L’Iran ne bouge pas. Hezbollah, Houtis, il y a des escarmouches mais le conflit reste contenu : l’Iran n’a pas les moyens d’un conflit, la dictature islamiste est fragile à cause de son économie, Israël ne veut pas d’un second front, les États-Unis ne veulent pas jeter aux orties la normalisation en cours au Moyen-Orient… Seul le Hamas a intérêt à ce que la guerre s’étende.
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Depuis l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre dernier et l’incroyable violence de la riposte israélienne, le monde scrute le comportement de l’Iran, acteur essentiel de la poudrière orientale. Le Hamas a dû être déçu : dans les jours qui ont suivi son offensive, l’Iran n’a pas bronché et n’envisage pas de le faire. Les spéculations selon lesquelles les mollahs de Téhéran étaient derrière le 7 octobre ont fait long feu. On le sait d’ailleurs maintenant avec certitude : personne n’était au courant et tout le monde a été stupéfait, l’Iran comme la Russie, le Qatar ou l’Arabie Saoudite. Une fois ce point acquis, la question restait entière : qu’allait faire l’Iran ? Envoyer le Hezbollah libanais attaquer Israël au nord ? Organiser des bombardements sur l’État hébreu par milices irakiennes chiites interposées ? Rien de tout cela ne s’est produit.
En réalité, l’Iran est peut-être intervenu mais indirectement et jamais contre Israël. L’action la plus spectaculaire a consisté en l’attaque par drones d’une base américaine située dans le sud de la Syrie (et non dans le nord de la Jordanie comme cela a été souvent écrit). Trois militaires américains ont été tués. Ce sont les milices chiites irakiennes qui étaient à la manœuvre. L’Iran est peut-être derrière mais ce n’est pas une certitude. D’autres attaques ont été organisées contre d’autres bases avec moins de dommages. Rappelons au passage que les Américains occupent une partie importante de la Syrie sans aucun fondement légal et que cela ne semble déranger personne. Ces derniers, après avoir promis une terrible réaction, se sont contentés d’envoyer quelques missiles sur des miliciens chiites irakiens. Une sorte de service minimum.
Les Houtis, nouveaux acteurs de la région
La prudence est donc réciproque car personne n’a intérêt à un embrasement généralisé. Les Houtis, chiites, qui contrôlent maintenant une bonne partie du Yémen, n’ont pas la même retenue. Ils ont pris une initiative originale qui a consisté à bombarder les bateaux de guerre américains, sans succès, mais aussi les navires de commerce passant au large de leurs côtes à destination du Canal de Suez. Cette fois la réussite fut au rendez-vous et plusieurs cibles ont été touchées, semant une belle pagaille dans l’ensemble du transport maritime. Suez devient trop dangereux et la route passe maintenant par le cap de Bonne Espérance, soit un léger détour…
Les Iraniens auraient pu être soupçonnés de connivence car ils ont activement soutenu la rébellion houtiste contre le régime sunnite en place. Mais il n’en a rien été, les Houtis agissent de leur propre chef et personne, pas même l’Amérique, n’a pointé l’Iran du doigt. Mais c’est bien sûr le long de la frontière libanaise que le risque de voir la situation dégénérer était le plus important.
La retenue du Hezbollah
Et là non plus, pour l’instant, l’explosion n’a pas eu lieu. Certes, les échanges d’artillerie sont importants et plusieurs dizaines de Libanais, dont plusieurs combattants du Hezbollah, ont été tués. Le pire ne s’est cependant pas produit : pas d’incursion du Hezbollah et pas d’invasion israélienne. La milice chiite libanaise étant totalement dépendante de l’Iran, tant financièrement que pour ses livraisons d’armes, il est évident que c’est sur ordre de Téhéran que le Hezbollah se montre très prudent. Les déclarations de Nasrallah, le chef de la milice, sont d’ailleurs constantes sur le sujet. L’État israélien, de son côté, n’a pas intérêt à ouvrir un deuxième front.
