Les régimes autoritaires sont toujours d’actualité même si leurs formes ont évolué. Il n’y a rien de fasciste dans la Chine de Xi Jinping, la Hongrie de Viktor Orban et les États-Unis de Donald Trump, etc. Tous ces régimes peuvent à bon droit se réclamer de la démocratie, et tous proclament la nécessité d’être réaliste.
Le temps des dictatures fascistes et communistes est révolu. L’originalité de ces dictatures, nouvelles en leur temps, ne fut pas immédiatement discernée par leurs contemporains. En fait de dictateurs, on ne connaissait alors que des souverains autoritaires comme Frédéric II de Prusse, Catherine II, Nicolas 1er ou Alexandre III de Russie, monarques de droit divin et donnant l’exemple de la pratique religieuse, ou leurs ministres implacables tels Metternich, Schwartzenberg, le cardinal Antonelli, Bismarck, Plehve, Stolypine. L’avènement de dictatures totalitaires d’aventuriers d’origine plébéienne comme Mussolini, Hitler ou Staline, sans religion, adossés à un parti unique, et servis par une police secrète d’État redoutable et des formations paramilitaires violentes, était inédit. Abattus en 1945 (toutefois les régimes de Salazar au Portugal et de Franco. en Espagne durèrent jusqu’au milieu des années 1970), les régimes fascistes eurent des imitateurs approximatifs en Grèce et en Amérique latine, mais qui disparurent à la fin du XXe siècle. Les régimes communistes de l’URSS et des pays d’Europe de l’Est disparurent dans la dernière décennie du même siècle. Celui de la Chine subsiste, mais a profondément évolué, notamment en « capitalisant » son économie, et en se rapprochant des pays à dictature nationaliste et/ou conservatrice, et de l’Amérique trumpiste, on ne peut plus anti-communiste. Seule la Corée du nord semble conserver un régime communiste classique.
Tous ces régimes étaient des produits d’un stade de l’évolution des nations et des sociétés au siècle précédent, résultant du bouleversement politique et civilisationnel provoqué par la Grande Guerre en Europe, de l’évolution des rapports sociaux (allant dans le sens d’une démocratisation, lato sensu), et de l’influence sur la vie publique du développement de la science et des techniques, lesquels rendaient possible la transformation des pouvoirs autoritaires en régimes totalitaires. Ils découlaient également de l’exacerbation des nationalismes et de la volonté de les concilier avec la résolution du problème social (pour les fascismes), et des utopies marxistes (pour le communisme).
De nouvelles dictatures, inavouées comme telles, et de nature et de degré d’autoritarisme variable
L’effondrement des régimes fascistes en 1945, puis le discrédit ayant frappé le communisme, la désaffection à l’égard des idéaux socialistes, et enfin la prise de conscience de l’horreur des totalitarismes bruns et rouges de type orwellien, a condamné ces dictatures. Cela ne signifie cependant pas que le temps des régimes autoritaires soit révolu. Les régimes autoritaires abondent en Europe, souvent dans des pays importants par leur poids démographique, leur importance économique et leur influence politique dans le monde. Mais ces régimes ne présentent guère de similitude avec les totalitarismes (et leurs avatars ou caricatures) du XXe siècle.
Bien que communiste et dirigée par un parti dont les militants et les cadres reçoivent une formation idéologique de stricte obédience marxiste-léniniste, la Chine de Xi Jinping s’est nettement démarquée de celle de Mao Zedong ou même de Deng Xaoping. Elle s’affirme comme une puissance nationaliste, impérialiste, soucieuse de dominer l’économie mondiale et de peser fortement sur les relations internationales et l’état politique de la planète. Si elle a conservé un pouvoir politique communiste, et donc dictatorial, elle s’est largement convertie au capitalisme le plus dynamique et le plus offensif ; quant à ses préoccupations socialistes, parlons-en : elle est devenue la contrée en laquelle le nombre de millionnaires relativement à l’ensemble de la population, est le plus important au monde. Elle réprime ceux qui se plaignent de leurs conditions de travail et de vie. Et si elle convoite nos anciennes colonies et nos DOM-TOM, ce n’est pas pour y installer le socialisme.
