La séance de l’Assemblée Nationale retransmise à la télévision, où nous avons pu voir le successeur du chancelier d’Aguesseau répondre par trois bras d’honneur successifs à un député qui l’interrogeait sur ses mises en examen, nous a presque donné un regret du temps où, oublieux de la fermeté de Richelieu, les hommes politiques finissaient leurs débats sur le pré.
Clemenceau était particulièrement redouté à cet exercice car il maniait aussi bien le pistolet que le verbe. Ainsi se terminaient déjà à la fin du Moyen Âge les controverses des clercs sur les Universaux, dans les prés de l’abbaye de Saint-Germain. Les exagérations de la noblesse sur le respect du point d’honneur ont fait couler, au début du XVIIe siècle, des flots de sang à tel point que le roi Louis XIII s’en émut et demanda à Richelieu de lui préparer un édit très ferme contre les duels. Richelieu lui répondit que ces édits existaient déjà mais n’étaient point exécutés. Il se chargea lui-même de cette exécution en faisant notamment arrêter, condamner à mort et décapiter les jeunes Boutteville et des Chapelles qui s’étaient ostensiblement battus en duel devant les grilles du Louvre. Il a raconté dans ses mémoires combien cette exécution lui avait coûté personnellement, lui qui était par nature et tradition très sensible au point d’honneur, mais en précisant : « un peu de sang en a épargné beaucoup ». La maladie des duels s’arrêta en effet aussitôt.
Il n’est pas question de revenir sur cet effort de civilisation, mais la vulgarité et la bassesse des attitudes dans le monde politique font regretter ce sens de l’honneur. Saint Louis avait certainement bien raison de dire, en supprimant le duel judiciaire : « bataille n’est point voie de droit », mais il ne s’agit point ici de droit mais d’un sens élémentaire de l’honneur… Dante disait d’ailleurs quelque part dans sa Divine Comédie qu’il y a des propos ou des attitudes d’une telle bêtise (tanta bestialità) qu’on ne peut leur répondre que « col coltello », avec un couteau…