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La France conditionnée [PM]

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L’hystérie tout à la fois martiale et sentimentale qui a saisi la France à la suite des attentats terroristes au début du mois de janvier est symptomatique de l’état des libertés concrètes dans notre pays.

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Sommes-nous entrés dans l’ère du « despotisme mou » que Tocqueville pointait comme une des pentes mortelles des régimes démocratiques ? Sommes-nous soumis à ce « pouvoir immense et tutélaire » que l’auteur de La démocratie en Amérique décrit comme « absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux » ? Qu’on en juge : sitôt la France subissait-elle une série d’attentats perpétrés par des jeunes français musulmans issus de l’immigration, que ce qu’il faut bien appeler le « système », créant des mots d’ordre répétés en boucle par les médias complaisants (« Je suis Charlie », « pas d’amalgame », « les premières victimes sont les musulmans »), imposait au pays tout entier sa propre (re)lecture des événements, aussi peu crédible soit-elle.

Les frères Kouachi et Amédy Coulibaly ont revendiqué d’agir au nom de leur foi (« On a vengé le prophète ! »), une foi certes peut-être dévoyée ? Nos élites lançaient sur le champ une campagne contre l’islamophobie et la « stigmatisation des musulmans ». La dérive sanguinaire des djihadistes a mis en lumière les limites d’un « modèle » de société promouvant le communautarisme et s’accommodant d’une immigration incontrôlée ? Contre toute attente, ces mêmes élites proclamaient la grandeur du multiculturalisme et l’urgence absolue de son corollaire, la « lutte contre le racisme »… Formidable démonstration de la capacité de manipulation de l’oligarchie qui nous gouverne ! S’emparant de faits rétifs à sa grille de lecture, elle les oblitère ou les transforme afin qu’ils avalisent son idéologie.

Entre cynisme et opportunisme
Mais il y a pire encore. Voulant faire croire qu’il n’existe aucune relation entre la politique d’immigration et la tuerie du 7 janvier, notre classe politique appelait à « l’unité nationale » sous l’étendard d’un journal, la veille encore, moribond, faute de lecteurs. Et d’enjoindre doucement mais fermement le bon peuple de communier au « vivre ensemble » et aux introuvables « valeurs de la République » dans une ivresse compassionnelle dont Manuel Valls et François Hollande, toute honte bue, réussissaient à tirer un bref mais spectaculaire regain de popularité. Ainsi, la responsabilité de ladite classe politique dans la constitution de ces ghettos radicalisés que sont devenues certaines de nos banlieues, terreau pour djihadistes autochtones, était purement et simplement escamotée. « Pas d’amalgame », intimait-elle avec les airs martiaux de rigueur.

Et ça marche ! Saturé d’images ressassés ad nauseam, noyé sous une bouillie de sentiments dévoyés, le pays était placé sous hypnose. Le « système », prenant les gens par la main, les emmenait là où bon lui semblait. Et gare à ceux qui s’éloignaient du troupeau bêlant des « Je suis Charlie » ! L’heure était à la traque et à la dénonciation. Et même au crime par la pensée car les suspects pouvaient se voir reprocher des propos qu’ils auraient seulement sous-entendus. « Maton de panurge » dépeint si caustiquement par le regretté Philippe Muray, Nathalie Saint-Cricq, responsable du service politique de France 2, incitait à « repérer et traiter (…) ceux qui ne sont pas Charlie »… Pour les envoyer en camp de rééducation ?

De ce conditionnement aboutissant à des réflexes de masse, de ce conformisme aliénant qui semble devenu notre horizon indépassable, de ce cynisme des élites qui nous anesthésie, tuant tout esprit critique, Laurent Obertone tire un livre explosif au titre percutant : La France Big Brother (Ring, 360 p., 18 euros). L’auteur du best-seller La France orange mécanique plonge le lecteur dans un univers orwellien régi par cette figure métaphorique des régimes policiers. C’est le nôtre.

