La collection Château de Versailles Spectacles ressuscite la splendeur orchestrale des mariages princiers du XVIIIe siècle.
« La musique, dans le Versailles des rois de France, accompagne tous les faits et gestes de l’ordinaire, mais plus encore les grands événements politiques et dynastiques. Les couronnements, les sacres, les naissances, les mariages, les traités de paix, sont célébrés avec emphase par des ballets, des opéras, des divertissements, des Te Deum ou des grands concerts instrumentaux. »
Une musique indissociable du pouvoir
L’habitude des repas en musique appréciés par Louis XIV datait du XVIIe siècle. Tous les événements de la cour étaient prétextes à cortège sonore. Contribuant à la magnificence du souverain, les compositeurs attitrés se devaient de fournir des partitions pour toutes les occasions, depuis les cérémonials quotidiens jusqu’aux réceptions diplomatiques sans omettre les représentations théâtrales et les grands festins d’apparat.
Monarque vieillissant, Louis XV souhaitait redorer au niveau international le blason de son pays affaibli par la Guerre de Sept ans (1756-1763). Il entendait par ailleurs assurer la continuité dynastique en mariant ses trois petits-fils, prétendants au trône, et voyait en ces célébrations une triple occasion de réaffirmer la puissance de la France en Europe et dans le monde.
Les fêtes superbes de Versailles
Construit en 1770, l’Opéra Royal avait vocation à accueillir non seulement des représentations lyriques mais abritait aussi bals et banquets. Son inauguration coïncida avec le mariage du duc de Berry et de Marie-Antoinette d’Autriche le 16 mai 1770, suivi d’une représentation du Persée de Jean-Baptiste Lulli. Le 14 mai 1771 eurent lieu les noces du comte de Provence avec Marie-Joséphine de Savoie.
Pour le mariage du comte d’Artois (futur Charles X) et de Marie-Thérèse de Savoie, le 16 novembre 1773, rien ne fut négligé pour la splendeur de la fête. La messe dans la chapelle fut suivie d’une réception dans les appartements royaux, puis de jeux dans la Galerie des Glaces. Un ruisseau aménagé coula d’un bout à l’autre de la table principale pendant tout le banquet. En soirée, un festival se tint à l’Opéra, des feux d’artifices illuminèrent le parc et les réjouissances se poursuivirent plusieurs jours durant. Des désagréments perturbèrent toutefois les festivités : une tempête ayant détrempé les feux d’artifices, l’artificier mortifié se suicida.
Pour rehausser encore l’éclat de ces agapes somptueuses, François Francœur (1698-1787), âgé de 75 ans, sélectionna et arrangea plusieurs dizaines de pièces instrumentales tirées d’opéras à succès, tant anciens que modernes. La salle de l’Opéra du château se vit aménagée pour la circonstance afin d’accueillir les musiciens en nombre et d’offrir un écrin sans pareil aux sonorités raffinées s’exhalant des divers instruments. « Clé de voûte de la cérémonie du mariage, le grand dîner d’apparat est intégralement accompagné de musique, celle-ci couvrant le brouhaha des centaines de courtisans assemblés et le bruit du service complexe assuré par le Département de la Bouche. »
Un « Concert françois arrangé par Mr. Francœur »
La partition manuscrite à reliure verte fleurdelisée est conservée à la Bibliothèque nationale de France sous le titre de Concert françois arrangé par Mr. Francœur surintendant de la Musique du roi pour le festin royal de Mgr. le Comte d’Artois. Année 1773. Le précurseur Jean-François Paillard avait enregistré en 1965 (avec Maurice André) une partie de ces œuvres, Hugo Reyne en grava une sélection en 1993 pour le CMBV tout comme Daniel Cuiller en 2000. La version toute récente d’Alexis Kossenko nous convie à la découverte d’une jouissive intégrale. La composition de son orchestre s’approche assez de celui employé lors de la création. Se référant aux travaux de Michael D. Greenberg, Benoît Dratwicki nous révèle dans la notice qu’un imposant effectif de 78 musiciens avait été réuni à l’époque pour un concert hors normes sous la baguette de François Rebel (34 violons et alto, 15 violoncelles, 3 contrebasses, 10 flûtes et hautbois, 2 clarinettes, 6 bassons, 3 cors, 1 trompette, 1 timbale et 3 tambourins), confirmant l’usage d’orchestres aux vastes dimensions dans le cadre d’événements exceptionnels, comme lors du mariage du Dauphin en 1770. À la fin du règne du Bien-aimé, la Musique du Roi reflétait ainsi l’inébranlable grandeur et la puissance rayonnante de la monarchie française, société profondément mélomane.
Chevalier de l’Ordre du Roi et Surintendant de sa Musique, François Francœur s’inscrivait dans une tradition solidement établie : en son temps, Michel Richard Delalande avait déjà assemblé des Symphonies pour les Soupers du roi (1703), puisant dans le corpus de ses opéras et ballets. Francœur ne se contenta pas de ses propres ouvrages mais, avec la complicité de François Rebel (1701-1775), regroupa en quatre grandes suites (La quatrième étant « mêlée de trompette, timbales et cors ») une quarantaine de pièces orchestrales tirées d’opéras à succès. Elles proviennent non seulement de son propre catalogue mais aussi d’œuvres de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) (un air des Fêtes de l’Hymen et de l´Amour, deux gavottes de Dardanus et un Menuet gracieux avec cors de chasse), Antoine Dauvergne (1713-1797) (entrée de chasseurs d’Énée et Lavinie), Jean-Joseph Cassanea de Mondonville (1711-1772), Pancrace Royer (1703-1755) (chaconne de Pyrrhus), et de compositeurs aux noms oubliés : Pierre-Montan Berton (1727-1780) (air de L’Empire de l’Amour), René de Galard de Béarn, marquis de Brassac (1698-1771) et Bernard de Bury (1720-1785) (air d’Hylas et Zélis) dont les pages remaniées acquièrent une solennité́ et une vigueur inégalées. Un des aspects fascinant de ce patchwork est qu’il intègre des musiques du passé, mais aussi des numéros ajoutés aux ouvrages classiques de Lulli ou Campra qui se maintenaient au répertoire.
Apologie de la meilleure tradition française, les quatre Symphonies illustrent l’évolution du style musical durant la décennie menant de la mort de Rameau (1764) à l’arrivée de Gluck à Paris (1773), où le baroque tardif céda imperceptiblement la place au classicisme émergeant. Au milieu des années 1770, Versailles brillait encore de mille feux, sans conscience aucune des prémices de la Révolution qui s’immisçaient déjà sournoisement dans les rues de la capitale.
Festin royal du mariage du comte d’Artois, Les Ambassadeurs & La Grande Écurie, dir. Alexis Kossenko, digipack 2 CDs, Château de Versailles Spectacles CVS101