étranger. Musicien, poète par sa vision, artisan de la forme et de l’orchestration, il fut également homme de radio, compositeur pour la scène et le cinéma, fervent amateur de peinture et de photographie. Passeur entre différents langages musicaux du XXe siècle, mais aussi entre plusieurs générations de musiciens et de mélomanes, Henri Dutilleux a été et demeure l’un des plus importants ambassadeurs de la création musicale. »

Les arcanes d’une œuvre intemporelle

En guise de coup d’envoi, une journée d’étude réunissait en ce 22 janvier 2016 musicologues et interprètes sous la houlette de Pierre Gervasoni, journaliste et musicologue, auteur d’une magistrale biographie du compositeur coéditée par la Philharmonie de Paris et Actes Sud, dont nous avons rendu-compte dans le numéro 149 de Politique Magazine.

En la salle de conférence de la Philharmonie, un auditoire fourni d’amateurs et de musiciens se passionna pour les exposés rassemblés sous le générique Henri Dutilleux, repère d’un siècle. Oublions l’insipide communication de Raphaëlle Renard-Foultier sur les Prix de Rome… Le genevois Robert Piencikowski, collaborateur de la Fondation Paul Sacher et spécialiste du répertoire contemporain, disserta sur le regard que Dutilleux portait sur le dodécaphonisme et comment plusieurs de ses partitions tentèrent d’intégrer la technique schönbergienne à son langage propre. Intitulée Du spirituel dans la nature, l’intervention de Maxime Joos, enseignant au Conservatoire à rayonnement régional de Lille, examina La métaphore cosmologique dans l’œuvre d’Henri Dutilleux, perceptible dès l’énoncé des titres de nombre de ses œuvres imprégnées de spiritualité : Timbres, espace, mouvement – Tout un monde lointain – Correspondances. L’écrivain et critique britannique Roger Nichols, très en verve, s’intéressa au quatuor Ainsi la nuit et détailla les aventures, transformations et retours de l’accord initial, accord «consistance», qui joue un rôle majeur dans le discours et dans la structure de l’œuvre, participant à l’élaboration du «mystère» consubstantiel à l’univers du compositeur. Caroline Potter, de l’université Kingston de Londres, nous immergea dans les correspondances baudelairiennes et nous révéla combien l’impact du poète sur la musique de Dutilleux fut capital et durable. Cette influence s’étendit jusqu’à son ultime opus : Enivrez-vous, épisode final de Le Temps l’horloge (2009). « Baudelaire continue à me hanter » déclarait-il encore en 2010. Franck Krawczyk se mit au piano pour détailler en exemples probants Le sentiment harmonique chez Henri Dutilleux, prolongeant les conversations qu’il eut naguère avec le compositeur autour de la scordatura du violoncelle d’Ainsi la nuit. Il nous expliqua comment la manière d’accorder les quatre cordes de l’instrument apporte des tensions originales intégrées à un langage harmonique très particulier qui aboutissent au « sonner vrai » voulu par l’auteur.

A l’issue de cette série de communications, une table ronde animée par Pierre Gervasoni réunissait trois musiciens. Ils apportèrent en conclusion à cette journée d’études le témoignage précieux d’interprètes ayant travaillé personnellement avec Dutilleux. Anssi Karttunen, violoncelliste d’origine finlandaise, a beaucoup joué le concerto pour violoncelle Tout un monde lointain. Anne Queffélec a gravé l’intégrale de l’œuvre pour piano solo chez Virgin en 1996. Elle nous fit part des réactions du compositeur et notamment de sa réticence à voir enregistrer ses pièces de jeunesse. Enfin, l’humour et l’érudition de Yan-Pascal Tortelier, l’un de nos meilleurs chefs d’orchestre aujourd’hui directeur de l’Orchestre symphonique d’Islande, ravirent l’assistance.

Lancement officiel

Quelques instants plus tard, au niveau 4 de la Philharmonie de Paris, se déroula la cérémonie officielle de lancement de « Dutilleux 2016 », évènement placé sous le patronage de Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, et d’Anne Hidalgo, maire de Paris, en présence de Laurent Bayle, président de la Philharmonie, de Jean-Claude Casadesus, chef d’orchestre, de Pierre Gervasoni, auteur de la biographie du compositeur ainsi que d’une cinquantaine de personnalités musicales et de journalistes conviée autour d’un cocktail. On y croisait Pierrette Mari, première biographe de Dutilleux, Betsy Jolas, Laurent Petitgirard, de l’Institut, Yves Mestre, neveu du compositeur, le violoncelliste Gautier Capuçon, etc.

