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Diviser pour mieux régner ?

Le Chemin synodal allemand s’est ouvert en 2019 au prétexte de faire la lumière sur les abus sexuels au sein de l’Église catholique en Allemagne. Trois ans plus tard, ses objectifs de réforme, clairement établis, posent de graves problèmes.

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Diviser pour mieux régner ?

Quand le Cardinal Marx, alors président de la Conférence épiscopale allemande, décide de lancer un chemin synodal, le rapport d’enquête MHG, qui avait épluché des documents d’archive de 27 diocèses en Allemagne pour faire la lumière sur les abus sexuels entre 1946 et 2014, venait de paraître. Le prétexte s’est vite transformé en remise en cause intégrale des structures, de l’autorité et de la doctrine de l’Église universelle. C’était problématique. Rome s’en était ému. Par exemple, à travers une Responsa ad dubia émanant de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, en 2021, par rapport à la bénédiction des unions pour les couples de même sexe. Ou encore, concernant les Conseils synodaux (nouvelle forme de gouvernance de l’Église qui serait laissée entre les mains de laïcs allemands au détriment des évêques), le Saint-Siège avait réagi en 2022 de manière claire et réitérée en opposant son veto, avec l’approbation du pape in forma specifica.

Mais le Chemin synodal a suivi son cours, avec cinq assemblées réunissant autant d’évêques et de religieux rattachés à la Conférence épiscopale allemande (DBK) que de laïcs appartenant au Comité central des catholiques allemands (ZdK), puisque c’est dans la parité entre ces deux organismes que fonctionne l’Église concordataire en Allemagne. La dernière assemblée s’est ouverte le jeudi 9 mars et a clôturé le samedi 11 mars 2023 ce « début » de processus comme l’a indiqué ensuite Mgr Georg Bätzing, l’actuel président de la DBK et du Chemin synodal ; voire « début du début » de processus, selon Mgr Stephan Ackermann, l’évêque de Trèves. Durant ces trois jours, les quatre chantiers évoqués dès 2019 et travaillés durant chaque assemblée ont été rédigés sous forme de « textes d’application » afin d’être soumis aux votes – votes rendus publics depuis la dernière assemblée en septembre dernier malgré la formalité établie initialement – pour leur adoption.

Laïcs cléricalisés et diaconat pour les femmes

Lors du forum abordant la question des femmes dans les ministères et les fonctions au sein de l’Église, l’assemblée synodale a validé le document intitulé « Proclamation de l’Évangile par les laïcs dans la parole et les sacrements ». S’appuyant notamment sur Lumen Gentium (n° 31), Querida Amazonia (n° 89 et 94), Spiritus Domini ainsi que sur le Code de Droit Canon (Codex Iuris Canonici, CIC) de 1983 (can. 230, 766-767), ce document stipule notamment que les évêques allemands, après avoir « établi une norme particulière et obtenu pour cela l’autorisation du Saint-Siège, […] chargent le personnel pastoral de prêcher lors de la célébration eucharistique, accompagnés de leur mission ecclésiale (missio canonica), afin qu’ils puissent accomplir leur service de prédication officiellement et au nom de l’Église ». Il en va de même pour l’introduction de l’administration extraordinaire du baptême (can. 230 § 3). Toutefois, l’une et l’autre mesures continuent d’être travaillées et examinées. Celle concernant le baptême, après analyse de ses résultats sur le terrain des paroisses, sera revue dans trois ans.

Un texte intitulé «  Les femmes dans les ministères sacramentels – perspectives pour le dialogue au sein de l’Église universelle » a été adopté à 93 %. Il demande aux évêques allemands de plaider pour l’admission des femmes au diaconat féminin auprès du pape François dans le cadre du Synode sur la synodalité, c’est-à-dire le Synode sur l’avenir de l’Église. Avoir des prêtresses est aussi un sujet qui a été abordé. Mais il ne fut pas soumis au vote de peur qu’en en demandant trop, le diaconat ne passe pas. Pour ce faire, les évêques proposèrent un amendement, adopté à 68 % et lourdement critiqué : « L’admission à la prêtrise en fonction du sexe […] est discriminatoire et doit être abolie », ou encore : « Le patriarcat doit être détruit ». Un dernier document, intitulé « Mesures contre la maltraitance des femmes dans l’Église », a lui aussi été voté, à l’unanimité, en première lecture. Il doit cependant être encore clarifié avant d’être mis en œuvre.

Prêtres laïcisés

La veille, l’assemblée a approuvé une mesure visant à demander au pape actuel de « reconsidérer le lien entre l’attribution des ordinations et l’obligation de célibat ». 44 évêques sur 60 l’ont soutenue. Cette mesure, qui s’appuie sur le Document final du Synode sur l’Amazonie (n° 111) et le CIC (can. 1047 § 2, 3), demande notamment « au Saint-Père, après une éventuelle dispense générale du vœu de célibat pour les futures ordinations de prêtres de rite latin, de donner également aux prêtres déjà ordonnés la possibilité d’être libérés du vœu de célibat sans devoir renoncer à l’exercice du ministère », ou encore de réintégrer ceux qui ont abandonné le ministère pour pouvoir se marier.

