Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est plongée dans une profonde crise politique et sécuritaire qui a entraîné le pays dans une guerre civile destructrice. Deux gouvernements se disputent aujourd’hui la légitimité du pouvoir : le Gouvernement d’union nationale (GUN), basé à Tripoli, et le Gouvernement de l’Est, installé à Benghazi. Les élections présidentielles et législatives, initialement prévues en décembre 2021, n’ont cessé d’être repoussées. Des reports qui sont le résultat de désaccords persistants sur les lois électorales, les conditions de participation des candidats, et l’absence d’un consensus entre les factions rivales. La Libye, divisée et affaiblie, reste aujourd’hui l’otage de ces tensions internes qui retardent toute possibilité de stabilisation politique.
La Libye, terrain de jeu des influences étrangères
Cet ajournement incessant des élections en Libye a exacerbé les tensions militaro-ethniques entre l’est et l’ouest du pays. Ces divisions internes se compliquent davantage avec l’ingérence croissante de puissances étrangères, attirées par les vastes ressources en pétrole et en gaz de la Libye. Si initialement la France et les États-Unis, sous couvert de l’OTAN, ont joué un rôle crucial dans le soutien militaire au soulèvement contre Kadhafi, leur influence a été rapidement éclipsée par d’autres nations, notamment la Turquie et le Qatar.
La Turquie soutient activement le GUN en lui fournissant des drones, des mercenaires syriens et une assistance militaire, dans le cadre d’un accord signé en 2019. En échange, Ankara a obtenu la gestion stratégique du port d’Al Khoms. Dans le sillage de la Turquie, le Qatar s’est également positionné en soutien militaire au GUN, tout en cherchant à imposer son idéologie rigoriste via les Frères musulmans, solidement implantés en Libye. L’émirat entend s’imposer comme le nouveau leader nord-africain, profitant du chaos libyen pour étendre sa propre influence.
En réponse au soutien de la Turquie et du Qatar au GUN, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont apporté une aide militaire conséquente au Gouvernement de l’Est. Leur objectif commun est avant tout de contrer l’influence des factions islamistes, apparues en Libye en 2014. D’inspiration salafiste, l’État islamique a brièvement pris pied dans le pays avant d’être défait en 2016 par le GUN. Bien que privé de ses leaders, le groupe a réussi à intensifier ses actions terroristes depuis la Libye vers d’autres pays, revendiquant notamment l’attentat de Manchester ou perpétrant des massacres, dont celui des chrétiens coptes à Syrte en 2017.
L’ombre de Moscou
En parallèle, la Russie joue également un rôle clé dans le soutien au maréchal Khalifa Haftar, figure forte du Gouvernement de l’Est. Des mercenaires du groupe paramilitaire Wagner ont été déployés pour renforcer sa position militaire. Récemment, deux navires de débarquement russes ont accosté à Tobrouk, dans la province de Cyrénaïque, un signe de l’accroissement des relations militaires entre la Russie et les forces de l’Est libyen.
Selon un article détaillé du Monde, le vice-ministre de la Défense russe, Iounous-bek Evkourov, a déjà effectué en un an quatre visites à Benghazi, capitale de l’Armée nationale libyenne (ANL) de Haftar. Le maréchal lui-même a été reçu avec honneur à Moscou par Vladimir Poutine en septembre 2023. Au cœur de ces discussions : la possibilité de l’établissement d’une base militaire russe en Libye, qui représenterait une menace directe pour l’Europe. Cette implication de la Russie illustre une nouvelle fois sa stratégie d’influence croissante en Afrique, où elle a pris la place de la France en tant que force majeure sur le continent, exploitant le vide laissé par les anciennes puissances coloniales.
La restauration de la monarchie ?
Alors que le chaos perdure et que les solutions militaires ou politiques traditionnelles semblent inefficaces, plusieurs voix appellent à une solution alternative pour sortir de l’impasse. Une proposition commence à émerger : la restauration de la monarchie. Fin août 2024, un groupe de 75 membres du Conseil suprême d’État (chambre haute du Parlement), représentant les régions de l’est, de l’ouest et du sud de la Libye, a pris une initiative inédite. Dans une lettre adressée au Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, ces élus ont exigé que l’ONU agisse pour restaurer la monarchie en Libye, ainsi que la constitution fédérale de 1951, qui inclut l’application de la charia. Leur proposition prévoit de placer le prince héritier Mohammed al-Hassan al-Rida al-Senoussi, âgé de 61 ans, à la tête du pays. Bien que Mohammed al-Senoussi bénéficie de certains soutiens locaux, notamment au sein du Mouvement pour le retour de la légitimité constitutionnelle en Libye et parmi certains chefs militaires, il reste en exil à Londres et cherche à s’imposer dans le paysage politique chaotique du pays. Dès le début du conflit, il a été reçu au Parlement européen à Bruxelles pour tenter d’obtenir un soutien international. En vain. Sa famille, originaire de Cyrénaïque, avait un temps contrôlé cette région avant d’en être chassée militairement.
