Notre sujet, c’est l’Union européenne. Si le dossier se concentre sur la manière ahurissante dont les élites françaises nous sacrifient en permanence à cette grande idée américaine, tout en montrant, sur le cas précis de la défense, que des nations peuvent très bien agir ensemble sans se fondre les unes dans les autres, il s’agit surtout, aujourd’hui, d’affirmer une fois de plus à quel point nos institutions sont perverties par des esprits faussés eux-mêmes.
De l’affirmer alors que nous nous apprêtons à voter. Mais faut-il voter ? Et pour qui ? Il faut d’abord croire au vote, ce qui est beaucoup exiger. Qui peut croire qu’une mystérieuse suite d’opérations permet de déléguer utilement sa parcelle de souveraineté nationale floue à une entité supranationale qui souhaite s’affranchir des nations et étend toujours plus loin et profond son empire sur les droits nationaux ?
Il faut aussi examiner soigneusement ce que voter signifie : voter pour un parti, est-ce assumer toutes les actions de ce parti ? Les décisions qui furent prises, celles à venir, les renoncements passés, les compromissions de demain, les calculs d’hier, les volte-face de tout à l’heure… Mon sentiment est qu’il ne faut pas pécher par scrupule. Si voter est endosser personnellement la responsabilité des faits et gestes du parti qu’on a gratifié de sa voix, tous les évêques européens sont mal barrés, on ne peut pas le dire autrement. Considérons que voter obéit à des règles morales d’une souple casuistique et qu’un chenapan, un traître ou un criminel peut recevoir votre suffrage sans vous éclabousser de sa boue.
Les Français peuvent, affectueusement, emmerder Macron
On peut aussi voter pour de mauvaises raisons, la plus satisfaisante étant d’humilier la majorité présidentielle, avec affection, comme Macron lui-même nous l’expliquait en 2022. À ce compte-là, tous les votes se valent, même en faveur du parti animaliste (« L’Union européenne a ainsi le pouvoir de réorienter l’agriculture vers une végétalisation massive de notre production et de notre consommation grâce à la réallocation des subventions ») ; mais autant voter pour faire mal : je recommande de voter PS ou LR, car vous redonnerez vigueur à des partis que Macron croyait avoir siphonnés et aplatis, grosse piqûre d’amour propre, un prophète déteste les relapses. Bien sûr, voter RN et LFI permettra de faire courir de délicieux frissons dans l’échine des éditorialistes prêts à tartiner d’épaisses couches sur la montée des extrêmes. Il est bien entendu qu’on se moque de l’efficacité européenne réelle du vote et que seul compte l’effet national, ce qui est un peu faire le jeu de Macron, d’ailleurs.
Vous pouvez aussi vous dire que voter pour un parti qui défend des thèses souverainistes serait malgré tout utile ET énervant : ça enverrait un signal, comme on dit, signal aussi efficace que tous les précédents, mais quand même, à force que de force, on peut rêver, des mesures pourraient être prises : tenez, le Pacte sur la migration et l’asile, par exemple ; non, c’est un mauvais exemple… Mais vous voyez l’idée. Si on s’accroche à cette idée, autant que ce parti appartienne à un groupe actif au Parlement européen et qu’il propose des députés qui travaillent.
Si vraiment on veut bien faire
Il est bien entendu qu’il n’y a pas de vote utile, dans ces élections-là, puisqu’elles sont à la proportionnelle, ce qui est la règle dans quasiment toutes les démocraties au monde sauf en France, qui est un phare pour l’humanité, c’est certain, mais qui ne peut, bien sûr, éclairer sa propre base : tragique et glorieux destin qui mérite bien qu’on souffre les scrutins les plus injustes puisqu’ils permettent à notre président de fanfaronner en postillonnant ses projets à la face de toutes les nations – mais c’est un autre sujet.
Reprenons notre raisonnement : on peut voter pour ennuyer Macron, la meilleure manière de l’ennuyer tout en travaillant un peu au bien commun est de voter pour un souverainiste, comme le scrutin est proportionnel, aucune raison de sacrifier au vote utile, un bon parti souverainiste appartient à une alliance qui pèse, et pèserait encore plus, au Parlement européen, et un bon parti envoie des bons députés, c’est-à-dire des députés qui travaillent, discutent, débattent et votent. Il ne reste plus grand monde pour qui voter, alors. C’est le moment où nous vous laissons seuls avec vos trébuchets.