Le même jour, alors qu’il accordait une nouvelle longue interview en l’honneur de ses dix ans de pontificat auprès du média latino Infobae, François, tout en reconnaissant que cela n’apporterait pas plus de vocations, a expliqué au journaliste qu’il était tout à fait possible de revoir cette discipline du célibat sacerdotal puisque, justement, il s’agit d’une discipline. Reste à savoir, vu le changement climatique en cours de téléchargement, et en plus de l’aspect financier, à quel type de mariage cela pourrait être accordé pour n’exclure personne…

Si la morale et la loi naturelle sont reléguées au plan de la discipline qui se change…

Enfin, le Chemin synodal a également voté à l’unanimité un texte intitulé « Prévention des violences sexuelles, intervention et prise en charge des auteurs dans l’Église catholique ». Dans ce document, les évêques devront établir un « code de discipline » pour les prêtres coupables d’abus. De même, de nouveaux dispositifs en matière de prévention et de suivi (thérapeutique et administratif) sont prévus. Restent à créer quatre commissions pour y parvenir. Ce point, à l’origine du Chemin synodal, est celui qui paraît le moins avancé trois ans plus tard.

Bénédictions pour les couples qui s’aiment

Ensuite a été approuvé le document appelé « Célébrations de bénédiction pour les couples qui s’aiment ». Malgré la réponse romaine au dubium de mars 2021 qui confirmait que l’Église n’a pas le pouvoir de bénir des unions de personnes du même sexe, la grande majorité des évêques a validé cette mesure qui prévoit de bénir tout types de relations : les couples non mariés et les personnes divorcées et remariées civilement. Au cours du débat qui a précédé le vote, Mgr Stefan Oster (Passau), Mgr Gregor Maria Hanke (Eichstätt) et Mgr Rudolf Voderholzer (Regensburg) se sont vivement opposés à la mesure : « Il est prévisible qu’après l’approbation de la bénédiction, la question se posera très rapidement de savoir si la bénédiction n’est pas également discriminatoire si le mariage est ensuite refusé », a déclaré Mgr Voderholzer. De fait, plusieurs délégués ont demandé le mariage sacramentel pour les unions homosexuelles. Gregor Podschun, président de la Ligue de la jeunesse catholique allemande (ZdKJ), un groupe officiel de l’Église qui soutient l’ordination des femmes, le mariage homosexuel et l’accès à l’avortement, a déclaré que la bénédiction des unions homosexuelles était « un minimum » : « Nous avons besoin du mariage [sacramentel] pour tout le monde ».

Gérer la diversité des genres

Le dernier jour, samedi 11 mars, l’assemblée synodale a adopté un texte sur la diversité des genres dans l’Église. 38 évêques ont voté pour le texte et 7 contre. Comme la veille, l’abstention de 13 évêques a empêché que le texte soit bloqué. Ainsi, un baptisé pourra demander à ce qu’on change son genre dans le registre des baptêmes. De même, la mention « divers » sera intégré dans ce registre qui pourra donc aussi concerner le baptême des enfants. Le texte demande également au pape François de veiller « à ce que les personnes transgenres et intergenres de notre Église puissent vivre leur vie et leur foi en leur être de créatures de Dieu sans préjugés, sans hostilité et sans discrimination ». « Jésus vivait parmi les transsexuels », s’est exclamé Gregor Podschun en brandissant un drapeau LGBT après le résultat. « L’Église ne reconnaît pas encore les gens qui ne sont pas mâles ou femelles, alors que c’est prouvé par la science », a-t-il affirmé, reprenant les positions défendues dans le texte. Enfin, le texte prévoit d’élargir le sacerdoce et la vie religieuse aux personnes transgenres : « L’accès aux ordres et aux vocations pastorales doit également être examiné au cas par cas pour les personnes intersexuées et transsexuelles baptisées et confirmées qui se sentent une vocation et ne doivent pas être exclues de manière systématique. »

Le Conseil Synodal

C’est ici le point sur lequel le Saint-Siège a été le plus clair en réitérant à plusieurs reprises son veto quant à la création de Conseils synodaux, au niveau national, diocésain ou paroissial. Le document romain du 16 janvier 2023, signé des cardinaux Parolin (Secrétaire d’État), Ladaria (Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi) et Ouellet (Préfet du Dicastère pour les évêques jusqu’au 30 janvier), était même revêtu de l’autorité papale puisqu’il y est spécifié que « le Saint Père a approuvé la présente lettre in forma specifica et en a ordonné la transmission ». En effet, cette forme de gouvernance ecclésiale impliquerait que les évêques et les laïcs partagent les mêmes responsabilités si bien que les laïcs pourraient même renverser un ou plusieurs évêques, au niveau national ou diocésain.

Il semblerait que ces interventions romaines aient quelque peu ralenti la course du Chemin synodal. Les participants du ZynodalFake se donnent jusqu’à 2026 pour réfléchir à la forme que prendront ces organismes diocésains ainsi que le « Conseil synodal national » dont la création a été votée lors de la précédente réunion, à l’automne 2022.

