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Entre deux maux, ne pas choisir

Ni Trump ni Biden ne rassemblent la moitié des Américains sur leurs personnes. Affreux totems dressés l’un contre l’autre, ils se servent mutuellement de caricatures, au risque de dégoûter les électeurs.

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Entre deux maux, ne pas choisir

La manière dont l’administration Biden se sent obligée de moins soutenir Israël pour de pures raisons électorales est exemplaire de la démocratie américaine. Car simultanément, ou presque, Trump a décidé d’expliquer que n’importe quel pays traité comme Israël aurait réagi de la même manière. La politique orientale des États-Unis, présente et à venir, est fonction des sondages : comme Biden en a assez qu’on (les Démocrates les plus à gauche, la communauté arabe installée aux États-Unis) lui reproche son soutien sans faille à un pays qui paraît décidé à mener une guerre à outrance et même à profiter de l’occasion pour coloniser à grande échelle1, le voilà qui ouvre enfin les yeux sur le calvaire des Palestiniens. Quant à Trump, il espère sans doute que son soutien précipitera vers lui les riches donateurs horrifiés par les outrances des Démocrates wokes.

Il n’est rien qui ne soit soumis à la toise de la réélection, jusqu’aux manœuvres politiciennes des Démocrates pour associer politique anti-immigration et soutien à l’Ukraine, ou transformer l’avortement en cause nationale (ce n’est pas en France qu’on verrait ça), mettant à profit l’hystérie permanente des Américains – qui ne date pas du wokisme – pour transformer Trump en épouvantail ; lui-même n’est pas en reste et se présente, à moitié à bon droit, comme une figure messianique martyrisée, au moins judiciairement, par les Pharisiens de Washington, et présente son programme, Project 2025, comme un instrument de salut : « Les actions des politiciens gauchistes à Washington ont créé un besoin désespéré et une occasion unique pour les conservateurs de commencer à réparer les dégâts causés par la gauche et de construire un pays meilleur pour tous les Américains en 2025. Il ne suffit pas que les conservateurs gagnent les élections. Si nous voulons sauver le pays de l’emprise de la gauche radicale… »

Les positions outrancières donnent le ton

Mais les Américains n’en peuvent plus de cette hystérisation et de se voir sommer de choisir un camp aux convictions formant un bloc homogène – car ils ne sont pas homogènes. Shelle Lichti, camionneuse lesbienne mère d’un fils transgenre, a voté Trump en 2016 et Biden en 2020 et là elle ne sait pas. Elle n’est ni conservatrice ni progressiste et certainement pas Républicaine ou Démocrate. Elle ne veut pas rentrer dans une case. Pas plus que Priyanka Wolan, Indienne qui a émigré aux États-Unis et se croyait à gauche mais commence à trouver très lourdes ses amies Démocrates qui lui reprochent de pratiquer l’éducation à domicile plutôt que d’avoir inscrit ses filles à l’école publique et de leur faire écouter du Mozart au lieu d’être à fond dans la décolonisation de la culture2.

Trump, qui a capté il y a huit ans la colère des laissés pour compte, les a ensuite lassés par le durcissement idéologique de ses positions, adoptées pour conforter une base électorale mais en fait la fragilisant : rejeter les élites, oui, vomir les politiciens professionnels, bien sûr, renoncer au libéralisme moral, pas question. Se mettre à voter à droite parce qu’on n’en peut plus du laxisme judiciaire à Austin, oui, se mettre à voter à gauche en Alabama parce que la machine arrière toute en matière d’avortement fait peur, même aux chrétiens, oui, aussi. La moitié des Américains pensent que Trump n’est pas apte à diriger le pays, et deux sur trois pensent que Biden non plus. 52,8 % ont une opinion défavorable de Trump et 54,4 % trouvent Biden impopulaire. Est-ce vraiment sur ces écarts qu’on peut bâtir une victoire ? Ceux qui votent sont-ils sensibles au personnage ou dubitatifs sur ses capacités ? Les Démocrates ont transformé Trump en Bête de l’Apocalypse et lui désigne nommément ses adversaires, même Républicains, comme autant d’antéchrists : le wokisme, que détestent les Républicains et qui fait peur aux Démocrates, a en fait gagné puisque d’une part ce ne sont plus que les positions outrancières, ou outrancièrement affirmées, qui donnent le ton et, d’autre part, les candidats ne représentent plus qu’eux-mêmes, purs symboles – un comble dans un pays où “la majorité” a encore une valeur politique. Pendant ce temps, l’abstention devient une tentation.

 

1 . Le gouvernement israélien a saisi le 22 mars 800 hectares de terres en Cisjordanie, le jour même de la visite du secrétaire d’État américain : message !

2. Je ne connais ni Shelle ni Priyanka, j’ai lu cet article : www.thefp.com/p/the-great-scramble (le grand brouillage) paru le 8 janvier 2024.

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