En avril 2022, Emmanuel Macron supprima le corps diplomatique français. Peu s’émurent de cette nouvelle qui semblait pourtant marquer un tournant car, pour la première fois depuis des siècles, la France allait désormais confier ses intérêts diplomatiques à des non-professionnels venus de tous horizons.
En réalité, cette décision de notre ubuesque président ne marquait pas un tournant mais constituait plutôt un acte de décès, vocation décidément tenace chez cet homme qui ne croit pas en la France. Sans racines, sans héritage reçu ni à transmettre, sans convictions spirituelles, il est en effet difficile de croire en ce petit pays qui fut grand mais qui, trahi par ses élites, a renoncé à l’être ne serait-ce que moralement. Depuis plusieurs décennies, la diplomatie française navigue à vue, en fonction de « valeurs », plus ou moins définies, de principes dits moraux établies selon des critères subjectifs en oubliant l’essentiel : l’intérêt de la France.
Lorsque le général de Gaulle décida de sortir de l’OTAN ou de reconnaître la Chine communiste, à rebours de l’opinion occidentale, il donna ainsi un cap : le refus de la tutelle américaine et la main tendue au « sud global », en fait à ce qui n’est pas l’occident. Ce dernier point fut spectaculairement parachevé par le discours de Phnom-Penh, attaquant ouvertement l’impérialisme américain.
Cela ne signifie nullement que de Gaulle fut un stratège de génie. Lui aussi avait ses incohérences et a commis des fautes graves : donner l’Algérie avec le Sahara aux terroristes du FLN, qui n’en demandaient pas tant, fut un abandon sans contrepartie contraire aux intérêts de la France. Et que dire de l’accord d’immigration de 1968 passé avec ce même pays ? Ce n’était pas la peine de craindre que Colombey-les-Deux-Églises ne devienne un jour Colombey-les-Deux-Mosquées si c’est pour ouvrir la porte à tous les Algériens.
Le principe d’ingérence humanitaire
Pour autant, la parole de la France comptait, en Afrique, au Proche-Orient, en Extrême-Orient. Cet héritage fut maintenu tant bien que mal mais, petit à petit, le ver pénétra le fruit. Le froid pragmatisme de Richelieu, les habiletés de Mazarin, la finesse de Talleyrand ne furent plus des exemples mais des vieilleries à remplacer par des comportements plus modernes et plus conformes à la morale républicaine.
Le délicieux Bernard Kouchner fut un des promoteurs de ce tournant. En 1993, il y eut une famine en Somalie. Le fondateur de Médecins sans frontières prit les choses en main et, toutes caméras déployées, transporta sur son dos un sac de riz. L’image fit le tour du monde (il en faut peu parfois) et le charitable docteur put ainsi démarrer une brillante carrière politique. On aurait pu en rester là, mais non. Il fallut théoriser l’acte pour justifier l’aide militaire fournie à l’occasion. Ce fut le principe d’ingérence humanitaire. Comme toujours, un flou complet entoura cette notion, mais peu importe, ce qui compte c’est l’expression elle-même et non son contenu. Cela permet de garder la main et justifier facilement ce qui relève de l’ingérence humanitaire ou pas.
Les Américains suivirent cela de près, et même si leur intervention militaire en Somalie se solda par un désastre (un de plus), ils retinrent le concept et l’appliquèrent quelques années plus tard contre la Serbie.
Confrontée à une rébellion albanaise dans sa province du Kosovo, la Serbie n’eut pas le droit de poursuivre sa promenade militaire largement gagnante. On inventa des massacres, un « génocide » se préparait et, au nom de ce même principe d’ingérence humanitaire, la Serbie subit 78 jours de bombardements intensifs. Les bombes avaient pris la suite du sac de riz, mais, comme pour l’enfermement covidien, c’était pour « sauver des vies », n’est-ce pas ?
La diplomatie des « valeurs »
La France suivit, Chirac dit oui à Clinton, ce fut un tournant majeur : la diplomatie des « valeurs » prenait le pas sur l’intérêt de la France, vieille amie de la Serbie qui n’en revint pas de la trahison française.
La France se reprit en 2003 et refusa de participer à l’agression américaine de l’Irak. Ce fut la dernière fois que la diplomatie française fit preuve d’indépendance. « Il faut punir la France » déclara ensuite Condoleezza Rice, la secrétaire d’État de Georges Bush. A-t-on eu peur ? En tout cas, on ne recommença pas.
La présidence de Nicolas Sarkozy fut un festival : nomination de Bernard Kouchner aux affaires étrangères puis réintégration de l’OTAN en 2009. L’Amérique fut satisfaite : la France rentrait définitivement dans le rang. Elle allait même dépasser le maître en organisant la très intelligente intervention en Libye. L’armée de Kadhafi s’apprêtant à massacrer les insurgés islamistes qui avaient pris Benghazi, il fallait absolument sauver ces braves gens. Sarkozy n’écouta ni ses diplomates, remplacés par Bernard-Henri Lévy, ni les pays africains. Ils s’en souviennent encore.