Il faut ajouter que les mesures adoptées par le Chemin synodal n’ont pas d’effet contraignant dans les diocèses d’Allemagne puisque le Chemin synodal n’est pas un synode et ne bénéficie d’aucun statut canonique. Pour qu’elles soient mises en place, ces mesures doivent avoir l’accord de l’ordinaire local. Or les observateurs estiment qu’elles seront probablement effectives dans la plupart des diocèses, soit parce que les évêques les soutiennent, soit en raison de la pression intense exercée sur les quelques autres évêques par les médias catholiques, la DBK et les employés de l’Église.

Épilogue ?

Seul le Saint-Siège a autorité pour garder intact le dépôt de la foi. Le 13 mars, certes, le cardinal Parolin, Secrétaire d’État, lors d’une interview autour d’un événement romain sans aucun rapport avec le synode allemand, fut interrogé sur la bénédiction des couples homosexuels. Comme si c’était le seul problème… Il a alors expliqué que Rome s’était « déjà très clairement exprimé sur ce sujet avec le document du Dicastère pour la Doctrine de la Foi » de 2021. Mais puisque l’Église synodale est une Église qui écoute et dialogue, il a ajouté que des discussions entre le Tibre et le Rhin se poursuivront. D’autant que « le Chemin synodal prend des décisions qui ne correspondent pas exactement à ce qu’est actuellement [« officiellement » est le terme retranscrit en anglais] la doctrine de l’Église », si bien qu’« une église particulière, locale, ne peut pas prendre ce genre de décisions qui implique la discipline de l’Église universelle. » Des propos qui laissent songeur : si la morale et la loi naturelle sont reléguées au plan de la discipline qui se change…

Toutefois, quelques autres voix se sont fait entendre depuis la fin de l’assemblée synodale. À commencer par celle de l’ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Müller, dans une interview auprès d’EWTN. Considérant avec tristesse qu’une « majorité d’évêques ait voté explicitement contre la foi révélée, la Parole de Dieu dans les Saintes Écritures et dans la tradition apostolique », il a estimé que les évêques allemands devaient « être jugés, condamnés et démis de leurs fonctions s’ils ne se convertissent pas et n’acceptent pas la doctrine catholique ». De fait, l’une des mesures qui pourrait être prise serait de les pousser à remettre leur charge. Il y a eu un précédent au Chili. Mais cette option ne rejoint pas exactement l’avis du cardinal Parolin actuellement, puisqu’ « il ne faut pas parler de rébellion [des évêques allemands]. Dans l’église, il y a toujours eu des tensions et différentes positions », disait-il dans cette même interview en début de semaine. En tout cas, force est hélas de constater qu’aucune des mesures prises par ce Chemin synodal n’est en mesure d’enrayer les abus de toute sorte, et certainement pas les abus de pouvoir. Les organisateurs du Chemin synodal ont pris en otage l’Église en Allemagne ; et donc l’Église Universelle.

En janvier 2022, un collectif de laïcs allemands, Neuer Anfang, tout à fait ouvert aux réformes nécessaires mais tout autant en alerte sur celles entreprises par le Chemin synodal, avait écrit un manifesto avant de le présenter au pape François à Rome en espérant être entendu de lui. En janvier 2023, ce collectif a rédigé une analyse d’une très grande finesse concernant trois scénarios possibles après la clôture du Chemin synodal, dépendants de la réaction du Saint-Siège :

  1. La réconciliation : « Dans l’état actuel des choses, c’est l’option la moins probable ; il semble illusoire, vu le durcissement des fronts, car il nécessiterait un virage à 180 degrés des responsables du Chemin synodal. De plus, Rome devrait exiger ce revirement de manière décisive. »
  2. Le sale schisme : « La pire option possible et, en même temps, la plus probable si Rome n’intervient pas clairement. C’est pourquoi ce scénario doit, en toutes circonstances, être évité ». Il aurait des conséquences sur l’Église universelle, probablement à l’image de ce que les fidèles en Allemagne connaîtraient : « Pris entre la fidélité à la vérité catholique et l’obéissance envers l’autorité légitime », ils devraient alors « quitter l’Église pour rester dans l’Église ».
  3. Le schisme reconnu formellement : « Ce serait la pire des choses en termes d’unité. Mais en termes de clarté, ce serait le scénario le plus distinct pour clarifier la situation de l’Église particulière d’Allemagne. »

Or, à l’échelle de l’Église universelle, justement, le Synode sur la Synodalité synodalisant le synodalisme sur l’avenir de l’Église suit, lui aussi, son chemin synodal. Et les thèmes soulevés par celui-ci ne sont pas si éloignés de ceux d’Outre-Rhin. Tout dépend donc, et plus que jamais, du pape actuel qui, même s’il affirme ne pas craindre les schismes tout en repoussant les « tradis » vers les périphéries pour leur apprendre ce qu’est l’unité, vient de se faire doubler à sa gauche en guise de cadeau d’anniversaire pour la décennie de son ministère pétrinien. Espérons et prions pour lui afin qu’il soit exemplaire dans son écoute et surtout, sa docilité à l’Esprit Saint, pour qu’après tant de catastrophes, le pire soit évité !

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