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Éclatante Renaissance

Nous avons tous eu une image de la Renaissance, formée à l’école et portée par le nom attribué à cette période : une rupture esthétique, radicale, lumineuse, colorée, érudite et sensuelle, avec un Moyen-Âge sévère, morne, malhabile et ignorant. Quelques années nous ont suffi à tous pour considérer avec méfiance ces ruptures extraordinaires, ces « passages de la nuit à la lumière » qui tiennent plus des éléments de langage du propagandiste que du discours du savant ou des admirations de l’amateur.

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Éclatante Renaissance

Mais l’exposition « Le Goût de la Renaissance. Un dialogue entre collections » nous replonge avec bonheur dans nos années de classe quand la Renaissance nous apparaissait comme une joyeuse explosion. Les pièces présentées sont exceptionnelles, rarement exhibées, minutieusement choisies, avec un catalogue qui en détaille avec une érudition amoureuse les pedigrees. Bien évidemment, l’appareil scientifique insiste sur les influences, les fusions, les origines et ne présente pas le XVIe siècle comme un aérolithe tombé du ciel païen pour exterminer le dinosauresque Moyen-Âge – ne serait-ce que parce que toutes les œuvres présentées ne sont pas exclusivement européennes, comme le Coffret Robinson, en ivoire, sculpté vers 1557 à Ceylan « pour célébrer la conversion de Dharmapala au christianisme » et être offert aux Portugais.

Ce qui a présidé au choix, c’est la volonté d’offrir aux visiteurs l’impression de visiter un de ces cabinets de curiosités, de ces chambres des merveilles, où leurs propriétaires entassaient antiquités, objets rares et curiosités naturelles, avec plus ou moins de bonheur. Ici, le bonheur est complet (à peine diminué par la petite taille de l’exposition : outre que certaines pièces mériteraient à elles seules qu’on se déplace, le cadre de l’Hôtel de la Marine parachève la visite). Un Saint Jérôme de Crivelli (1481) est à quelques mètres du Portrait d’Henry VIII par Holbein (c. 1550), qui fait face à celui de Marguerite de Habsbourg par Juan de la Cruz (c. 1600). Tous les deux arborent des bijoux somptueux, comme ceux qui ouvrent l’exposition : une enseigne à chapeau (insigne que les hommes portaient cousu à leur chapeau) représentant le Sacrifice d’Isaac, de 7 cm de diamètre, avec une inscription Sic ex fide vita (« ainsi de la Foi naît la vie »), est une merveille d’or ciselé, d’émaux délicats et de pierreries asservies à des rôles très utilitaires, comme ce diamant représentant la lame du couteau ; ou le Zodiaque Arundel (v. 1540), grande intaille de cornaline avec Jupiter flanqué de Mercure et de Mars (« la composition dérive d’un modèle imaginé par Raphaël pour un frontispice d’une édition de l’Énéide jamais éditée mais gravée… ») sertie dans un jonc d’or ouvragé dont le revers représente une grue en émail translucide sur fond d’or entouré de végétaux.

Il ignore avec un détachement souverain le fait qu’il est en enfer

L’exposition entend donner à voir tout l’éventail des arts et des techniques, cristaux, émaux, sculptures, pierres dures, mobilier, vaisselle… Une miniature de François Clouet, Portrait de Charles IX, vient rappeler l’excellence de la France en la matière mais les médaillons de Nicholas Hillard sont de toute beauté, surtout un Homme inconnu (c. 1600) qui, en chemise, tient un pendentif sans doute offert par sa dulcinée, sur un surprenant fond entier de flammes pâles : on entend bien qu’il brûle d’amour, mais on a surtout l’impression qu’il ignore avec un détachement souverain le fait qu’il est en enfer.

Dans une vitrine, une coupe en émail de Limoges de 1539, de Jean II Pénicaud, raconte l’histoire de Samson en grisaille sur fond bleu sombre, une alliance de couleurs onirique à souhait car Samson, successivement mais simultanément (puisque sur une seule image) furieux, endormi, emporté, enchaîné et déchaîné, paraît, gris fantôme, errer dans une nuit profonde et limpide, la perfection de la surface émaillée étant comme cette barrière infranchissable entre rêve et réalité. Barrière que franchit aisément la Licorne marine en argent doré (début XVIIe) de l’orfèvre Heinrich Isselburg qui jaillit de la coquille d’un Turbo marmoratus. Mais peut-on encore s’étonner d’une licorne marine après avoir vu au cinéma le bestiaire d’Harry Potter ?…

Contemplons plutôt la Nymphe allongée dans une coupe de faïence glacée (« à glaçure plombifère ») d’Avon (vers 1600). Cette aimable Ophélie découvrait sa blanche nudité au fur et à mesure que la sauce était puisée, comme dans ces petits verres asiatiques. Mais dans une vitrine, alanguie dans sa coupe bleue nette et brillante et nous regardant droit dans les yeux, on dirait bien plutôt la Vouivre de Marcel Aymé, étonnée qu’on ne veuille pas dérober son escarboucle.

 

Le Goût de la Renaissance. Un dialogue entre collections. Hôtel de la Marine, Paris, jusqu’au 30 juin 2024.

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