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Les mauvaises préférences américaines de la droite nationale française et de ses homologues

Affolés par la décrépitude de leur pays, les Français “de droite” exaltent les hommes du Nouveau Monde qui leur paraissent avoir poigne et courage – oubliant au passage que leurs principes d’action diffèrent totalement de ceux de notre tradition nationale. Le libéralisme calviniste et la loi de la jungle ne servent pas le bien commun.

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Les mauvaises préférences américaines de la droite nationale française et de ses homologues

En 2018, feu Gérard Bedel publia un livre fameux intitulé Le gaullisme, maladie sénile de la droite, où il brocardait l’engouement d’une droite nationale vieillie, vaincue et désormais impuissante, pour le gaullisme en lequel elle voyait l’unique adjuvant possible à son effort de redressement et le seul moyen de reconquérir un public perdu depuis longtemps. À sa façon, elle comptait utiliser la « certaine idée de la France » du général, désormais idolâtré, comme l’instrument de réalisation d’un consensus national dont elle tirerait profit. Gérard Bedel démontrait l’inanité de ce recours au gaullisme perçu comme la seule planche de salut pour la droite, et montrait le côté artificiel, grossièrement synthétique et spécieux de la vision gaullienne de notre pays, en réalité étrangère à la véritable histoire et à l’essence même de la France – de la même façon que l’eschatologie teilhardienne ne livre aucunement le sens de l’évolution du monde.

Trump et Bolsonaro : des alliés ?

La droite nationale, en France, est prompte à tomber dans de tels travers. Et, depuis plusieurs années, elle en donne un nouvel exemple avec son inclination en faveur de deux anciens présidents étrangers : l’Américain Trump et le Brésilien Bolsonaro. Spontanément, elle leur offre son appui, sans balancer. Il s’agit d’un réflexe suscité par le rejet du système mondialiste actuel, inspiré par une idéologie de type New Age, droits-de-l’hommiste, universaliste, uniformisateur, hostile aux identités culturelles nationales et régionales ainsi qu’au modèle familial traditionnel, et imposant le totalitarisme soft de la pensée unique et du politiquement correct d’un brave new world en gestation. Des hommes comme Trump et Bolsonaro se présentant comme les ennemis déclarés de ce système, la droite nationale les soutient par réflexe, et voit en eux des alliés aussi providentiels qu’indispensables. Ce faisant, elle ne se donne pas la peine de la réflexion, laquelle lui révélerait les différences essentielles, voire les oppositions qui la séparent d’eux. 

