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Macron, le Parlement et la constitution

Macron, qui se prend à lui seul pour l’ensemble de ses ministres, ne dispose plus à l’Assemblée du parti qui lui permettait en plus d’être lui-même un acteur législatif. N’arbitrant plus rien, il en est réduit à cohabiter avec lui-même, prisonnier d’un régime qu’il a contribué à délégitimer.

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Macron, le Parlement et la constitution

Même le Français le moins passionné par la vie politique n’a pas pu ne pas noter le style de gouvernement extrêmement personnel qui caractérise Emmanuel Macron, d’où découle la réduction du rôle du Parlement, encore accentuée avec l’absence de majorité parlementaire et l’usage immodéré du 49-3. Et ce qui en résulte : l’effacement total de la référence populaire. Cette situation s’explique par la convergence de trois séries de facteurs.

Le style Macron : un pouvoir centralisé comme jamais

Le premier est le style personnel de Macron : l’extrême centralisation du pouvoir, qui touche en réalité la totalité de l’appareil d’État, et qui s’est affirmé dès après sa première élection en 2017. Elle intervient dès le niveau de l’exécutif. Un indice : le réseau des cabinets ministériels, qui sont au moins autant les relais de l’Élysée que des outils pour leur ministre, sans qu’il y ait un précédent à cette pratique étrange. Corollaire : le rôle politique extrêmement effacé de la plupart des ministres, qu’ils soient (comme c’est le cas de la plupart) des personnalités sans visibilité ni expérience politique véritable ; ou qu’ils aient connu une certaine activité politique mais ont été confinés dans un rôle effacé : Le Drian en son temps, Le Maire, et d’autres. Cela s’étend aux premiers ministres ; seul Édouard Philippe peut être considéré ayant été comme politiquement visible, et il n’est pas sûr que cela ait été voulu, car Philippe était au départ un politicien assez périphérique, et cela peut expliquer ce choix. Or il suffit de se rappeler les ministres et premiers ministres des présidents précédents pour noter le contraste : il y avait bien plus de personnalités politiques, et elles jouaient un réel rôle politique au gouvernement. Ce facteur est donc spécifique à Macron. Il est encore aggravé par la centralisation massive des décisions à l’Élysée et non à Matignon, et par la manie du président de parler de tous les sujets en première ligne et en détail, comme on le voit encore aujourd’hui sur l’enseignement.

L’absence de parti présidentiel

Le deuxième facteur est la nature même du mouvement politique censé soutenir ledit président. À un degré jusque-là inconnu, ce mouvement n’a pas de consistance à la base et ne s’est constitué que pour soutenir et vendre le programme du leader. L’origine en est l’émergence de Macron comme candidat crédible en début 2017, appuyé sur une ligne du ‘en même temps’ qui a permis de réunir une bonne partie des deux partis de gouvernement jusque-là rivaux (PS et LR), mais évidemment pas sur des options précises et articulées, sans parler d’une quelconque ‘doctrine’. Dans un premier temps, en 2017, la dynamique électorale traditionnelle a permis au nouveau président d’avoir une forte majorité parlementaire, permettant de réduire le rôle du Parlement à celui de chambre d’enregistrement, mais sans accroc majeur, malgré la fonte relativement marquée de cette majorité au fil du temps. Ce n’est qu’au second quinquennat que la machine s’est grippée. Déjà, en soi, l’effet de confirmation de la présidentielle aux législatives après une réélection est a priori bien plus faible que pour une première élection, et plus encore si la présidentielle a été gagnée négativement, par opposition à Marine Le Pen. Mais en outre le président démiurge a montré une singulière inertie pendant la campagne législative : panne d’inspiration ? lassitude ? confiance excessive ? Il y a évidemment aussi ce mépris du peuple qui transparaît régulièrement dans son comportement. Mais il est fortement aggravé par ce que j’appelle la maladie de l’Élysée, qui a affecté chacun à sa façon tous les locataires de ce lieu auguste après quelque temps de présence : le détachement des réalités de base, l’exacerbation des manies et tics personnels, et l’absorption dans un rôle international supposé prioritaire (en l’espèce mené avec un amateurisme désastreux).

Le résultat à ce jour est cette situation sans précédent : une vraie absence de majorité parlementaire. Les cohabitations, elles, résultaient d’une majorité autre que celle du président, mais qui était réelle et permettait de gouverner ; et en 1988 on était à la limite. Une telle situation d’absence de majorité impliquerait dans un système parlementaire normal une forme ou une autre de gouvernement de coalition. Mais cette voie est bouchée du fait des caractéristiques même du système macronien : le mélange de gauche et de droite de la base du parti majoritaire rend difficile toute alliance à gauche comme à droite sauf à remettre en cause un équilibre délicat – on le voit notamment sur l’immigration. Et le style de gouvernement du président l’exclut : on voit mal Macron nommer une personnalité politique forte pour constituer un tel gouvernement de coalition, en prendre la tête, et ensuite gouverner réellement.

