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Avortement : ce qui est en jeu

Ce que réclament francs-maçons et féministes, et ce que va leur accorder Macron, c’est la reconnaissance de l’avortement comme un bienfait social, et donc la criminalisation de ses opposants.

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Avortement : ce qui est en jeu

Emmanuel Macron, a déclaré dimanche 29 octobre que la « liberté des femmes » de recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG) serait bientôt inscrite dans la Constitution, de manière à devenir « irréversible ». La constitutionnalisation de l’avortement est donc en marche et tout porte à croire que rien ne l’arrêtera. Rien ne l’arrêtera car aucun acteur politique de quelque importance ne semble avoir conscience de ce qui est en train de se jouer à cette occasion ; ou ne semble prêt à expliquer publiquement ce qui est en train de se jouer, ce qui en pratique revient au même.

Ainsi, la réaction à peu près unanime de « l’opposition » (qui ici doit s’écrire avec des guillemets) a été, d’une part, d’expliquer que cette constitutionnalisation de l’avortement était inutile puisqu’aucune force politique qui dépasse le niveau de l’insignifiance ne s’oppose au « droit à l’IVG » en France et, d’autre part, de dénoncer une basse manœuvre politique d’Emmanuel Macron, qui cherche à se donner à bon compte un brevet de progressisme en terrassant un adversaire aussi mort que le fameux « patriarcat ». Le second point est bien sûr incontestable, et tellement évident qu’il ne sert à rien de s’y attarder.

Le premier point est partiellement vrai : il est exact qu’en France le « droit à l’IVG » semble devenu aussi sacré que le droit aux congés payés, et donc aussi intouchable. À échéance prévisible rien, absolument rien, ne menace la liberté d’avorter dans notre cher et vieux pays. Pour autant il serait faux d’en déduire que la constitutionnalisation de l’avortement voulue par les féministes serait sans conséquences. Celles-ci ne poursuivent pas un fantôme, contrairement à ce que leurs mols contradicteurs voudraient croire.

Désinfecter de toute trace d’opposition

Ce que recherchent les féministes est très exactement ce que recherchaient les États du sud des États-Unis à la veille de la guerre civile et, pour l’expliquer, je ne saurais faire beaucoup mieux que de citer Abraham Lincoln. Constatant qu’aucun compromis ni aucune concession, n’avaient pu apaiser les États esclavagistes du sud qui, plus que jamais, agitaient la menace de la sécession et dénonçaient avec véhémence les agissements du nord, Lincoln pose la question : Qu’est-ce donc qui pourrait convaincre les États du sud que ceux du nord n’ont aucunement l’intention d’interférer avec leur « institution particulière » (à savoir l’esclavage) ? Et Lincoln répond : « Ceci, et ceci seulement : cesser de qualifier l’esclavage de mauvais et se joindre à eux pour le qualifier de bon. Et cela doit être fait sans aucune réserve, en actes comme en paroles. Le silence ne sera pas toléré – nous devons nous placer ouvertement à leurs côtés. La nouvelle loi sur la sédition du sénateur Douglas doit être promulguée et appliquée, supprimant toutes les déclarations selon lesquelles l’esclavage est mauvais, qu’elles soient faites en politique, dans la presse, en chaire ou en privé. […] L’atmosphère entière doit être désinfectée de toute trace d’opposition à l’esclavage, avant qu’ils cessent de croire que tous leurs problèmes viennent de nous. […] Considérant, comme ils le font, que l’esclavage est moralement juste et qu’il élève la société, ils ne peuvent cesser d’exiger qu’il soit pleinement reconnu au niveau national comme un droit légal et un bienfait social. »

Remplacez « esclavage » par « avortement », et vous avez l’explication parfaite de ce que demandent réellement les féministes. Que l’accès pratique à l’avortement ne soit menacé par personne et que l’inscription dans la Constitution du « droit à l’IVG » ne change rien à cela, elles le savent parfaitement. Mais elles s’en moquent, car ce qu’elles demandent, et la seule chose qui pourra peut-être les satisfaire, est que l’avortement soit publiquement reconnu comme un « un bienfait social » et que « l’atmosphère entière soit désinfectée de toute trace d’opposition à l’avortement ».

Naïve ou malhonnête ?

En 1974, Simone Veil expliquait à la tribune de l’Assemblée nationale que si son projet de loi rendait légale l’IVG, c’était « pour la contrôler, et, autant que possible, en dissuader la femme ». Qu’il fallait prévoir une procédure conduisant la femme à « mesurer toute la gravité de la décision qu’elle se propose de prendre ». Que l’avortement ne devait pas être pris en charge par la sécurité sociale afin de « souligner la gravité d’un acte qui doit rester exceptionnel ». Que la société « tolère l’avortement mais qu’elle ne saurait ni le prendre en charge ni l’encourager ».

Déjà à l’époque cette position était extrêmement naïve, ou extrêmement malhonnête. Il suffisait d’écouter avec attention les féministes, de lire sérieusement leurs écrits, pour comprendre que considérer l’avortement comme un acte grave qui doit rester exceptionnel était simplement anathème. En effet, le dogme féministe affirme que l’avortement est la condition de la « libération » de la femme, étant donné que la cause première de son asservissement est qu’elle doit porter les enfants.