Big Brother s’appelle République, démocratie, vivre-ensemble. Il est « la Voix, la rumeur du monde, le bruit de fond qui nous apprend à consommer, à obéir, à penser ». Sans vergogne, il falsifie la réalité ou le simple bon sens pour laisser la place à une sorte de nouvelle religion dont les dogmes sont l’antiracisme, la haine de soi, l’indifférenciation et la consommation de masse. Au « pays des droits de l’homme », qui a toutes les apparences d’une société libre, Big Brother est partout. Comme les « télécrans » du 1984 d’Orwell, il surveille, protège et, au besoin, punit.

Mais comment en est-on arrivé à entrer dans un univers aussi sombre ? Et d’où vient le fait que nous semblons parfois nous soumettre avec délice à ce pouvoir qui bride les libertés concrètes et, notamment, les libertés de l’esprit ?

Le système se nourrit de sa propre autocensure
Dans La Régression intellectuelle de la France, Philippe Nemo avance quelques explications : la première tient au monopole qu’une certaine famille idéologique – suivez mon regard…– est parvenue à établir sur l’école et les médias. Surtout, l’historien des idées politiques montre les ravages exercés par les lois de censure (loi Gayssot, loi créant la Halde, lois dites « mémorielles ») qui ont progressivement accouché – ou accompagné la naissance – de cette nouvelle religion, protégée, comme il se doit, par des tribunaux d’inquisition particulièrement tatillons.

C’est pourquoi, commente de son côté l’historien Philippe Pichot-Bravard, « les dessins vulgaires, injurieux, blasphématoires et calomnieux de Charlie Hebdo sont présentés comme l’expression d’une liberté précieuse alors que les plaisanteries d’un Dieudonné – quoi qu’on en pense par ailleurs – exposent son auteur à d’infamantes poursuites judiciaires et administratives ».

Mieux, l’énoncé de cet arsenal législatif étant volontairement ambigu – afin de réprimer non pas seulement les paroles mais également les pensées et les arrière-pensées –, la criminalisation des propos déviants suffit à réguler le discours dans la sphère publique. Le système se nourrit ainsi de sa propre auto-censure comme si le monstre avait échappé à ses géniteurs. à moins de n’avoir rien à perdre, qui prendrait le risque d’une mort sociale ou professionnelle en exprimant publiquement une opinion contraire à la doxa dominante ?

C’est le cœur du circuit complexe alimentant le disque dur de Big Brother : il est programmé pour refuser à l’autre le droit de penser. L’anathème est l’instrument rhétorique de sa domination. Ainsi de la reductio ad Hitlerum dont un Bernard-Henri Lévy (avec ses épigones Aymeric Caron ou Caroline Fourest) s’est fait le champion : soupçonnant ses adversaires de donner prise à « l’idéologie française » – déclinaison hexagonale du fascisme dont tout « Français de souche » est par nature suspecté –, il discrédite d’avance tous ses contradicteurs.

Imparable ! Il n’est plus besoin d’argumenter selon les critères du vrai ou du faux puisque ce qui compte désormais, c’est le pur ou l’impur. « Les mots « vivre ensemble », « laïcité », « changement », « Europe », « ouverture » ont été intégrés à la liste des mots servant à mobiliser tandis que les mots « intégrisme », « fascisme », « antisémitisme », « dictature » servent aujourd’hui à ruiner le crédit de l’adversaire et à détruire son argumentation sans qu’il soit nécessaire d’y répondre », poursuit Philippe Pichot-Bravard. Or, dans ce genre de discours moralisateur, ces mots n’ont aucune consistance réelle. Ils ne sont qu’une abstraction, comme l’étaient « le peuple » des Jacobins ou « le prolétariat » de Lénine. Une utopie.

« Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde », disait Albert Camus. En nommant les choses, nous reconquérons une part de ce réel vassalisé par l’utopie dont on sait qu’elle est toujours aux origines de la pensée totalitaire.

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