Il n’existe pas d’équivalent américain de notre droite nationale 

Pour commencer, il n’existe pas, en Amérique, d’équivalent, même approximatif, de notre droite nationale. L’histoire des pays du Nouveau Monde ne ressemble en rien à celle des nations européennes, pas plus celle des États-Unis ou du Canada que celle du Brésil et autres états latino-américains. Créés à la fin du XVIIIe siècle, les États-Unis se réclament des valeurs libérales de la civilisation industrielle et marchande qu’ils avaient commencé à édifier avant leur indépendance et qu’ils n’ont cessé de développer ensuite, l’exportant dans le monde entier. Leurs valeurs spirituelles et éthiques, d’essence protestante (et, plus exactement, calviniste), sont indissociables d’un idéal de liberté, que leur morale religieuse, puritaine, borne par un très strict code social et comportemental, mais qui s’accorde on ne peut mieux avec le capitalisme le plus effréné, le plus matérialiste et le plus brutal, sans égard aux détresses individuelles et collectives qu’il engendre fréquemment. Et, de ce fait, le nationalisme américain, tel qu’un Reagan ou un Trump l’incarnent, se manifeste par la loi de la jungle, la loi du plus fort, du plus malin, du plus violent, du plus cynique, et aussi du plus grossier et du plus inculte (mais profondément croyant et assidu au temple), tant au sein de la société américaine que dans l’attitude des États-Unis sur la scène mondiale. Les Américains ne distinguent jamais les valeurs spirituelles et morales des manifestations de la puissance individuelle et collective ; et, calvinistes dans l’âme et dans les tripes, ils voient dans le succès de ces dernières une justification morale. Le vainqueur a raison, est moralement justifié, et le vaincu a tort. Et le droit sanctionne la situation ainsi créée. Le faible n’a d’autre recours que de tout faire pour devenir fort à son tour. À l’esprit des Américains, est juste ce qui réussit, et il ne leur vient pas à l’idée qu’une juste cause soit écrasée ou éclipsée par le triomphe d’une cause immorale. Enfants des « Lumières » du XVIIIe siècle et des loges maçonniques, constitués d’une plèbe à la fois ignorante et confite dans le protestantisme le plus étriqué et le plus obscurantiste, et d’une bourgeoisie issue de cette plèbe pionnière, moralement guidés par des pasteurs rigoristes et bornés, dépourvus d’aristocratie nobiliaire, n’ayant jamais vécu sous une monarchie, démocrates de nature, les Américains ne font jamais de distinction claire entre la force et la morale, entre la force et le droit, entre la force et l’honneur, entre la puissance et la grandeur, entre le fait accompli et le droit. Chez eux, l’esprit n’est jamais tout à fait distinct de la matière, et la grandeur, la noblesse et l’honneur des États-Unis s’exprime par leur puissance économique et militaire, qui leur permet d’imposer leurs vues morales et politiques au monde, par la fortune d’hommes comme George Soros, Donald Trump, Bill Gates ou Elon Musk, Jeff Bezos ou Andy Jassy. Le plus naturellement du monde, ils considèrent la pauvreté, voire la misère de soixante millions des leurs (et la gêne matérielle de beaucoup d’autres encore), comme la juste rançon de la puissance et de la gloire de leur pays ; et leurs hommes de droite n’ont pas la moindre sensibilité à l’égard du plus grand nombre et des plus modestes des citoyens. Aux Etats-Unis, il ne saurait exister une droite nationale et sociale distincte de la droite libérale pure et dure. Il n’a existé et ne pouvait exister aucun équivalent américain de Villeneuve-Bargemont, Le Play, La Tour du Pin ou Georges Valois. 

Et il n’en existe pas davantage au Brésil 

Il en va de même au Brésil. La droite brésilienne a toujours été inconditionnellement libérale et, comme telle, résolument hostile à toute politique sociale, même timide. Incarnée, jusqu’au milieu des années 1960, par l’Union démocratique nationale (UDN), elle a durement combattu la politique sociale de Getulio Vargas de 1934 à 1945, puis de 1950 à 1954 (poussant même ce président au suicide), qui ne faisait pourtant que créer une indispensable et élémentaire législation visant à alléger la pauvreté des masses, et qui se combinait avec une politique économique volontariste de développement de l’industrie et du commerce visant à assurer la prospérité du pays et donc à le hisser au niveau des puissances émergeantes et à accroître son importance et son prestige dans le monde. Le nationalisme brésilien se trouvait alors chez Vargas, d’ailleurs anticommuniste et peu ou prou inspiré par le fascisme, et non chez ses adversaires de droite qui l’accusaient de communisme. Et cette situation perdura. En 1961, l’UDN combattit le président Quadros, pourtant conservateur, populiste et nationaliste, dont elle avait permis le succès lors de la présidentielle de 1960, dès que celui-ci, par patriotisme, manifesta une velléité d’indépendance vis-à-vis des États-Unis. Puis les dictateurs militaires de la longue période 1964-1984 optèrent résolument pour le capitalisme pur et dur, ainsi que l’Alliance pour la Rénovation nationale (ARENA), le parti à leur dévotion, qui avait succédé à l’UDN en 1965. Avant comme pendant et depuis la dictature militaire, la droite brésilienne s’est réclamée, jusqu’à nos jours, d’un nationalisme indéfectiblement étayé sur le libéralisme mondialiste inconditionnel, le refus de toute réforme sociale, considérée comme d’essence communiste et nuisible à l’essor du pays, et l’identification de la grandeur du Brésil à sa seule puissance économique, à l’exclusion de toutes valeurs spirituelles, morales et autres. En cela, elle ressemble à s’y tromper à la droite américaine du parti républicain, et ne propose pas d’autre projet politique que le maintien d’une société régie par la loi de la jungle et justifiant la misère du plus grand nombre de citoyens au bénéfice d’une minorité de riches, de puissants et d’habiles qui se jugent indispensables à la gloire de la nation et à la lutte contre la subversion et la décadence. 

