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Une vie

En 1848, Jean-Marie Latour, prêtre de paroisse dans l’Ontario, est envoyé fonder un vicariat apostolique au Nouveau-Mexique.

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Une vie

Il n’a pas existé, c’est un personnage de roman, Willa Cather l’a imaginé et elle décrit avec précision son voyage, les plaines et les déserts, les cow-boys et les bourgeois, le pistolet de l’évêque et ses bivouacs, ses discussions avec un clergé local rebelle qui prône l’acculturation (le livre a été écrit en 1927, elle avait 54 ans)… On s’y croirait. Les personnages, solides et nuancés, existent, les anecdotes dessinent le portrait de la population indienne, ses ecclésiastiques sont criants de vérité, les déboires de l’évêque en butte à un schisme mexicain sont très vraisemblables quand on connaît l’histoire du catholicisme aux États-Unis. Mais tous ses mérites documentaires, pour ainsi dire, ne font que servir une intrigue : raconter une carrière de prêtre et d’évêque, raconter comment on administre un diocèse en y faisant venir des prêtres auvergnats, raconter comment on désire bâtir une cathédrale et comment tout peut échouer car Doña Isabella, désormais veuve du mécène, ne veut pas avouer son âge véritable, seule action qui l’empêcherait d’être dépouillée de son héritage par les frères de son époux défunt. Raconter la mort de l’archevêque (« Mon fils, j’aurais assez vécu pour voir redresser deux grands torts ; j’ai vu la fin de l’esclavage noir, et j’ai vu leur pays rendu aux Navajos. »). Tout l’art de Willa Carter est d’enchaîner avec une tranquille et fausse aisance des péripéties intelligentes et vraisemblables en accordant aux détails toute la part nécessaire à la crédibilité sans tomber non plus, comme Sinclair Lewis (dont l’admirable Babbitt date de 1922) dans l’accumulation des petits faits vrais qui arrache le livre à la littérature pour l’emmener du côté de l’ethnologie. Crédibilité et aussi sentiment d’une présence du monde qui s’exprime dans les métaphores : « la hutte [navajo] était aussi isolée qu’une cabine de navire au milieu de l’océan lorsque l’entourent les murmures des grands vents. […] Le sable crépitait comme une grêle sur les feuilles mortes du toit de branchage. » On n’a qu’un regret, que cette histoire ne soit pas aussi vraie qu’elle est belle.

 

Willa Cather, La Mort et l’Archevêque. Les Belles Lettres, 2024, 290 p., 14,90 €

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