Civilisation
De nouveaux types de dictature qui attestent le retour de la prévalence de la Realpolitik
Le caractère révolu des dictatures fascistes et communistes.
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Parfois les conservateurs de musée sont énervés. Que se passe-t-il, en France, entre 1420 et 1460 ? Le “siècle de Charles VII” (qui régna de 1422 à 1461) n’a-t-il rien apporté de remarquable et ce roi mal aimé, éclipsé par Jeanne d’Arc, René d’Anjou ou Jacques Cœur, mérite-t-il d’être coincé entre les primitifs français et 1500 ? La France ravagée par la guerre de cent ans est-elle une page blanche artistique ?
« Les arts en France sous Charles VII » entend démontrer le contraire et y réussit brillamment. En Bretagne, en Champagne, à Paris, en Provence et en Touraine, les artistes vivent et produisent. Réinstallé sur son trône et si occupé qu’il soit à reconquérir et augmenter son royaume, Charles VII passe commande, et son entourage avec lui. Ce siècle, son siècle, c’est celui de Jean Fouquet, Haincelin de Haguenau, Barthélémy d’Eyck, Enguerrand Quarton. Mais la France n’est-elle que le réceptacle passif de l’Ars nova flamande et de la manière italienne qui se seraient faufilées sur la trame du gothique international jusqu’à la recouvrir ?
Tout en se défendant, avec une scrupuleuse insistance, d’être nationalistes, les commissaires de l’exposition affirment qu’il y a bien un art français au XVe siècle, non pas écartelé entre deux courants mais bien “syncrétique”, ou plutôt, comme disait André Chastel que cette question de la francité de l’art obséda, tempéré : l’art français reçoit, tamise, restitue dans une version jamais outrée mais toujours tempérée pour s’arrêter juste avant l’excès. Ceci posé, l’exposition est surtout une rare collection de pièces exceptionnelles dont la proximité provisoire renforce les beautés : « L’ensemble du Triptyque de Dreux Budé est reconstitué pour la première fois. Le gisant d’albâtre d’Agnès Sorel n’avait jamais quitté son lieu de conservation auparavant. Des vitraux de la cathédrale d’Angers, tout juste restaurés, ont été déplacés pour l’occasion. »
On peut s’émouvoir d’une Lettre aux habitants de Reims signée de Jeanne d’Arc ou considérer l’éclat des douze sceaux de cire rouge du Traité de paix entre Charles VII et Philippe le Bon, duc de Bourgogne, ratifié par les ambassadeurs du roi de France (Arras, 21 septembre 1435) mais l’intérêt historique cède vite devant les anges fleurdelysés qui plongent vers le roi en tenant au-dessus de sa tête une couronne céleste (c’est le dosseret, partie verticale du dais tissé pour Charles VII, qui, une fois assis, était ainsi perpétuellement couronné) ou ceux , innombrables, qui peuplent le ciel à l’arrière-plan d’une Déploration du Christ enluminée du Maître de Rohan (1430), où Dieu le Père contemple son fils avec tristesse.
Les enluminures constituent une part importante de l’exposition puisque la BnF a prêté des dizaines de manuscrits. Concentrés sur la démonstration de leur thèse un peu provocante d’une Renaissance française qui serait en fait née au XVe siècle, les commissaires dissertent sur les influences, les voyages, les modèles, et oublient parfois dans les cartes de décrire ce que représentent ces images : pourquoi la grande Mater dolorosa en buste des Heures de René d’Anjou (c. 1460) a-t-elle une verrue sur la joue gauche ? Pourquoi le Maître des Heures Collins, dans sa Digne vesture au prestre souverain (1437) a-t-il représenté la Vierge revêtue d’ornements sacerdotaux ? Pourquoi Dieu le Père, dans le Missel à l’usage de Troyes (c. 1440), en face d’une crucifixion (diptyque présent dans au moins trois manuscrits), a-t-il l’air d’un empereur chinois ? Nos savants ne sont sensibles qu’à « la citation explicite d’un modèle des frères Limbourg issu des Belles Heures de Jean de Berry. »
Petite réserve qui s’efface bien vite devant les Pleurants du tombeau d’Anne de Bourgogne (c. 1440) ou la tapisserie de la Délivrance de saint Pierre (1461), avec les trognes des soldats endormis. Dans le Retable de l’Annonciation de Barthélémy d’Eyck (1443), c’est l’archange Gabriel qui est revêtu d’une dalmatique en face d’une Vierge dont le manteau doré ressemble aux fonds dorés et fleuris des vieilles peintures. Barthélémy d’Eyck qui est présent aussi avec son Traité de la forme et devis comme on fait un tournoi (1463) où les chevaliers grouillent dans le champ clos, devant les dames coiffées « en selle de cheval ». Alors, le règne de Charles VII, le Bien Servi, fut-il celui des prémisses de la Renaissance ? On est conquis par la démonstration. Le souverain y prit une part discrète, laissant à sa cour le soin des commandes fastueuses. Il bâtissait lui-même un autre chef-d’œuvre, légué à Louis XI.
Illustration : Dais dit de Charles VII, d’après Jacob de Littemont, c.1430-1440, © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle