Rien n’est plus agréable qu’une biographie bien menée.
C’est le cas ici avec cette vie de Marie Adélaïde de Savoie, duchesse de Bourgogne. Les amoureux du XVIIe siècle et du début du XVIIIe, les passionnés du siècle de Louis XIV, tous les esprits cultivés et curieux qui s’intéressent à Versailles, à la vie de cour, à la politique française et européenne de l’époque, se retrouveront dans cet ouvrage qui allie excellemment la connaissance érudite la plus précise de toute la période à une plume à la fois alerte et vigoureuse, qui cherche la vérité psychologique la plus certaine des âmes. Tant de la princesse que de son entourage, dans l’emmêlement des relations que la vie sociale et politique fausse, déforme, irrite, enjolive ou dissimule, ce qui ne veut pas dire dénature ou altère, comme le croit une critique trop facile. C’est un art, et il y faut une pertinence du savoir, comme une sagacité du regard, qui suppose en arrière-plan une vaste et synthétique connaissance du contexte et de l’ensemble des sources historiques.
Notes et bibliographie, plus que copieuses, assurent du sérieux de cette étude qui ajoute au portrait déjà connu de cette charmante petite, puis jeune fille et femme qui fit, au dire même de Saint-Simon, les délices de la cour de Versailles à la fin du règne de Louis XIV.
Née en 1685, elle-même fille de Victor Amédée II, duc de Savoie, elle était par sa mère petite-fille de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV. Promise dès son plus jeune âge au duc de Bourgogne, fils du Dauphin, elle fut installée avant même la concrétisation du mariage à la cour de Versailles dès l’âge de onze ans, éduquée sous l’œil attentif de Madame de Maintenon.
Elle fit son devoir de dauphine avec intrépidité
Très vite, son caractère vif et même débordant en fit l’originalité des palais du Roi-Soleil vieillissant. Cependant, elle connaît très tôt les subtilités, puis les difficultés de la vie, avec des joies puisées jusqu’à l’épuisement dans les plaisirs les plus variés, enfin des amertumes, supportées vaillamment, son père, devenant l’ennemi du roi de France, la guerre de succession d’Espagne aggravant toutes les oppositions. Mais bonne française, en dépit des mauvaises langues, très attachée à sa famille maternelle, les Orléans, épouse certes d’un prince taciturne et trop sous l’emprise fénelonienne et saint-simonienne, belle-sœur du nouveau roi d’Espagne Philippe V, elle faisait face à tout joliment, puis de plus en plus souvent dans des affres morales, mentales et physiques qui transformaient sa vie, sous des allures d’apparente insouciance, en tragique destinée, jusqu’à sa propre mort prématurée à 27 ans.
Au milieu des décès qui se succédaient autour d’elle, qu’elle ressentait vivement, malgré l’étiquette, sans vouloir trop s’attacher à ses enfants que la mort fauchait, elle fit son devoir de dauphine avec intrépidité, comme future reine de France, mère du dernier héritier de la couronne qui subsistait, titré duc d’Anjou, qui sera notre Louis XV.
Elisabetta Lurgo ne fait point une hagiographie, loin s’en faut. Elle a déjà publié une Marie-Louise d’Orléans, la princesse oubliée et un Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, qui font autorité. Elle règle leur compte à trop de racontars dont certains prétendaient et prétendent encore salir les Orléans.
Dans cette biographie, elle nous donne à aimer cette duchesse de Bourgogne qui fut vraiment aimable, même si elle cachait les secrets de sa vie. Et quelle grandeur d’âme, sous le décor et parfois le masque d’une élégante frivolité ! Pour qui s’y connaît un peu, il y avait bien de l’esprit et même de la profondeur spirituelle derrière de telles attitudes. D’ailleurs, la langue maniée par de telles personnalités révélait par elle-même la force et la noblesse de leur caractère. C’est un plaisir de les lire aujourd’hui encore.
Elisabetta Lurgo, Marie Adélaïde de Savoie, duchesse de Bourgogne, mère de Louis XV, Perrin, 428 p., 24 €