La seule initiative spectaculaire prise par Israël a été l’élimination par missile d’un chef du Hamas dans la banlieue chiite de Beyrouth. Les représailles promises par le Hezbollah ont été minimes et l’affaire est presque oubliée. D’où vient cette prudence iranienne ? Elle est finalement assez simple à expliquer. L’Iran ne va pas bien. Sa population est mécontente, le niveau de vie a baissé et les sanctions occidentales (américaines surtout) l’affaiblissent vraiment. Autant la Russie a les capacités de résister aux sanctions et même de les transformer en atout, autant l’Iran n’en a pas les moyens.
Pas d’aventure extérieure pour l’Iran
Les émeutes contre le port du foulard et la répression de la police des mœurs n’ont, comme prévu, pas fait vaciller le régime, mais l’inquiétude est réelle chez les mollahs. Après 45 ans de dictature islamiste, ils sentent bien que leur impopularité est croissante et qu’un échec économique peut être l’élément déclencheur d’une révolte plus grave que les émeutes du foulard.
C’est pour cette raison qu’un rapprochement s’est opéré avec l’Arabie Saoudite, ennemi encore juré il y a peu. Mohammed ben Salman, le prince héritier saoudien, était également favorable à un apaisement des relations, correspondant bien à sa volonté de moderniser son pays à marche forcée et de mettre fin aux conflits régionaux. De plus, son échec militaire au Yémen l’incite dorénavant à davantage de prudence.
Dans le même temps, de discrets signaux ont été envoyés aux Occidentaux pour tester leur éventuelle volonté de reprendre les négociations sur le nucléaire afin d’envisager une levée des sanctions, seul moyen de relancer l’économie du pays. Cela n’a pas encore été couronné de succès, mais dans la conjoncture actuelle, ce n’est de toutes façons guère envisageable.
De plus, au-delà du conflit israélo-palestinien, il y a le calendrier électoral américain. Les élections ont lieu en novembre et jusque-là la situation restera sans doute figée. Si Biden (Anthony Blinken, plus exactement, compte tenu de l’état mental du président) donne son feu vert pour des négociations, Trump se précipitera dans la brèche pour accuser les démocrates de faiblesse envers le pouvoir iranien. D’ailleurs si Trump est élu, il est peu probable qu’il accepte les ouvertures iraniennes. C’est lui qui avait dénoncé le traité de Vienne et renvoyé l’Iran à ses sanctions et à ses recherches nucléaires. Il serait très surprenant qu’il envisage de changer de cap à ce sujet. C’est donc au plus mauvais moment pour l’Iran que le conflit israélo-palestinien est relancé. Tout est maintenant gelé, en attendant une sortie de crise, ce qui peut prendre un certain temps.
La question palestinienne est revenue sur le devant de la scène
Les Iraniens ne sont toutefois pas les seuls à être bien embarrassés. Les Américains sont ainsi dans une posture plus délicate encore. En effet, ils convainquaient petit à petit les pays du Golfe de normaliser leurs relations avec Israël. Comme souvent, les Émirats Arabes Unis avaient montré la voie et déjà officialisé leur reconnaissance de l’État hébreu. Notons au passage que c’est à peu près au même moment que ces mêmes Émirats ont rouvert leur ambassade à Damas. Une sorte de troc avec l’Amérique n’est pas à exclure.
L’Arabie Saoudite à son tour examinait la question et plusieurs réunions discrètes s’étaient déroulées entre responsables israéliens et saoudiens. Si l’affaire avait abouti, c’eût été une révolution géopolitique majeure : le pays de La Mecque reconnaissant l’État juif, sous arbitrage américain, quel triomphe pour Washington ! Aujourd’hui, la violence de la réaction militaire israélienne et les dizaines de milliers de morts civils qui l’accompagnent, ainsi que le soutien militaire américain massif, remettent tout en cause. Les opinions publiques arabes sont indignées du sort réservé à Gaza et il faudra sérieusement décaler le calendrier d’une reconnaissance d’Israël par l’Arabie Saoudite.
Il semble d’ailleurs évident que l’un des buts de l’opération du Hamas était précisément de saboter ces pourparlers. De ce point du vue, la réussite est complète. La question palestinienne, de plus en plus négligée par les pays arabes, est bien revenue sur le devant de la scène. Cet enchaînement imprévisible va donc retarder les projets iraniens. Mais la modération militaire du régime des mollahs montre bien que la normalisation diplomatique et économique est toujours à l’agenda de l’Iran.
Illustration : L’ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême, s’adresse à une foule galvanisée par son énergie.