Or la « libération » des femmes est un bien sans mélange, par conséquent les moyens de cette libération ne sauraient être moralement ambivalents. Affirmer que l’avortement est un acte « grave » revient à donner mauvaise conscience aux femmes qui voudraient y avoir recours, ou au moins à certaines d’entre elles, et par conséquent à dissuader une fraction d’entre elles, même minime, d’y recourir. Dire que l’avortement est un mal parfois nécessaire revient à dire que, pour une femme, la « liberté » a un coût qu’il peut être légitime de ne pas vouloir payer. Autrement dit, toute réserve morale vis-à-vis de l’avortement revient à perpétuer la « domination » dont souffrent les femmes, ou à tout le moins à retarder leur « libération ». C’est inacceptable.

Criminaliser la critique

L’avortement ne doit donc pas seulement être légalement possible, il doit être publiquement approuvé et tous ceux qui ont des réserves vis-à-vis de l’avortement doivent être empêchés de les exprimer. C’est précisément ce que vise la constitutionnalisation du « droit à l’IVG » car un droit, et particulièrement un droit protégé par la Constitution, est inséparablement quelque chose de légal et de moral. Affirmer que l’on a le « droit » de faire quelque chose, ce n’est pas seulement dire que la loi ne punit pas l’action en question, que l’on n’est pas critiquable lorsque l’on fait usage de la liberté que vous laisse la loi. C’est une revendication morale.

Et derrière la « liberté des femmes » protégée par la Constitution viendra le « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », car assurément si l’avortement est incorporé à la Constitution, c’est qu’il doit être un des fondements de notre régime républicain et, par conséquent, questionner la légitimité de l’avortement revient, même implicitement, à mettre en question la République.

Une fois l’avortement inscrit dans la Constitution, la prochaine étape sera donc de faire de la critique de l’avortement l’équivalent de « l’incitation à la haine et à la discrimination », qui existe déjà dans notre code pénal et qui permet de criminaliser quantité de propos qui, il n’y a pas si longtemps, auraient été considérés comme faisant partie de la conversation civique normale dans un régime libre.

Adopter des lois encore plus restrictives

Depuis 1993, il existe un « délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse » (IVG) : il se caractérise par la perturbation de l’accès aux établissements pratiquant des IVG ou par l’exercice de pressions ou de menaces, etc., à l’encontre des personnels médicaux ou des femmes enceintes venues subir une IVG. En 2004, le délit d’entrave a été étendu à la perturbation de l’accès aux femmes à l’information sur l’IVG. Enfin, en 2017, est apparu le « délit d’entrave numérique » à l’IVG. Ce délit se caractérise notamment par le fait de diffuser des informations « de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une IVG ».

Dans l’esprit de ses auteurs, cette loi était clairement destinée à criminaliser tous les propos visant à dissuader les femmes de recourir à l’avortement. Fort heureusement, la loi finalement adoptée n’est pas tout à fait conforme à ce projet initial et, par ailleurs, le Conseil Constitutionnel a restreint encore sa portée, au nom de la liberté d’expression protégée par la Constitution.

Mais dès lors que le « droit à l’avortement » sera inscrit dans la Constitution et deviendra un principe de même niveau que la liberté d’expression, il deviendra possible d’adopter des lois encore plus restrictives pour, enfin, faire taire les réfractaires qui continuent à considérer que l’avortement est un acte grave qui ne devrait être autorisé que de manière exceptionnelle. Pour ne rien dire de ceux qui considèrent qu’il s’agit d’un crime.

Supprimer la clause de conscience

Il est aussi à envisager que l’inscription du « droit à l’avortement » dans la Constitution permettra de mettre fin à la clause de conscience, qui, depuis la loi de 1975, permet aux médecins de refuser de pratiquer des avortements dès lors que cet acte heurte leurs convictions personnelles (souvent religieuses). Cette clause de conscience a toujours particulièrement irrité les féministes, car elle repose bien évidemment sur l’idée que l’avortement est un acte moralement douteux et que l’on peut légitimement considérer comme inadmissible. Elles n’ont donc eu de cesse de l’attaquer et de chercher à la faire disparaitre. Pour le moment sans succès. Mais aujourd’hui elles peuvent penser avec raison que le jour est désormais proche où elles pourront enfin extirper cette clause de conscience maudite.

Les enjeux de la révision constitutionnelle qui s’annonce sont donc réellement très élevés. Ce qui va se jouer n’est pas le sort des enfants à naître car, en ce qui les concerne, et pour le répéter, il n’existe aujourd’hui en France aucun acteur politique de quelque importance qui soit prêt à parler en leur nom. Ce qui va se jouer est ce qui reste aux Français de liberté de paroles et de liberté de conscience. Nous saurons bientôt si le peuple de ce pays a encore suffisamment de courage et de clairvoyance pour défendre ces biens précieux ou bien si, par sa passivité, il mérite qu’on les lui ôte.

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