Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Après SaccageParis, c’est au niveau de la France qu’il faut dénoncer les méfaits d’une gouvernance aberrante.
« Tout lui échappe », était-il écrit le mois dernier dans ces colonnes de Politique magazine, en conclusion d’une analyse politique de l’actualité, aussi pessimiste, sinon plus, que les précédentes. Le titre en était « Le mépris méprisé » ; et tel fut effectivement le thème principal des manifestations dans la rue pendant tout le mois de mars ; juste retour des choses et qui va bien au-delà de la seule affaire des retraites qui déclencha la mise à feu. Il en est de plus en plus qui en ont assez d’être méprisés par le plus méprisant des hommes. Le fond du malaise français, comme le soulignent un Guilluy, un Gauchet ou un Fourquet, accumule un poids qui ne cesse de s’alourdir, de graves ressentiments contre les frustrations dont les Français se sentent victimes du fait des directions qui sont données à la société et qui, pour parler comme Guilluy, les dépossède. Littéralement ! De tout, de leur pays, de leur ville, de leur village, de leur paysage, de leur patrimoine, de leur avenir, de leur passé, de leur économie, de leur finance, de leur politique. D’où l’abîme qui se creuse entre une partie, majoritaire en fait, sans réel pouvoir et qui paye, de la population, et ceux qui prétendent diriger, qualifiés – indûment d’ailleurs – d’élite. Mais y a-t-il encore des élites et que signifie aujourd’hui ce terme ?
Qu’on le veuille ou non, d’accord ou pas d’accord, et même si les protestataires, pour la plupart, ne voient en réalité aucun débouché à leur action purement instinctive, tant le lyrisme révolutionnaire et la phraséologie républicaine tiennent lieu de pensée en France à tous les niveaux d’éducation sociale et d’engagement politique, il y a, en dépit de tout, un sens presque philosophique dans l’expression de ces manifestations qui ne sauraient se réduire, malgré les apparences, à des revendications idéologiques.
Et, bien sûr, dans le sens d’une telle compréhension, il est à déplorer de voir des groupuscules d’extrême gauche tenter de s’en emparer pour en détourner la portée. Ce détournement est plus sensible encore dans les cortèges urbains que dans les folles équipées écologiques de Sainte-Soline. Au point qu’il est permis de se demander, comme au temps des Gilets jaunes, sous le ministre Castaner et le préfet Lallement, tous les deux aujourd’hui grassement recasés pour services rendus, s’ils ne sont pas intentionnellement infiltrés dans de telles manifestations où ils prennent une place prépondérante, pour provoquer des débordements et, par ricochet, susciter la lassitude chez le citoyen et l’indignation chez le bourgeois. Les procédés de la police politique – qui n’a rien à voir avec le maintien de l’ordre – ne varient guère quels que soient les temps et les circonstances. On a connu ça aux temps anciens ! Difficile de croire qu’il n’est pas possible d’empêcher de nuire quelques centaines de casseurs – voire un millier ! –, vraisemblablement répertoriés pour la plupart – fichés S pour certains –, et qui, comme par hasard, ne sont jamais arrêtés ni jugés en tant que tels. Fouché est bien l’esprit même de la République et de tous les petits Bonaparte qui prétendent la faire vivre, pour la sauver.
Politiquement, rien de nouveau. Macron campe sur ses positions en mettant en avant son gouvernement chargé d’attraper les coups. S’est jouée sous nos yeux l’artificieuse excitation du faux suspense médiatique et politique du coup attendu du 49-3 pour adopter le projet de loi sur les retraites, accompagnée des hurlements d’usage, renforçant par le fait même les manifestations récurrentes de la mobilisation syndicale qui a pris, fin mars, une ampleur plus que significative avec grèves consécutives, dont celle des éboueurs et autres services indispensables.
Macron annonce des changements de méthode, tout en maintenant sa ligne imperturbable. Il s’imagine consolider son socle législatif, de plus en plus écorné, et passer à d’autres chapitres plus consensuels ou présentés de manière plus accessible et plus simplifiée, ou encore plus facilement réductible aux procédés gouvernementaux de décisions rapides. Et puis, à côté de l’immigration, bien sûr, « choisie » et astucieusement fragmentée en autant de petits dossiers facilement présentables, il est plus que probable que le sociétal, gardé et préparé dans les coulisses, refera sa majestueuse entrée sur scène pour refaire l’unité de l’esprit de la République sur les thèmes où se retrouvent le progressisme de gauche et le modernisme de droite, l’atout gagnant de Macron, joueur et acteur : la fin de vie, l’euthanasie, – décidée par une commission citoyenne, pourquoi ? comment ? –, la constitutionnalisation de l’avortement et autres panthéonisations dont l’esbroufe marche toujours aux accents de la Marseillaise.
En attendant, le Conseil constitutionnel, saisi du projet de loi sur les retraites, doit rendre sa décision dans les prochains jours. Gageons que Macron rebondira à cette occasion, surtout si sa loi est retoquée dans son ensemble ou en partie. Il en profitera pour faire croire à un réaménagement de ses conceptions et de ses procédés, en continuant à gouverner avec la même morgue. En réalité, ce garçon qui n’a rien d’autre dans la tête que ses idées préconçues, toutes plus fausses les unes que les autres, n’a aucune conviction de fond. Il a soutenu sur tous les sujets tout et son contraire, commençant généralement par le plus absurde pour finir sur le plus contradictoire. Après Hollande le nul, Macron le foutraque ! La République continue dans ses hautes performances.
