Les tombereaux rouges évacuaient les cadavres, les têtes étant mises dans des sacs de cuir, en les emmenant à l’ancienne maison des Augustines, au village de Picpus, réputé pour son calme et la salubrité de son air. Ils étaient versés dans des fosses après avoir été dépouillés de leurs effets. Le propriétaire du terrain, habile homme, proteste qu’il ne veut pas que les aristocrates ennemis du peuple continuent leurs méfaits en l’empoisonnant après leur mort… Il faudra attendre que Robespierre chute pour que les fosses ne servent plus. La République tenta d’en faire oublier l’emplacement. Joachim Bouflet en ravive la mémoire, bien entretenue depuis bientôt deux siècles, mais surtout il raconte la justice proprement ubuesque des tribunaux révolutionnaires, avec un luxe de détails qui surpasse en froide horreur le simple énoncé de ses principes : ce sont des dizaines de vies qui sont précisément évoquées, qu’il s’agisse des juges partiaux, des prétendus témoins, des jurés aux ordres ou des victimes, où l’on compte si peu d’aristocrates mais tant de religieux, dont l’état est la seule et irrémissible faute, et tant de pauvres gens à qui la simple possession d’un pamphlet vaut la peine de mort, sans parler de ceux qu’on a confondus, prenant le fils pour le père et deux homonymes pour une même personne, les révolutionnaires n’étant acharnés qu’à faire du nombre et jouant de l’absolu arbitraire pour installer l’idée que toute résistance est futile. Avec un talent de conteur rare, l’auteur nous emporte au long de ces six semaines en citant d’abondance les pitoyables comptes-rendus d’audience, les témoins du moment, les textes aberrants dont la République croit bon d’entourer ses infamies.

Joachim Bouflet, Les Charniers de la République. La Grande terreur à Paris (juin-juillet 1794). Salvator, 2023, 236 p., 20,90 €