Pour aller à Rmeich, il fallait partit tôt. Sortir de Beyrouth. Doubler Sidon, sans s’arrêter au château de la mer, puis bifurquer avant Tyr et les délicatesses de son port. Souvent, nous passions par Cana, où la terrible mémoire des bombardements de 1996 et 2006 l’emportait sur l’hypothétique mémoire du lieu des Noces.
Le mariage de sang entre la ville et l’armée israélienne marquait toutes les mémoires. La nuit du 30 juillet 2006, où l’effondrement d’un bâtiment visé par Tsahal coûta la vie à des dizaines de personnes, dont au moins seize enfants, provoqua l’ire des chancelleries et la consternation du grand public. Doublant la ville, nous touchions ensuite à la petite ville de Rmeich où les volontaires logeaient dans un modeste appartement qui donnait sur la route passante. Un magasin était en bas du petit immeuble et connaissait bien l’équipe des bénévoles de SOS chrétiens d’Orient, fourmillant d’initiatives pour inscrire son action dans la région. Plusieurs photos me remémorent nos accomplissements.
En 2017, nous inaugurions un générateur chargé d’assurer l’autonomie de l’approvisionnement des habitants en eau. C’était à l’issue d’une superbe aventure avec des amis venus découvrir le Pays du Cèdre, « Mémoire(s) de guerre », où notre petite compagnie visita certaines des villes les plus emblématiques des cicatrices historiques du pays. Noël solidaire, travaux des champs, visites aux familles, soutien aux institutions scolaires et religieuse, nos équipes n’ont jamais cessé d’œuvrer pour maintenir une présence française dans la zone. J’avais d’ailleurs également assisté au spectacle de clôture d’un patronage dans un établissement du village, en même temps que des soldats français de la FINUL qui pouvaient évoluer auprès de jeunes simplement heureux de les voir parmi eux.
Désintérêt total des nations européennes
Dans un témoignage accessible sur soschretiensdorient.fr, une ancienne volontaire présente dans l’antenne en 2020 écrit : « Des collines à perte de vue où au sommet l’on peut entendre le muezzin des villages voisins qui viennent rompre le silence. Une terre calcaire où les chemins caillouteux nous mènent à des champs d’oliviers et de tabac. À la tombée de la nuit, 21 heures précises, les coyotes chantent sous la lune, un concert organisé rien que pour nous. »
Aujourd’hui, bien des habitants ont fui les bombardements israéliens, se réfugiant là où ils le purent, notamment à Beyrouth. Dans un Liban déjà accablé par la détresse économique, où plus de 30 % de la population est sous le seuil de pauvreté, et où l’État a fait défaut sur sa dette, l’aide est des plus maigres. Pourtant, le soutien international à ses déplacés est inexistant. Bafouée, la souveraineté libanaise n’est plus l’objet d’attention et ses habitants peuvent crier de toutes leurs forces, les capitales jugent avoir suffisamment entendu parler des Libanais.
J’oubliais de vous dire que les habitants de Rmeich sont chrétiens et qu’ils souffrent du désintérêt total des nations européennes pour les voisins du conflit en Terre Sainte. Qu’ils voudraient que nous fussions dignes de leur opiniâtreté à continuer à vivre à quelques pas de la frontière israélienne, dans une zone où l’influence du Hezbollah concurrence largement celle de l’État. Ils n’ont besoin ni de nos leçons, ni de nos imprécations, ni de nos simplismes. Ils ont besoin de notre charité active et déterminée. J’irai à Rmeich dès que possible, et je compte sur vous pour dire partout que ces chrétiens du bout du Liban méritent mieux que notre indifférence.
Illustration : 26 octobre 2023. Mgr Charbel Abdallah, évêque de Tyr, s’est rendu dans les villages chrétiens situés à la frontière libano-israélienne ; il montre les collines où ont lieu les bombardements entre le Hezbollah et Israël, à 2 km de là.