Le terme est vague. Il faut distinguer entre réfugiés, immigrés et envahisseurs, car un accueil sans discrimination confond charité nécessaire et inconséquence criminelle. Il ne s’agit pas d’égoïsme mais de justice.
Si la question de l’immigration tient une grande place dans les discours des hommes politiques, et aussi des hommes d’Église ainsi que dans les médias, force est de constater que les uns comme les autres ne font référence qu’à des « migrants ». Or cette notion recouvre un certain nombre de réalités hétérogènes et les traite en un vulgaire amalgame. Pourtant il existe différentes catégories de migrants non réductibles les unes aux autres. On peut grossièrement regrouper en trois familles pour analyser la place que l’on doit et/ou peut leur faire. Comme l’explique le premier livre de la Genèse, pour organiser le chaos il n’y a qu’une solution : discriminer, c’est-à-dire distinguer, séparer. Pour le faire il faut commencer par identifier chaque élément constitutif de ce tohu-bohu informe. Dans cette rapide approche, on identifiera simplement les trois grandes familles de migrants que l’on rencontre aujourd’hui : les réfugiés, les immigrés et les envahisseurs. Et on essaiera, pour chacune d’entre elles, de puiser dans la lecture de l’Évangile la façon dont un chrétien doit se conduire.
Le soutien inconditionnel aux réfugiés
Lorsque le pape François, dans son encyclique Fratelli Tuti, fait référence à la parabole du Bon Samaritain que l’on trouve dans l’évangile de Luc au chapitre 10 (versets 25 à 37), il ne donne en exemple que le cas d’un individu tombé entre les mains de bandits qui l’ont laissé comme mort sur le bord de la route et qui est ramassé par un étranger de passage. Le Samaritain qui se fait le prochain de ce malheureux le prend en pitié, non parce qu’ils sont étrangers l’un à l’autre mais parce que sans son aide le blessé mourra sans soutien. Le fait que dans cette parabole le Christ mette en scène des personnes qui appartiennent à des peuples différents et qui ne s’entendent pas signifie simplement que toute personne dans le besoin a droit au soutien de ceux qui peuvent lui venir en aide sans distinction d’affinité, de nationalité, de couleur de peau, de condition. Ce n’est pas l’apologie de l’aide à tous les migrants – pour quelque raison qu’ils se déplacent – mais l’illustration de la charité due aux plus vulnérables. Si cette charité s’étend à tout ce qui est nécessaire, elle n’oblige pas à aller au-delà. Le Bon Samaritain n’emmène pas chez lui la victime des bandits, il la confie à un hôtelier qui peut l’accueillir. Il va même plus loin puisqu’il dit à l’hôtelier que s’il a besoin de plus d’argent pour faire face à l’entretien du pauvre malheureux il le lui donnera et donc que, pour cela, il s’enquerra de tout ce qu’il aura dépensé pour permettre à celui-là de se rétablir. Son attention s’arrête là. Quand le malheureux sera rétabli, il reprendra son chemin en toute indépendance et rentrera chez lui où il retrouvera une vie normale. Il a droit aux soins que nécessite son état ; ce n’est pas pour autant que l’hôtelier va devoir lui permettre de faire venir sa famille ou d’installer ses coutumes dans l’établissement. Si ce blessé est bien l’image du réfugié, en danger dans son pays d’origine, le Bon Samaritain est celle de tout un chacun. Tout homme quel qu’il soit doit se conduire de la même façon vis-à-vis de son frère dans le besoin. Mais le réfugié, une fois le danger écarté n’a pas vocation à s’incruster ; il repart chez lui où il peut être utile, où on l’attend et où il retrouve ses racines.
