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Les Baltes face aux chrétiens

Sylvain Gouguenheim a écrit une somme sur les Pays Baltes qui impressionne autant par la méthode et l’érudition que par la découverte de ces “païens” isolés au milieu d’une Europe christianisée. La partie proprement historique commence avec les Indo-européens et se termine au XVIIIe siècle.

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Les Baltes face aux chrétiens

Évidemment, on apprend mille choses mais surtout on admire la critique des sources à laquelle se livre l’auteur, la manière dont un historien, aujourd’hui, a à sa disposition une somme incroyable de savoirs archéologiques, mythologiques, linguistiques et même biologiques (avec les analyses ADN de squelettes plus qu’antiques). Ordonner un tel savoir, “déconstruire” les idées reçues et les interprétations traditionnelles, en tirer une ligne, reconnaître les querelles et prendre son parti, voilà un bel exercice de navigation méthodologique. Mais tout l’intérêt du livre, à mon sens, réside d’une part dans le matériau à partir duquel l’auteur nous raconte les mythes, les dieux, les rites et les coutumes de ces peuples qui résistèrent longtemps à la christianisation, d’autre part dans ce paganisme puis ce syncrétisme fascinant. Le matériau parce qu’il est bien sûr essentiellement chrétien : ce sont les missionnaires et les conquérants, chevaliers teutoniques en tête, qui racontent ce qu’ils voient, et l’interprètent (on imagine bien comment les premiers missionnaires considérèrent les gros serpents familiers des Baltes), évoluant peu à peu de la franche détestation (dont l’auteur souligne la nécessité rhétorique et politique) à la curiosité ethnologique, la résistance guerrière et les concessions purement formelles des Baltes encourageant d’ailleurs à une lutte moins frontale.

L’histoire du regard des conquérants-explorateurs-ethnologues-administrateurs est traitée par Gouguenheim, au fil des sources, et elle est aussi intéressante que ce qu’ils rapportent. Quant à cela, on se croirait, alors même que Notre-Dame était achevée, que des cathédrales avaient partout poussé et que la Scandinavie était chrétienne, dans un pays de fantaisie, rempli de bois sacrés, de serpents domestiques, de vénérés marteaux de fer, d’une divinité lièvre et d’un waidlott (au moins), vieillard sacrifiant des boucs avant qu’on n’arrache les cheveux du sacrificateur (plus il crie, mieux les péchés sont pardonnés). On touche du doigt, semble-t-il, sous la couche chrétienne, à des mythologies vraiment antiques, aux cultes des forces naturelles que même les Romains avaient dû oublier. Les Baltes, dispersés, entêtés, fragmentés, mirent quelques siècles avant d’abandonner – et encore… Les derniers païens est un modèle de synthèse historique où l’auteur réussit à propulser son sujet plus loin que ses devanciers, en partie parce qu’il a sagement renoncé à présenter comme certain et assuré tout ce qui avait pu être dit précédemment, y compris le teutonique et déplaisant Pierre de Dusburgk et le bien plus aimable moine Jérôme de Prague, au XVe siècle.

 

 Sylvain Gouguenheim, Les derniers païens. Passés composés, 2022, 448 p., 24 €.

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