Une idée qui fait son chemin depuis la révolution anti-kadhafiste
L’idée de restaurer la monarchie en Libye n’est pas nouvelle. Dès 2014, Mohamed Abdelaziz, alors ministre des Affaires étrangères, avait plaidé en faveur de cette option lors d’un sommet de la Ligue arabe. Il soulignait que cette solution pourrait apporter stabilité et sécurité au pays en crise. « La doctrine des Senoussi est modérée et influente en Afrique du Nord. Elle est suffisamment puissante pour contrer l’extrémisme religieux qui menace la Libye et atténuer, voire éliminer, les divisions politiques et régionales », avait-il déclaré à l’époque. Cependant, cette proposition n’avait pas fait consensus.
Aujourd’hui, l’idée connaît un regain d’intérêt. Le Premier ministre actuel, Abdul Hamid Dbeibah, serait en faveur de ce plan qui empêcherait de facto les anciens proches de Kadhafi de reprendre le contrôle du pouvoir. Elle bénéficie même du soutien du Qatar. En juillet 2022, l’émirat a officiellement invité Mohammed al-Senoussi, petit-neveu du roi Idriss Ier, pour discuter de la situation libyenne et d’intérêts communs, notamment concernant la paix dans le pays. Le soutien à une monarchie constitutionnelle ne se limite plus aux notables des différentes tribus libyennes, mais s’est étendu au Forum Unioniste fédéral, un groupe disposant d’une représentation au sein de la Chambre des députés de Tobrouk.
Sur le plan international, l’idée de restaurer la monarchie bénéficie également d’un certain écho. Lors d’une conférence organisée au Parlement britannique, le groupe de réflexion Forum Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENAF) a plaidé en faveur de cette solution, encourageant les États occidentaux à l’envisager sérieusement. Il affirme même que 50 % des Libyens interrogés seraient ouverts à l’idée de rétablir la monarchie, à condition qu’elle ait un rôle avant tout symbolique. La position de l’Union européenne vis-à-vis de cette option monarchique reste pour l’heure incertaine.
Un projet loin de faire l’unanimité
La proposition de restaurer la monarchie en Libye fait face à une opposition ferme de la part du maréchal Khalifa Haftar. « Les partisans de la monarchie comptent des personnalités de valeur, mais ce système est depuis longtemps dépassé. Le Royaume-Uni et d’autres cherchent à leur redonner de l’élan, mais ils n’ont aucun crédit en Libye », déclarait-il dans une interview accordée au mensuel Jeune Afrique en 2018. Le maréchal, qui a gravi les échelons du régime et participé au coup d’État de 1969 ayant conduit à l’abolition de la royauté, n’a aucun intérêt à voir la dynastie des Senoussi revenir sur le devant de la scène politique. Le prince Mohammed al-Senoussi dénonce régulièrement les « seigneurs de la guerre » dont l’objectif principal, selon lui, est d’alimenter « un cycle de violence et d’affrontements sanglants résultant de la lutte effrénée pour le pouvoir et l’argent », comme il l’a affirmé dans un communiqué publié en août 2023. Très actif sur les réseaux sociaux, le prince héritier Mohammed al-Hassan al-Rida al-Senoussi continue de plaider pour la restauration de la monarchie constitutionnelle en Libye. Dans l’une de ses récentes déclarations, il a souligné : « De nouvelles élections conduiront à plus de discorde et de conflits, menaçant encore plus l’unité du pays. La Libye n’est pas capable de supporter d’autres crises ou guerres à outrance. Il me paraît nécessaire de restaurer la monarchie constitutionnelle, je me répète, qui sera le garant de l’unité libyenne ».
Mais en l’absence d’un soutien militaire et d’une véritable campagne en sa faveur par la communauté internationale, il semble que ses efforts pourraient, comme ceux qui les ont précédés, finir par s’éteindre dans l’ombre d’un conflit qui persiste.
Illustration : Le prince héritier Mohammed al-Hassan al-Rida al-Senoussi