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Les Imbonerakure : la milice controversée du Burundi

Comme le Rwanda, le Burundi a connu son lot de massacres ethniques. Bénéficiant d’un calme démocratique relatif, une milice promue par le gouvernement hutu actuellement au pouvoir fait craindre un regain de tensions en Afrique de l’Est.

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Les Imbonerakure : la milice controversée du Burundi

En avril 2024, un quotidien burundais a diffusé une information, rapidement relayée sur les réseaux sociaux, qui a suscité un certain émoi dans le pays. Deux conteneurs de machettes auraient été distribués aux Imbonerakure, le mouvement des jeunes du Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD). Bien que cette infox ait été rapidement démentie par le gouvernement, elle témoigne des peurs persistantes dans cette région des Grands Lacs, marquée par de nombreux massacres ethniques entre Hutus et Tutsis.

Les Imbonerakure, dont le nom signifie littéralement « Ceux qui voient loin » en kirundi, ont émergé dans un contexte de post-guerre civile au Burundi. Loin des yeux des médias, plus occupés à couvrir les événements sanglants au Rwanda, le Burundi a connu parallèlement une décennie de troubles politiques (1993-2005), ponctuée de coups d’État et de massacres interethniques. La signature des accords d’Arusha en 2000 a finalement conduit à la mise en place d’élections démocratiques cinq ans plus tard, remportées par le CNDD-FDD dirigé alors par Pierre Nkurunziza. Un régime autoritaire s’est progressivement instauré, avec en toile de fond la réhabilitation de l’ancienne monarchie tutsie (renversée en 1966), laissant peu de place à l’opposition. C’est dans ce cadre que le parti au pouvoir a structuré son aile jeunesse en créant un mouvement chargé de la mobilisation politique, du soutien à la base et de défendre et promouvoir les idéaux du parti.

Un million d’adhérents

C’est le nombre officiellement revendiqué par les Imbonerakure. Recrutés principalement parmi les couches sociales les plus pauvres de la société burundaise, enfants, adolescents et jeunes adultes reçoivent un entraînement quasi militaire. Si le gouvernement les qualifie de « pépinière » du parti au pouvoir et dément toute utilisation abusive de sa branche jeunesse, ils sont souvent comparés aux Interahamwe, cette milice armée composée de Hutus extrémistes, liée au pouvoir rwandais défunt et qui a joué un rôle central dans le génocide rwandais de 1994. D’après divers médias, ils suivraient même les traces des ex-Abadoriyo (« ceux qui espionnent »), une milice secrète chargée de surveiller l’armée dominée par la minorité tutsie, dont les anciens dirigeants hutus se méfiaient depuis le putsch d’octobre 1993. Ce putsch, mené par des officiers, avait abouti à l’assassinat du président Melchior Ndadaye (premier dirigeant hutu de l’histoire du Burundi) et de plusieurs autres membres du gouvernement.

Mobilisables en quelques heures, les Imbonerakure ont fait preuve d’une efficacité redoutable lors des événements de mai 2015. Lorsque le président Pierre Nkurunziza a annoncé qu’il se présenterait pour un troisième mandat malgré l’interdiction constitutionnelle, la contestation populaire a dégénéré en tentative de coup d’État menée par l’ex-chef des services de renseignement, le général Godefroid Niyombare. Les Imbonerakure auraient été utilisés comme supplétifs de la gendarmerie, pourchassant les partisans du putsch dans les rues de Bujumbura, l’ancienne capitale du Burundi. Cité par Radio-France Internationale (RFI), Léonce Ngendakumana, ancien président de l’Assemblée nationale (1995-2002), a publiquement dénoncé les « tirs à balles réelles » par ces miliciens sous l’œil complaisant des forces de l’ordre. En 2016, Human Rights Watch a publié un rapport sur leurs exactions, dénonçant des « viols collectifs de femmes ciblées en raison de leur appartenance à l’opposition ». Face à ces accusations, le CNDD-FDD a dénoncé un « complot international orchestré par le Rwanda, la Belgique [ancienne puissance coloniale qui a accordé l’indépendance au Burundi en 1962] et l’Union européenne, avec l’appui de la presse étrangère », d’après le mensuel Jeune Afrique qui a consacré divers reportages aux Imbonerakure.

Armés et dangereux

Si, au sein du CNDD-FDD, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer l’omniprésence des Imbonerakure qui semblent bénéficier d’une large impunité, pour beaucoup de Burundais, s’attaquer à ces miliciens est synonyme de représailles assurées. Leurs membres sont parfois arrêtés par la gendarmerie en marge de meetings de l’opposition qu’ils viennent perturber mais ils sont rapidement relâchés et ne sont pas poursuivis. Ils sont chouchoutés par le pouvoir qui leur a même consacré une journée entière où ils sont célébrés comme des héros et des guerriers, sous le regard de leurs généraux qui les galvanisent à travers de vibrants hommages enflammés. Preuve de leur influence au sein de l’appareil d’État, Ézechiel Nibigira, ancien patron de cette milice, est devenu ministre des Affaires étrangères en 2018, lors d’un remaniement inattendu, avant de prendre le ministère de la Culture, de la Jeunesse et du Sport deux ans plus tard. Une nomination vue comme un véritable pied de nez à l’ONU et aux associations locales de défense des droits de l’homme qui ne cessent de dénoncer les exactions et abus des jeunes du CNDD-FDD.

Bien que rien ne démontre actuellement que les Imbonerakure soient armés par le gouvernement, ce n’est pas la première fois qu’une telle accusation fait surface au Burundi. En mai 2014, le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU avait averti les instances internationales d’une possible livraison d’armes aux jeunes du CNDD-FDD. Le document avait fuité dans la presse, provoquant l’ire du gouvernement, qui avait alors répliqué en expulsant illico un diplomate onusien.

« Celui ou celle qui critiquera ou portera préjudice aux Jeunes Imbonerakure fera face à de grandes difficultés », a déclaré publiquement le général Évariste Ndayishimiye, actuel président du pays, lors d’une allocution qui a réuni des dizaines de milliers de Burundais en août 2023. Un discours qui résonne comme un sérieux avertissement à une opposition aujourd’hui réduite à sa plus simple expression, quelle que soit son appartenance ethnique.

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