En ce mois d’avril, rien ne changera, sauf que tout empirera. Macron a été obligé, fin mars, de reporter la visite du roi Charles III. La presse anglo-saxonne se moque de la France ; la France est ridiculisée dans le monde entier. Les pays d’Europe ne valent guère mieux, mais il est vrai qu’avec Macron la France a décroché le pompon. Cette humiliation n’est qu’un début. Nul ne sait jusqu’où la dégradation peut aller. Pratiquement nous n’avons plus d’alliés véritables. Les jeux se font sans nous. Et quand il va en Chine faire l’important, il est accompagné comme un gamin par Ursula von der Leyen, son égérie et sa souveraine qui décide pour lui.
Alors, Macron parle pour exister. Et quand il parle, les journalistes – tels ceux qui l’ont interrogé à l’Élysée fin mars – doivent se taire : il impose sa parole, son débit saccadé, son regard halluciné. En paroles, il croit encore tout diriger. En réalité, tout se dérobe devant lui. Le président que les Français ont réélu comme chef de l’État, il y a bientôt un an, par un tour de passe-passe qui fut un habile escamotage de l’élection – mais la tromperie se paye un jour ou l’autre –, n’a plus de légitimité qu’institutionnelle et légale ; il a perdu toute légitimité de fond, historique, nationale, politique, encore plus intellectuelle et, pour tout dire d’un mot, spirituelle. Plus rien ne passe entre lui et la nation. Ce ne sont certes pas les pitreries parlementaires de la Nupes qui le déconsidèrent ; au contraire, elles le servent. C’est lui-même en tant que tel qu’une grande majorité, entre 70 et 80 %, des Français rejettent – et de plus en plus évidemment, comme son prédécesseur était rejeté à 90 %, qui lui n’était au vrai qu’une nouille !
Ce rejet est total et global, tant comme gouvernant que comme représentant du pays, car les Français n’apprécient ni sa politique ni sa direction, ni son idée même de chef de l’État, ni sa conception du commandement en général. Ils y sentent le contraire de toute la tradition : un homme qui joue et surjoue son rôle personnel. Les Français ne supportent plus tout simplement l’homme, tant dans sa manière d’être, ses comportements inadmissibles, que dans son arrogante prétention intellectuelle de mener le pays, de gré ou de force, dans un vaste plan de transformation qu’il a cogité avec ses équipes et présenté à ses affidés énamourés en forme de programme électoral pour être enregistré comme tel, alors que la majorité des électeurs n’y a jamais compris que pouic : un tas de réformes à tire-larigot, sous le prétexte ressassé de l’urgence : urgence de modernité, d’écologie, de démocratie, de climat, d’adaptation aux nécessités du monde globalisé. C’est si facile de créer l’urgence ! Mais rien de bon ne se fait sous le seul signe de l’urgence. Elle est même le signe avant-coureur de la catastrophe : telle l’urgence sanitaire, l’urgence sociale, l’urgence énergétique, l’urgence industrielle, l’urgence agricole et alimentaire, enfin l’urgence militaire que l’État est en train de concevoir puisque les menaces sont là maintenant. Tant d’urgences, jusque dans l’appareil d’État où plus rien ne fonctionne !
Voilà la France de Macron : un pays qui a été dépouillé de tout. Tout ! D’abord dépouillé de sa force industrielle à quelques exceptions près sur lesquelles il faut se méfier des interventions du pouvoir, tant ses conceptions sont destructrices : Montebourg devant la commission parlementaire a décrit cette ruine programmée ; il n’était pas le seul intervenant à dénoncer la triste série des abandons et des désastres ; et on apprend, du reste, que l’entreprise Velan-Segault qui fabrique les tuyauteries des sous-marins nucléaires passe sous pavillon américain, une de plus ! Puis dépouillé de sa puissance agricole et agro-alimentaire. La France jadis exportatrice, importe, sauf quelques domaines préservés. Enfin, dépouillé de sa richesse territoriale, patrimoniale, sur laquelle Macron a encore malheureusement des idées saugrenues qu’il veut institutionnaliser. La France profonde se meurt tous les jours : villes, villages, pays, provinces. Les systèmes étatiques sont eux-mêmes en capilotade.
Résultat de cette réussite sublime dans l’échec le plus complet : 3000 milliards de dettes, bientôt 120 % du PIB. Ratio qui monte à 230 % si le chiffre est rapporté aux recettes du Trésor. Déficit budgétaire prévu en 2023 : 159 milliards. Solde commercial en déficit de 53,5 milliards avec des échanges sur les biens qui accusent un déficit de 163,6 milliards, record de toutes les dégradations. Et, maintenant, les taux s’envolent, aggravant la charge d’intérêts de la dette publique qui pourrait atteindre des chiffres astronomiques, au-delà des plus gros postes du budget de la nation, rendant la crise financière inéluctable, d’autant plus que la dette est détenue en large partie par l’étranger. Il est des gens avisés, de quelque horizon que ce soit, qui crient « casse-cou » ; ils sont peu nombreux et tout le monde s’en fiche. Le Maire, Monsieur Assurance, sourit gentiment, pendant qu’Édouard Philippe, Monsieur Subtilité, et Gérald Darmanin, Monsieur Ordre Public, ses concurrents, ne pensent qu’à décrocher le fameux « pompon ». La République dans tous ses états.