L’accueil bienveillant des immigrés
Les immigrés, quant à eux, ressemblent plus aux ouvriers de la dernière heure dont parle Matthieu au chapitre 20 (versets 1 à 16) de son évangile. Ils cherchent à obtenir de meilleures conditions de vie en venant se faire employer dans un nouveau domaine. Une fois qu’ils ont été employés, ils sont admis à bénéficier rigoureusement du même régime que celui dont bénéficient ceux qui étaient déjà là avant eux. De ce passage nous pouvons tirer trois leçons principales. La première concerne le fait que le maître du domaine ne cherche pas à priver qui que ce soit – le pays d’origine en ce qui concerne les immigrés d’aujourd’hui – de ce que ces travailleurs auraient pu apporter. La deuxième est que ces étrangers ne sont traités à égalité avec les autres ouvriers présents qu’après avoir travaillé et apporté leur contribution à la production du domaine. Nulle part il n’est dit qu’ils ont droit à recevoir gratuitement les mêmes avantages que ceux qui ont supporté la chaleur du jour avant d’avoir commencé à apporter leur propre contribution. Leur rémunération est le salaire de leur travail. Cette rémunération n’est pas due a priori ; elle est la reconnaissance de leur participation, si minime qu’elle puisse être, à l’enrichissement du domaine ; elle est le fruit de leur intégration – à partir de leur embauche, ils font le même travail que les autres et ils s’adaptent aux mêmes conditions. Enfin, c’est le maître du domaine – dans un État moderne, le Gouvernement – qui décide de l’embauche et l’on peut admettre que sa décision tient compte des besoins du domaine et du travail qu’il peut offrir. Il ne s’agit pas pour lui d’ouvrir le domaine à des envahisseurs dans le cadre d’un grand remplacement des ouvriers en place, mais d’accueillir honnêtement ceux qui peuvent s’y accomplir en étant utiles à tous.
Le refus absolu des envahisseurs
Cela nous conduit à examiner rapidement le cas des envahisseurs. Ici l’attitude à avoir est simple. Saint Luc nous dit (chapitre 12, verset 39) que si le maître de maison savait à quelle heure les voleurs viendraient, il ne les laisserait pas entrer. Tout envahisseur, qui n’est qu’un vulgaire pilleur, est interdit d’entrer. Il n’y a pas d’exception. Or, celui qui est chargé de veiller à cet interdit, ce n’est pas n’importe quel habitant de la demeure, c’est le maître de la maison ; ce n’est pas n’importe quel citoyen, c’est celui qui détient la souveraineté (son lieutenant ou son intendant), autrement dit aujourd’hui, le chef du pouvoir exécutif (ou son ministre de l’Intérieur). Et il est responsable de cette sécurité vis-à-vis de tous les habitants de la maison. Sans cet ordre nécessaire il ne peut pas y avoir la moindre sûreté dans la maison. Si, à un moment donné, directement ou indirectement et quel qu’en soit le motif, les habitants de la maison sont amenés à choisir un nouveau maître, la première question qu’ils doivent se poser est celle de savoir si celui-là sera capable de ne pas laisser les voleurs entrer ; ce n’est pas une question d’égoïsme mais de respect du bien d’autrui et de solidarité avec les autres occupants légitimes de la maison.
Une nécessaire discrimination
Ces quelques considérations rapides montrent que la politique à mener au regard de l’immigration ne relève pas de l’amour ou de la haine de qui que ce soit, encore moins de la simple sensiblerie, mais du plus profond bon sens. Le détenteur du pouvoir a le devoir de discriminer tous ceux qui frappent à la porte du pays ; il doit trancher entre ceux qu’il laisse entrer et ceux qu’il refoule. Parmi les premiers il doit porter une attention particulière – et veiller à ce qu’il en soit de même de la part de tous ses concitoyens – à ceux qu’il reçoit par nécessité et qu’il fait profiter d’un accueil provisoire ; ils sont en fait prioritaires par rapport aux immigrés, qu’ils soient politiques, économiques ou climatiques (sic), à qui il demande de se conduire comme les autres citoyens et que le pays peut alors assimiler. Quant à tous les autres membres de la communauté, ils ont droit à la sécurité et à la possibilité de gagner leur pain à la sueur de leur front sur le territoire qui les a vus naître. L’accueil des « migrants » impose donc qu’il soit procédé à une certaine discrimination. C’est un devoir vis-à-vis des citoyens installés mais aussi, et peut-être plus encore, vis-à-vis des « migrants » eux-mêmes afin que les réfugiés ne risquent pas d’être confondus avec des envahisseurs (et inversement) dans un amalgame de mauvais aloi. Toute personne qui briguerait un pouvoir et ne serait pas capable de discriminer ainsi ne serait qu’un fauteur de chaos et les électeurs qui voteraient pour elle se montreraient complice du tohu-bohu qui en résulterait.
Illustration : La réalité de l’accueil inconditionnel des migrants : une autre misère.