On invoqua de nouveau le très commode droit d’ingérence humanitaire qui se mua d’ailleurs en devoir d’ingérence humanitaire. Pourquoi pas en effet ? La Libye est aujourd’hui détruite, les islamistes du Sahel s’y fournissent en armes et les immigrés qui souhaitent découvrir le paradis occidental y transitent volontiers. Le plus cocasse, c’est que ce sont la Turquie et la Russie qui règnent aujourd’hui sur la Libye, l’un à l’est, l’autre à l’ouest. Voilà une brillante démonstration de réussite géopolitique. Il faudra que Nicolas Sarkozy explique un jour où était l’intérêt de la France dans cette affaire. La suite n’est qu’une longue descente aux enfers pour notre diplomatie qui n’en n’est d’ailleurs plus une, puisque l’intérêt supérieur du pays ne prime plus.
Laurent Fabius va inaugurer l’ère des imprécations, insultant le dirigeant syrien Bachar el-Assad qui ne voulait pas que son pays devienne islamiste : « la fin se rapproche pour Bachar el-Assad » s’exclamera notre prophète qui lui déniera également le droit de vivre. Imagine-t-on François Ier ou Louis XIV traiter ainsi un adversaire, même en pleine guerre ? C’est le contraire même de la diplomatie. Il est vrai que son prédécesseur aux affaires étrangères, Alain Juppé, avait montré la voie en fermant l’ambassade française de Damas au début de la guerre. Là encore, pourquoi ? La France avait une tradition de bonnes relations avec la Syrie, nous y avons mis fin avec une légèreté confondante. Rappelons en outre que nos services secrets échangeaient beaucoup avec leurs collègues syriens. En rompant toute relations avec la Syrie, nous nous sommes privés de précieuses sources d’information sur le terrorisme islamiste. Elles nous feront tragiquement défaut lorsque peu de temps après eurent lieu les attentats de Paris au Bataclan ou aux terrasses des cafés. Ils avaient été organisés depuis la Syrie. Cela aurait mérité une remise en question, ou au moins une réflexion. Mais non, nos diplomates amateurs sont droits dans leurs bottes. Ils siègent maintenant ensemble au Conseil Constitutionnel, au mépris de leurs compétences respectives, la maison est bien gardée.
À rebours de toutes les traditions diplomatiques
Le cas de l’Ukraine est un autre exemple spectaculaire de cette démission diplomatique qui, et c’est intéressant de le souligner, va de pair avec une démission intellectuelle. On ne regarde plus l’histoire (comme celle de la Crimée), on détourne les yeux de la patiente stratégie américaine d’encerclement de la Russie par l’OTAN, on refuse de prêter attention à près de vingt ans d’avertissements russes. Il est plus facile de s’affirmer le camp du bien et de décréter une fois pour toute que la Russie est l’agresseur ce qui clôt toute discussion. « La Russie ne peut pas et ne doit pas gagner cette guerre » a déclaré notre guerrier chef Emmanuel Macron. Et si la Russie gagne quand même, que fait-on ?
À rebours de toutes les traditions diplomatiques, nos ambassadeurs ont également de plus en plus tendance à prendre parti lors d’élections, à militer bruyamment au lieu d’observer et d’analyser. Ainsi le sémillant Gérard Araud, ambassadeur de France à Washington, s’exclamera (sur Twitter, bien sûr), à l’annonce de la victoire de Donald Trump en 2016 : « Un monde s’effondre sous nos yeux. Un vertige. C’est la fin d’une époque ». Qu’il le pense, c’est une chose, mais rendre public ses états d’âme est contraire à la réserve nécessaire à son métier. Et après, comment discuter avec une nouvelle administration ? Elle vous regarde de haut et ferme la porte. C’est ce qui s’est passé.
Heureusement, il y eut la Cop 21 en 2015. Le triomphe de la diplomatie française, car c’est ainsi, et sans rire, qu’on nous présenta cette conférence destinée à faire entendre raison à ce méchant climat qui ose nous agresser. Puis les échecs s’accumulèrent, au Liban, en Afrique, où nous perdons tout, en Europe où nous comptons de moins en moins.
L’ultime symbole de cet effondrement diplomatique fut la nomination de Stéphane Séjourné aux affaires étrangères. Un homme inexpérimenté, à la formation universitaire minimum, au laisser-aller revendiqué, au langage incertain. Mais rassurez-vous, il a tout compris : « La plupart de mes homologues sont de la même génération, on s’écrit directement, ça va très vite. Si vous n’adoptez pas cette réactivité, que vous ne sautez pas dans un avion pour participer à la volée à une réunion, vous vous effacez et vous sortez de l’histoire. » Ce serait trop facile de lui répondre que pour sortir de l’histoire, il faudrait y être entré. Mais surtout, ce qu’il affirme est l’exact contraire de ce que devrait être le chef de la diplomatie. La médiocrité a rejoint l’idéologie, il n’y a plus de diplomatie française.