Cela fait plusieurs numéros que nous insistons sur les mutations formidables, à tous les sens du terme, que nous sommes en train de vivre. Nous regardons l’abîme, fascinés. Abyssus abyssum invocat.
La Syrie prise par les djihadistes, un nouveau flot de Syriens jetés sur les routes de l’immigration, Israël qui remodèle Proche et Moyen Orient, l’Union européenne divaguant dans un espace chimérique de normes, de traités et de principes, l’Argentine et les États-Unis en train de prendre le monde à contrepied, l’Italie, le Portugal et l’Espagne accumulant des richesses, la Roumanie et la Géorgie secouant une fois de plus le joug de l’étranger – mais un autre – et, brochant sur le tout, le spectre de la guerre, nucléaire qui plus est.
On croirait un insecte inconnu s’efforçant de se dégager de sa chrysalide trop serrée, rigide à l’excès, entravant au point de l’étouffer ce qu’elle était censée protéger. L’ordre occidental se désagrège et, en même temps, ce qui se profile n’est pas si neuf : islam conquérant, empires orgueilleux, appétit d’espaces, brutale affirmation d’imaginaires prééminences : quels désordres n’avons-nous pas déjà vécu autour de la mare nostrum et jusqu’aux lointains confins du monde ? À quels accouchements terribles n’avons-nous pas assisté, dont nous gardons la mémoire ?
Et pourtant, ce qui se joue ici, sous nos yeux, est d’une dimension si extraordinaire, se fait au nom de principes si évidemment faussés, et sous une menace si inédite qu’on en est saisi : les États-Unis, au nom de leur imperium, vont-ils aller jusqu’au bout de leur stratégie belliciste en jetant l’Europe contre l’Asie ? Israël finira-t-il par annihiler l’Iran, dans une hubris dont sa propre histoire sacrée nous donne les exemples, croyant avoir définitivement dompté le monde arabo-musulman ? Les empires vont-ils s’établir sans convulsion ou, au contraire, dans des guerres économiques aussi dévastatrices qu’un bombardement et avec des ogives nucléaires plus rapides que la foudre ? Nous ne pouvons que poser les questions.