Laurent Bayle présenta tout d’abord les deux instances constituées : le comité d’honneur placé sous son égide et le comité scientifique présidé par Pierre Gervasoni. Ce dernier évoqua la personnalité de Dutilleux avant de laisser la parole à Jean-Claude Casadesus, dont les propos retinrent l’attention de l’auditoire. Il détailla avec aisance ses souvenirs sur le compositeur et son épouse, la pianiste Geneviève Joy. En 1965, la création de Métaboles au théâtre des Champs-Elysées sous la direction de George Szell, fut pour beaucoup un moment marquant et pour tous un tournant dans l’histoire de la musique. Il rappela aussi que l’enregistrement du premier disque de l’Orchestre de Lille en 1977, comportant la première Symphonie de Dutilleux, obtint le Grand Prix de l’Académie Charles Cros. Cette distinction constitua pour l’Orchestre de Lille un formidable tremplin. Et Casadesus de poursuivre : « Il laisse une œuvre de couleurs, d’atmosphère, avec une structure extrêmement maîtrisée, une œuvre impressionniste. Il est l’héritier de Ravel, Debussy et Roussel. Il avait un sens très pointilleux du geste musical exact. Il a peu écrit mais laisse une œuvre à la limite de la perfection, qui est aussi le reflet de son exigence. Il assistait aux créations, surveillait son œuvre de près. »

Fleur Pellerin conclut la cérémonie de lancement en soulignant : « Entre les compositeurs d’avant-garde, qui furent aussi ses contemporains, et cette tradition française du timbre, héritée de Ravel et de Debussy, ses compositions sont empreintes de cette tension qui traversa la vie musicale du XXe siècle. » Elle estime qu’inscrire la célébration du centenaire d’Henri Dutilleux parmi les commémorations nationales, « est une façon de faire connaître toujours davantage son œuvre au grand public et de partager avec lui le caractère exceptionnel de sa musique ».

Un concert de prestige

Dans le cadre de la Biennale de Quatuors à cordes, la Cité de la musique (désormais Philharmonie II) accueillait en soirée des interprètes de talent qui rendirent hommage à Henri Dutilleux avec un programme lui associant Debussy et Ravel. Indépendant comme eux, prolongeant la voie qu’ils avaient tracée, Dutilleux poussa ses recherches autour du timbre et de la résonance, et s’interrogea sur les notions de temps et d’espace.

Devant une salle comble, Gautier Capuçon ouvrait la soirée avec les Trois strophes sur le nom de Sacher. A l’occasion du soixante-dixième anniversaire du chef d’orchestre et mécène suisse Paul Sacher en 1976, Mstislav Rostropovitch avait passé commande à douze compositeurs du monde entier, dont Britten, Lutoslawski, Boulez, Henze, Ginastera, Berio,… La seule contrainte consistait à inclure dans la partition le motif musical formé d’après les six lettres du nom de Sacher (mi , la, do, si, mi, ré). Capuçon interpréta ces strophes à l’écriture dense et minutieuse avec énormément de sensibilité, de souplesse et de maîtrise.

Franck Braley joua ensuite les trois Préludes : D’ombre et de silence, Sur un même accord, Le Jeu des contraires, datant de 1988, dernière œuvre écrite pour le clavier par le compositeur. Le pianiste fit ressortir les résonnances harmoniques et le chatoiement des sonorités avec une gestique aussi précise que féline.

Lisa Batiashvili, originaire de Géorgie, rejoignit ses deux collègues pour le Trio de Maurice Ravel. Les musiciens s’emparèrent de ce joyau avec un élan presque trop athlétique (dans le Pantoum notamment), firent assaut de virtuosité gourmande (dans un final échevelé) tout en ménageant des moments où le raffinement des nuances suspendait jusqu’à la respiration des auditeurs.
Après l’entracte, nous entendîmes la Sonate de Claude Debussy. Les deux instrumentistes firent preuve d’une merveilleuse complicité. La somptuosité du violon répondait à la souple élégance du piano.

Lisa Batiashvili, Valery Skolov, Gérard Caussé et Gautier Capuçon se réunirent enfin pour interpréter Ainsi la nuit, partition-phare du répertoire de musique de chambre du XXe siècle. Ils servirent l’écriture extrêmement subtile et exigeante des sept mouvements du quatuor avec un louable engagement. Les textures méticuleusement sculptées par Dutilleux, la palette étendue des nuances timbriques, furent restituées dans leur envoûtante complexité.

Ni les dimensions ni l’acoustique de ce vaste auditorium ne se prêtent vraiment à la musique de chambre qui requiert intimité et communion avec le public. Les vibrations s’y perdent dans l’espace et l’impact physique des sons est tellement atténué qu’il peine à nous atteindre. Les artistes réussirent toutefois à transmettre l’essentiel : l’émotion et le mystère qui nimbent tout l’œuvre fascinant d’Henri Dutilleux.

  • Le concert-hommage à Henri Dutilleux a fait l’objet d’une captation par MEZZO. Une première diffusion est prévue le 24 mai à 20h30.
  • La Philharmonie de Paris coordonne l’ensemble des événements de l’Année Dutilleux, en collaboration avec la ville de Paris : concerts, conférences, colloques, expositions, projections, etc. Le programme détaillé est disponible sur : http://www.dutilleux2016.com/

Photo : ©Julien Mignot / Philharmonie de Paris.

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