Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Il paraît que « le centre hospitalier Nord Ardennes est à la recherche de médecins anesthésistes, de gynécologues et de pédiatres pour sa maternité de niveau 2. » Comme il le précise sur le site créé tout exprès, et dans une publicité parue au moins dans Le Figaro, ce centre est « dans le top 50 des établissements hospitaliers de France, avec 5 spécialités figurant dans le dernier classement annuel du Point ». Comment ne pas être tenté ?
Mais nous sommes en 2023 et, donc, site et publicité précisent que « tout candidat retenu avant le 15 avril 2023 donnera son nom à une rue de Charleville-Mézières ou Sedan ». Voilà. Avant, on s’appelait Louis Pasteur et on inventait le vaccin contre la rage et on avait son avenue à Sedan à côté des avenues du Maréchal Leclerc, des Martyrs de la Résistance ou de la rue du Président Salvador Allende. Maintenant, on accepte d’être anesthésiste avenue de Manchester à Charleville-Mézières et on est traité comme un héros – et peut-être un martyr. C’est la France de Macron, qui continue à ruiner tous les hôpitaux publics en même temps que la santé des Français, constitutionnalise l’avortement et va introduire en grandes pompes l’euthanasie. La tête pleine de chimères, le président foule aux pieds les Français et, juché sur ce triste pavois, se rengorge d’assumer le chaos qu’il sème.
Pendant ce temps, Bruno Le Maire est fier d’annoncer, le 22 mars, que « la France sera la première nation en Europe à mettre des règles claires sur le secteur de l’influence commerciale ». Ce touite m’a donné chaud au cœur. Nous sommes au 25e rang mondial du PIB par habitant, en France, selon le FMI. Devant nous, l’Irlande, la Suisse, la Norvège, les États-Unis, l’Islande, l’Australie, le Danemark, la Suède, le Canada, Israël, l’Autriche, le Royaume Uni, la Belgique, l’Allemagne, la Finlande… Notre dette publique est à 113,4 % de notre PIB (66,6 % en Allemagne), l’industrie représente 13,1 % de notre PIB (24 % en Allemagne), nous sommes en déficit commercial croissant depuis 20 ans (serez-vous étonnés d’apprendre que l’Allemagne est très largement positive ?), mais Bruno Le Maire est fier : il va réglementer ceux qui font de la pub sur YouTube et TikTok. La France est en train de ruiner son industrie automobile sous prétexte de sauver la planète cependant que l’Italie, l’Allemagne, la Pologne, la République tchèque et la Bulgarie (les sous-traitants allemands, quoi) défendent les moteurs thermiques et s’opposent à l’interdiction de leur vente en Europe à partir de 2035. La France s’acharne à défendre cette absurdité car elle est persuadée qu’elle va ainsi réussir à lancer sa filière hydrogène et sécuriser sa filière nucléaire. Inutile de dire comment la chose va finir. En attendant, Bruno Le Maire est heureux de protéger les consommateurs français en lançant signal.conso.gouv.fr pour « signaler les arnaques » (sic). On attend avec impatience ses déclarations fracassantes sur une nouvelle loi pour encadrer les coachs en bien-être une fois que l’Union européenne aura ratifié son accord avec le Mercosur (auquel l’Allemagne est favorable), supprimé 90 % des droits de douane entre l’Europe et l’Amérique du Sud et ruiné ainsi les éleveurs français.
Bizarrement, les Français ne sont pas contents. Voilà 150 ans qu’on leur dit qu’ils sont représentés, c’est-à-dire qu’ils ont le droit de voter et de se taire, puisque les bons démocrates ont décidé qu’il ne pouvait pas y avoir de mandat impératif et que des démocrates encore meilleurs ont décidé qu’on ne ferait jamais de référendums sur rien et que le plus démocrate d’entre nous, Manu, a décidé de réinventer la démocratie directe (après l’histoire de France et juste avant la diplomatie africaine, avec le même succès) à l’aide de conventions citoyennes encadrées et de grands débats contrôlés. Les Français ont désormais le sentiment qu’ils sont très mal représentés, par des gens élus par une minorité, qu’on ne peut pas dégager, même quand ils sont nuls, et ils sont nuls, même s’ils prétendent en permanence le contraire en sous-entendant que le peuple est bête, ce qui est énervant. Voter ne suffit donc plus au bonheur citoyen du peuple. Désormais, les Français sont prêts à puiser dans le vieux répertoire de la violence. Ils trouvent pour moitié que « les actions militantes violentes pour contraindre les politiques à prendre en compte l’avis de la population » sont plutôt (29 %) ou tout-à-fait (23 %) légitimes (ObSoCo, enquête, mars 2023). On mesure ici, après ses incroyables succès industriels, économiques et diplomatiques, tout le mérite social et politique, stricto sensu, de Macron. 28 % des 25-44 ans sont tout-à-fait d’accord, surtout les plus pauvres, à qui on promet depuis quelques décennies que l’Union européenne, l’immigration et la République vont les enrichir mais qui s’obstinent, bêtement, à regarder leur pouvoir d’achat se racornir. Il est temps, en effet, de contraindre les politiques à écouter la population, qui pense mieux que les privilégiés qu’elle entretient.