Pourtant le Parlement reflète, en partie réellement par sa diversité, en tout cas légalement, la volonté populaire, et cela tout autant que l’élection présidentielle. Quant aux majorités cas par cas, elles sont, dans un tel contexte, compromettantes pour l’opposition et ne peuvent donc pas fonctionner de façon fiable – d’autant que ces oppositions sont elles-mêmes dominées par des partis jugés extrêmes et ostracisés, selon une stratégie et une pratique essentielles à la survie du régime. Reste donc le 49-3, régulièrement dégainé mais qui ne peut tout faire, et qui passe de plus en plus mal dans l’opinion. En d’autres termes, un tel Parlement ne peut pas fonctionner, en tout cas pas avec un tel président. Et donc on vit d’expédients.

Les spécificités de la constitution après l’erreur du quinquennat

Ces deux facteurs majeurs sont pour l’essentiel propres à Emmanuel Macron. Mais il s’y ajoute un troisième facteur majeur, qui a rendu possibles les précédents : les spécificités de la constitution de 1958, surtout après la mutilation du quinquennat. Il est indéniable que cette constitution a bien mieux fonctionné que les précédentes si on raisonne en termes de stabilité gouvernementale (c’est moins convaincant si on regarde les résultats) ; il n’en est pas moins manifeste qu’une constitution n’est pas une panacée, mais tout au plus un outil utile, quoique partiel. D’une part, le régime de 1958, avec sa panoplie assez large de dispositifs, peut fonctionner de façon très variable. On l’a vu avec les cohabitations, non prévues au départ et qui ont beaucoup agacé ceux qui ont dû les animer. Mais la constitution les permettait, car si elle favorise le pouvoir présidentiel, elle laisse un rôle majeur au Parlement, encore une fois tout aussi représentatif de la volonté populaire que la présidentielle, voire plus à partir du moment où la présidentielle est dominée par les considérations de personnes. Il y a donc deux légitimités populaires face à face, situation très rare dans les démocraties. La seule exception est aux États-Unis, mais c’est dans une logique de contrepoids qui laisse à chaque partie la plénitude de son rôle, et ne les fait pas se rencontrer dans la formation du gouvernement, lequel ne dépend là-bas que du président.

Le quinquennat, lui, a rompu un point majeur d’équilibre du système antérieur, transformant le président en vrai chef du gouvernement, mais sans qu’un lien organique existe entre lui et une majorité parlementaire. Il ne peut plus se présenter comme avant comme un arbitre extérieur, ou le gardien d’équilibres fondamentaux, mais son pouvoir n’est pas non plus construit pour qu’il soit le chef du gouvernement, car il n’a pas de lien naturel avec le pouvoir législatif dont il a pourtant besoin pour gouverner. En un mot, la dualité des légitimités, qui est spécifique à cette constitution, n’a plus son fondement dans la différenciation des horizons.

Le résultat aujourd’hui est en un sens bien pire qu’une cohabitation. En outre, cette situation peut s’étendre sur 5 ans : avec un septennat, Macron n’aurait eu encore que deux années à tirer, avant une nouvelle élection qui aurait rendu possible une clarification. Bien sûr, on l’a dit, même en quinquennat une solution de coalition eût été possible en principe, du moins avec un autre président, et donc la constitution n’est pas sans ressources. Cela dit, la cohabitation d’un gouvernement de coalition avec le président n’est pas dans la logique du fonctionnement de fait de la constitution, même sans Macron, car tout le débat politique y est polarisé par la présidentielle. Quoi qu’il en soit, l’absurdité actuelle de 5 ans sans majorité parlementaire est certainement l’une des pires hypothèses possibles ; et la constitution le permet.

Quelques leçons désabusées

Nous pouvons en tirer plusieurs leçons. Je passe sur celles déjà élaborées ci-dessus qui soulignent l’extrême bizarrerie du système macronien. Mais la véritable question est au fond la suivante : comment ce phénomène a-t-il pu se produire ? Et on en vient de nouveau à la Constitution. On l’a dit, nulle part ailleurs on n’a le régime bancal actuel, démocratie présidentielle mais, en partie appréciable, parlementaire, mais où le parlement peut être neutralisé – hors le bouton nucléaire de la motion de censure. Il faudrait donc sans doute au minimum revenir sur le quinquennat, entre autres réformes.

Mais en tout cas, cela nous confirme qu’une constitution n’est pas une panacée : elle ne peut prévoir tous les cas ; elle offre une boîte à outil ou des règles du jeu, mais les outils servent à tout, et les sportifs savent que des règles du jeu même bien faites peuvent conduire à des situations imprévisibles. Mettre sa confiance dans une constitution est donc une grande naïveté, même si bien sûr elle peut contribuer au bien commun. La force réelle d’un régime politique est ailleurs. Et celui-ci n’en a plus.

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