La réforme de la curie est un des défis du pontificat de François. Si un profond changement de style a pu faire croire qu’avec le nouveau pape un bouleversement se préparait, cette nouvelle réforme, la troisième depuis Vatican II, devrait en fait se réduire à de sérieux ajustements.
Les cardinaux qui ont porté Jorge Bergoglio au souverain pontificat, le 13 mars 2013, aspiraient à un gouvernement plus efficace. De fait, un mois après, le 13 avril 2013, le pape François annonçait une réforme de la curie, la troisième depuis Vatican II, en instituant un groupe de huit cardinaux (aujourd’hui neuf, avec le nouveau secrétaire d’état, le cardinal Parolin), « pour aider le Saint-Père dans le gouvernement de l’Église universelle et pour étudier un projet de révision de la Constitution apostolique Pastor bonus sur la curie romaine », groupe à la tête duquel était placé le cardinal hondurien Maradiaga, réputé « progressiste », et comprenant aussi le cardinal australien Pell, considéré comme « conservateur ».
La structure de la curie romaine est restée très originale. Elle a gardé la forme d’un gouvernement d’Ancien Régime, avec un monarque de droit divin décidant « en ses conseils », qui se sont stabilisés en congrégations, ayant chacune un domaine de compétence propre et dont l’organe principal est la plenaria, la réunion générale des cardinaux et prélats qui la composent sous la présidence du Préfet. Aujourd’hui, les organes de la curie (on parle pour les principaux de « dicastères ») sont : la secrétairerie d’état, « coupole » de la curie, le secrétaire d’état étant à la fois un Premier ministre et un ministre des Affaires étrangères ; neufs congrégations (pour la Doctrine de la Foi, pour le Culte divin, pour les évêques, etc.) ; trois tribunaux supérieurs ; et onze Conseils (Conseil pontifical pour les Laïcs, pour la Promotion de l’Unité, pour la Culture, etc.)
Un serpent de mer
En fait, depuis le dernier concile, on veut en permanence réformer cette Curie jugée toujours en insuffisante adéquation avec « l’esprit du Concile », malgré l’internationalisation de son personnel, la création de conseils chargés du dialogue interreligieux et du dialogue œcuménique, la transformation du vilipendé Saint-Office en congrégation pour la Doctrine de la Foi, l’adjonction d’un Synode des évêques comme expression de la collégialité épiscopale. à vrai dire, le problème principal de ce type de gouvernement ecclésiastique est celui d’une bonne coordination. Paul VI (constitution apostolique Regimini Ecclesiae Universae, 1967) a cherché à le résoudre par un accroissement de la fonction du secrétaire d’état et Jean-Paul II par une meilleure division du travail (constitution Pastor Bonus, 1988). S’ajoute la question récurrente des finances, autrefois gérées familialement (bas salaires – ils le sont restés –, placements à taux modestes mais sûrs, bonnes œuvres).
Mais les charges ont prodigieusement augmenté (œuvres de charité, fonctionnement des organismes romains, des universités pontificales, des nonciatures dans le monde entier). Et puis les finances du Saint-Siège et de l’état du Vatican ont été englobées dans les pratiques économiques contemporaines, avec les dérives que l’on sait : on se souvient du scandale Marcinkus (dirigeant de l’Institut des Œuvres de Religion, la banque vaticane, prise en 1987 dans les remous du krach du Banco Ambrosiano), plus gravement des pratiques de la seconde partie du pontificat de Jean-Paul II (l’affaire du Follieri Group, fondé notamment par Andrea Sodano, neveu du secrétaire d’Etat de l’époque), et pour finir des décisions désordonnées sous le secrétaire d’état Bertone.
Un profond changement de style (ne plus habiter les appartements pontificaux, simplicité affichée), a pu faire croire qu’avec le nouveau pape un bouleversement de la papauté et de son gouvernement se préparait. Chacun y allait de ses rêves : repenser la fonction pontificale, attribuer les plus larges compétences aux conférences épiscopales, décléricaliser (y compris avec l’ouverture du Sacré Collège aux femmes), etc. On peut au reste estimer que les vrais problèmes de l’église étaient tout autres, et que les mutations de son fonctionnement depuis cinquante ans ont manqué leur but, si l’on considère, au moins en Occident, l’effondrement humain, clérical, catéchétique du catholicisme.
Un aboutissement plus qu’une nouveauté
Finalement, cette nouvelle réforme de la curie devrait se réduire à de sérieux ajustements : fusion d’un certain nombre de conseils pontificaux entre eux ou avec des congrégations, constitution d’un pôle pour les questions de société, d’un autre pour les questions liées aux laïcs et à la famille. Serait aussi créé un grand dicastère pour l’éducation et la Culture. En fait, la réorganisation la plus efficiente sera certainement celle à laquelle travaille d’arrache-pied le cardinal George Pell, nommé préfet du nouveau secrétariat pour l’économie. Ce Secrétariat, conjointement avec le conseil de l’économie, fonctionne comme un ministère des Finances et opère cette « remise aux normes » qui avait été un des enjeux de la gouvernance chaotique du cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’état calamiteux de Benoît XVI : soumission de tous les organes du Saint-Siège à des procédures modernes de gestion financière ; formation de tous les comptables des dicastères et de l’état de la Cité du Vatican à de nouveaux principes comptables ; établissement d’une fonction de gestion des actifs et intervention d’experts en investissements (il s’agirait de ceux de BlackRock, première société de gestion d’investissement au monde, qui a son siège principal à New York).
En un mot, ceux qui espéraient une « démocratisation » de l’église romaine seront déçus. On remarque au passage que l’efficace secrétariat pour l’économie double les organismes existant chargés de ce secteur. Plus généralement, le pape court-circuite volontiers les cadres établis au moyen de contacts directs multipliés et de l’établissement de réseaux personnels. C’est un des aspects (avec les nominations et « limogeages » surprises) d’un exercice très autoritaire, très « jésuite » diront certains, de l’autorité pontificale : le pape réformateur consulte beaucoup mais il décide seul de tout.
Ce qui est plus un aboutissement qu’une complète nouveauté : depuis Vatican II, la papauté s’est considérablement personnalisée, à l’image de la figure du pouvoir dans le monde contemporain. Plus que Jean-Paul II, le pape François rattrape par un quotient personnel exceptionnel, par un charisme individuel, une perte d’emprise de l’institution sur la réalité ecclésiale. On voudrait croire ainsi que le nouvel organe curial chargé des familles sera conçu pour s’articuler au catholicisme de demain, celui dit des « forces vives », communautés jeunes, familles, écoles, mouvements, « nouveaux prêtres ». Mais il faudra sans doute attendre une réforme d’un autre type.