Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Les lecteurs de Politique Magazine ont bien raison de profiter des dieux lares pendant ce mois de décembre. De l’Avent à Noël, de l’attente jusqu’à l’Incarnation, les délices familiaux sont trop précieux pour être manqués.
Ils n’échapperont pas à la litanie des souffrances de notre temps. Les unes toutes proches, au sein de nos pénates ou à l’entrée de nos rues, les autres lointaines, tant les motifs d’effroi et de consternation ont été accumulés au cours de cette années 2023. SOS chrétiens d’Orient ne manquera d’allonger la liste, mobilisant nombre de nos lecteurs, appelant à votre générosité pour les chrétiens d’Arménie, de Palestine, du Liban et d’ailleurs. Comme chaque Noël, nous espérerons en vos prières pour nos volontaires éloignés de leurs proches, qui épousent la soirée des communautés chrétiennes orientales pour espérer la venue du Sauveur.
Ils sont nos vigies là-bas, auprès des familles chrétiennes déplacées du sud du Liban ou des réfugiés du Haut Karabagh, qui passent parfois leur première fête de la Nativité loin de leurs terres ancestrales. La grande espérance christique réchauffera peut-être leurs soirées, leurs entrailles et jusqu’à leur désir de continuer à participer de cette indéfectible chaîne du temps qu’est la présence chrétienne au Moyen Orient et dans le Caucase.
À ces appels familiers, permettez-moi d’ajouter quelques mots. Nous sommes tous prisonniers de la dictature médiatique des émotions et des indignations. Abreuvés d’images, d’horreurs et de sollicitations, nous laissons, inconsciemment, les récits médiatiques s’emparer de notre attention. Le monde contemporain n’a rien inventé à cet égard, seulement exaspéré une inclination naturelle de la vie sociale. Cette exaspération est insensible pour ceux qui la déploient : après tout, les larmes comme les énergies ne sont pas inépuisables ; elle est beaucoup plus problématique pour l’implication des institutions internationales chargées d’apaiser les souffrances humaines liées aux conflits ou aux drames humains.
Je tiens de cadres de SOS chrétiens d’Orient qui reviennent tout juste d’Éthiopie des témoignages absolument atroces au sujet de la guerre civile qui a eu lieu au Tigré entre novembre 2020 et novembre 2022. Viols systématiques, population affamée et coupée de vivres, destructions patrimoniales, déportations massives de population. L’Union africaine parle de 600 000 victimes. Comment interpréter le quasi silence des journaux français sur ces faits ? Les victimes, très souvent chrétiennes, n’étaient certes pas pourchassées pour leur foi, mais le désintérêt occidental pour ce conflit laisse des traces profondes dans la perception des engagements réels de nos nations.
Ce détournement du regard est toujours à l’œuvre dans la région, au Soudan tout proche. Après avoir soutenu des militants dits de la démocratie pendant des années, l’Union européenne et les États-Unis assistent à un affrontement sanglant entre deux seigneurs de la guerre. On compterait désormais plus de 7 millions de réfugiés des conflits, dont une bonne partie dans l’Égypte voisine, déjà grandement mise à contribution sur les sujets migratoires. Alors que ce conflit dure depuis le 15 avril 2023, les crispations internationales paraissent interdire toute résolution concrète des affrontements. Bien des puissances régionales avec lesquelles la France entretient des relations sont pourtant impliquées… Et il y a des chrétiens d’Orient au Soudan, même quelques cathédrales. N’oublions pas ceux des chrétiens d’Orient qui souffrent, pleurent et meurent dans l’indifférence. Eux, aussi, ont droit à notre charité.