Les « démocraties illibérales » d’Europe orientale (Hongrie, Pologne et Biélorussie, notamment) ne peuvent être qualifiées de fascistes, Il en va de même de l’Argentine de Javier Milei, du Brésil naguère dirigé par Jair Bolsonaro ou des États-Unis trumpistes. Leurs dirigeants controversés ne parviennent au pouvoir que démocratiquement et doivent abandonner le pouvoir dès que le suffrage les désavoue. Et ils ne gouvernent pas en dictateurs, mais avec l’appui d’une majorité parlementaire. Par ailleurs, ils se réclament de la démocratie, et estiment, non sans raison, que celle-ci leur donne le pouvoir de faire adopter par leur Parlement des lois et autres mesures (notamment en matière de mœurs, de libertés publiques, ou dans les domaines économique et social) que beaucoup d’Occidentaux réprouvent mais qui n’en sont pas moins démocratiquement adoptées, et font consensus. Seules la Russie de Poutine, la Biélorussie de Lioukatchenko ou l’Azerbaïdjan d’Aliyev sont des dictatures de fait (mal dissimulées par un paravent constitutionnel d’apparence démocratique), emprisonnent leurs opposants, les tuent parfois, et les privent de toute possibilité d’accès au pouvoir par voie électorale. Mais ces dictatures ne sont pas de type fasciste, ne reposent ni sur une idéologie, ni sur un parti unique… ce qui ne les rend pas plus attrayantes ou rassurantes pour autant.
L’évanouissement relatif des différences entre dictatures et démocraties et le retour de la prééminence de la Realpolitik
Et elles ne sont pas exemptes d’affinités avec les démocraties autoritaires des États-Unis de Trump ou d’Amérique du sud que nous venons d’évoquer. Affinités psychologiques et morales entre les dirigeants, nonobstant les différences politiques (l’admiration de Trump pour Xi Jinping et Poutine – qui le lui rendent assez bien et s’estiment réciproquement – est connue). Convergences d’intérêts politiques. Commun dédain de la démocratie à orientation woke. Commun sacrifice du social et de la préservation de l’environnement aux impératifs de la croissance économique. Mêmes aspirations nationalistes et impérialistes.
Autant de caractéristiques qui rapprochent ces régimes (et leurs dirigeants) pourtant dissemblables et aux intérêts tout de même divergents, et les distinguent fortement des démocraties libérales ouest-européennes. Partant, ces affinités, ce rapprochement, induisent logiquement, une opposition morale et politique entre ceux-là et celles-ci. Régimes forts et nationalistes de l’Est, gouvernements libéraux et faibles en Europe de l’Ouest. Dictatures contre démocraties disent plus simplement nos élites. On les comprend, mais il est inutile de se lamenter sur l’immoralité des premières et le déclin des secondes. Mieux vaut élever le débat et constater la relative obsolescence de fait, dans le monde qui s’annonce, de l’opposition entre dictatures et démocraties. Et qui procède de la disparition de l’opposition entre bloc occidental libéral et bloc de l’Est communiste, laquelle avait marqué la période 1945-1989.
Le monde actuel est un monde en lequel ces oppositions s’évanouissent, du moins jusqu’à un certain point. Dirigées par des Donald Trump, Javier Milei, Jair Bolsonaro, Viktor Orban, Lech Kacziński, Ilham Aliyev, maintes démocraties se font autoritaires, virent peu ou prou à la dictature, et font volontiers cause commune avec des dictateurs affirmés tels Poutine ou Xi Jinping, qui tirent d’ailleurs une légitimité de constitutions apparemment démocratiques. La Realpolitik a désormais raison de l’opposition entre brutalité des dictatures et humanisme libéral des démocraties. On peut s’en inquiéter. Mais à condition de nous interroger sur la voie où nous mène notre idéal démocratique fondé sur le terrorisme moral et intellectuel articulé autour de l’écologisme délirant à orientation vegan et antispéciste, le melting pot, le refus du contrôle de l’immigration, l’ultraféminisme destructeur de notre langue avec l’écriture inclusive, la promotion continue des sexualités LGBT, la sacralisation des droits à l’IVG et à la PMA, et la persécution des idées opposées au politiquement correct. Après tout, pour inquiétante qu’elle semble, l’élection de Trump a peut-être le mérite de faire reculer un peu plus la perspective de l’avènement d’un Brave new World.