Une incompatibilité tenant à des raisons historiques et culturelles 

Des hommes comme Ronald Reagan, Donald Trump, le second Bush, les anciens dictateurs militaires brésiliens ou Jaïr Bolsonaro, qui se veut leur disciple, ne sont que des dirigeants matérialistes et brutaux incapables de concevoir un régime politique et une société étayés sur autre chose que l’armée, la police, la loi du marché et, au dehors, une politique agressive. Le Nouveau Monde ayant ignoré les périodes historiques riches de spiritualité et d’une haute moralité, fondées sur la dignité et l’honneur, et caractérisées par des sociétés d’ordre certes imparfaites et dures mais habitées par un très profond esprit communautaire, ils sont, eux, incapables de les concevoir et de s’en inspirer, puisqu’elles ne font pas partie de l’histoire, et donc de la mémoire et de l’habitus de leurs pays respectifs. 

De dangereux faux alliés 

En vérité, ces hommes, les Trump, Bolsonaro et autres, n’ont rien de commun avec la droite nationale française, et leur projet politique lui est totalement étranger tant dans ses assises philosophiques et morales que dans son héritage historique. En bien des points, leur projet politique est même opposé au sien. En conséquence, il paraît aberrant de voir des gens qui se réclament d’elle et y militent (toutes tendances confondues) prendre parti en leur faveur au motif de la nécessité de la lutte contre ces courants mortifères que sont le terrorisme intellectuel et éthique de gauche, le wokisme, la pensée unique, le politiquement correct, l’universalisme, l’idéologie des droits de l’homme, la subversion morale et sociale de type LGBTQIA+, le fanatisme ultra-féministe et autres calamités. Il ne s’agit pas de nier la gravité de ces dernières et de leur préférer certains de leurs adversaires. Mais, dans la lutte de la droite nationale contre elles, des Trump et des Bolsonaro sont de pernicieux alliés. Légitimant crûment une société violente, au sein de laquelle le fort écrase le faible, justifié en cela, de surcroît par une morale libérale et calviniste sommaire imprégnant les comportements et le droit, ils jouent inévitablement le rôle de repoussoir en un pays attaché aux principes élémentaires de la charité chrétienne et de la justice sociale. Par ailleurs, point n’est besoin d’être aliéné par l’idéologie écologiste et climatiste pour considérer comme dangereuse pour la planète la politique industrielle et énergétique de Trump, roi du charbon et du gaz de schiste, et le massacre par Bolsonaro et les gouverneurs « bolsonaristes » du nord du Brésil, de la forêt amazonienne, destruction qui bouleverserait tout l’équilibre climatique de la Terre. Enfin, la lutte contre le mondialisme, rouleau compresseur écrasant les nations et les civilisations en vue de leur substituer un meilleur des mondes aseptisé et woke ou New Age ne justifie pas la méconnaissance délibérée de la dangerosité de la politique étrangère provocatrice et belligène de Trump. 

La droite nationale doit rester fidèle à son identité 

On ne choisit pas entre la peste et le choléra, entre le cancer et le sida, et la droite nationale n’a pas à le faire. De par sa nature, sa sensibilité, ses idées, ses idéaux spirituels et moraux, son projet politique et social, elle n’est pas plus proche des droites américaines (celles des États-Unis et du Brésil, mais aussi celles du Mexique, du Chili et d’autre états latino-américains) que des dirigeants universalistes et woke qui gouvernent les pays occidentaux. 

Malheureusement, elle et ses homologues ouest-européennes ne semblent pas le comprendre. Pire, sous prétexte d’adaptation au monde actuel, elle se laisse gagner par ses orientations matérialistes, comme le montrent les exemples, en France, du Reconquête ! d’Éric Zemmour ou, en Italie, de la Ligue de Matteo Salvini et des Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, tous économiquement ultralibéraux et antisociaux, ou encore, du Rassemblement national, qui donne dans l’excès inverse du populisme de gauche. Un ressaisissement est donc souhaitable. Il commence par la fidélité à notre identité.

 

Illustration : Les partisans de Bolsonaro appellent à l’insurrection armée, le jour anniversaire de la proclamation de la République au Brésil.

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