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Elizabeth II, Out of Africa

Tout au long de son règne, Elizabeth II a visité plus de vingt pays africains et a entretenu des liens étroits et compliqués avec ses anciennes colonies britanniques. Au sein du Commonwealth, son décès a provoqué des réactions contrastées en Afrique.

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Elizabeth II, Out of Africa

Reine, Elizabeth II a pratiquement visité tous les pays africains qui sont membres du Commonwealth. Pas moins de vingt déplacements selon le site officiel de cette organisation regroupant toutes les anciennes colonies britanniques de par le monde et dont la souveraine été le chef durant soixante-dix ans. C’est au cours du XIXe siècle que les Anglais commencent à véritablement coloniser le continent africain, imposant de gré ou de force des protectorats aux souverains défaits, transformés plus tard en vastes colonies dont les frontières tracées à la règle ne tiendront jamais compte des antagonismes ethniques et géographiques des uns et des autres. Une fois installés au sommet de la hiérarchie, les Anglais mettent en place le système de l’Indirect Rule leur permettant de diriger ces différents territoires conquis grâce à l’appui des rois locaux à qui ils délèguent des pouvoirs, « piliers incontournables de l’ordre colonial ». Du Cap au Caire, l’Union Jack flotte alors sur une large partie de l’Afrique.

L’annonce du décès d’Elizabeth II n’a pas suscité d’émotion particulière au Kenya. C’est pourtant ici qu’elle s’était couchée princesse pour se réveiller souveraine de Grande-Bretagne, d’Écosse et d’Irlande du Nord, un 6 février 1952. Quelques mois après sa montée sur le trône, une violente rébellion éclatait dans ce fleuron de l’Empire britannique. L’état d’urgence sera déclaré sur l’ensemble de la colonie et la répression sera violente. Sur les réseaux sociaux, les Kenyans ont rappelé les massacres perpétrés par les Anglais contre les Mau-Mau, certains évoquant même un « génocide ». Une guerre qui a fait 100 000 morts selon les estimations données par les historiens. Les survivants de cette guerre, régulièrement interrogés par la presse locale, évoquent les sévices endurés dans les camps de détention. Si Londres a exprimé ses « regrets » et versé des millions d’euros de dommages aux survivants en 2013, elle n’a jamais présenté d’excuses publiques. « La réponse du gouvernement britannique n’a jamais été à la hauteur » a déclaré sur les ondes de Radio France Internationale Joel Kimutai Bosek. Cet avocat défend les victimes de la répression britannique et il espère que le nouveau roi Charles III fera amende honorable tant les blessures demeurent depuis que le Kenya a aboli la monarchie fin 1963.

Le Ghana a été la première colonie à prendre son indépendance en 1957. Pressenti pour les funérailles nationales organisées pour la reine, le roi Osei Tutu II a dû renoncer à se déplacer dans la capitale de Grande-Bretagne au nom de la tradition qui interdit à un monarque Ashanti de voir les restes d’une personne décédée. Dans l’ancienne Gold Coast, la reine Elizabeth II a marqué les esprits en venant personnellement assister à la fin de la domination anglaise dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest. Le président Akufo-Addo a annoncé que le drapeau serait en berne pour une semaine, rendant un vibrant hommage à la reine. Un de ses prédécesseurs, le président John Mahama, a salué en elle, une « icône de fierté non seulement pour le peuple britannique mais aussi pour le Commonwealth, qui s’est acquittée de ses fonctions royales avec grâce, équilibre et dignité ». Nul n’a oublié que la reine Elizabeth II avait bravé tous les interdits, faisant fi des avertissements de ses conseillers à peine teintés de racisme, en dansant avec le président Kwame Nkrumah lors d’une visite officielle en octobre 1961 : le premier chef d’État à avoir été autorisé à toucher la souveraine et le symbole d’une revanche pour les Ashantis dont l’empire avait été emporté par un tsunami de tuniques rouges.

« La famille d’Elizabeth II et son pays ont déshumanisé les Africains, pillé le monde entier et commis des atrocités odieuses. »

En Afrique du Sud, le président Cyril Ramaphosa a rendu hommage à une « personnalité publique extraordinaire et de renommée mondiale qui a eu une vie remarquable », provoquant l’irritation du populiste Julius Malema.  « Nous ne pleurons pas la mort d’Elizabeth, car pour nous sa mort est le rappel d’une période tragique pour notre pays et dans l’histoire de l’Afrique. S’il y a vraiment la vie et la justice après la mort, qu’Elizabeth et ses ancêtres obtiennent ce qu’ils méritent. Parce que sa famille et son pays ont déshumanisé les Africains, pillé le monde entier et commis des atrocités odieuses » a déclaré le leader du principal parti d’extrême-gauche. Sur les réseaux sociaux, les appels se sont multipliés pour que le Royaume-Uni restitue le « Cullinan », appelé aussi « Grande Étoile d’Afrique », ce diamant de 530 carats a été offert à la famille royale par les autorités coloniales du Transvaal, extrait à la sueur des mineurs africains. Oublié que c’est au Cap que, jeune princesse de 21 ans, la reine Elizabeth II avait prononcé son célèbre discours de 1947 où elle s’était engagée à servir les sujets de l’Empire, toute sa « vie entière, qu’elle soit longue ou courte ». Oublié que la reine Elizabeth II était sortie une fois de son sacro-saint devoir de réserve en prenant fait et cause contre l’apartheid et contre l’avis de son Premier ministre Margaret Thatcher, proche du régime de ségrégation raciale (au pouvoir entre 1948 et 1994). Oubliée, la réception grandiose que la souveraine avait organisé pour Nelson Mandela (1996), où ce dernier avait « chaleureusement remercié Elizabeth II de son amitié », l’appelant simplement par son prénom lors de son discours.

Si l’empathie n’a pas été au rendez-vous en Afrique à l’annonce de la disparition de la reine, l’héritage colonial est cependant toujours très présent en Afrique anglophone. Dans chaque capitale, il n’est pas rare de trouver une Queen’s road, un Prince Charles drive ou même une Philip Road, vestiges d’une époque que les Africains cherchent désormais à enterrer. « Le débat sur le changement de noms des rues et d’un retour aux noms traditionnels [… ] revient régulièrement dans les médias » africains comme nous le rappelle le quotidien Le Monde. Il n’en reste pas moins que les dirigeants africains du Commonwealth se sont tous déplacés pour lui rendre un dernier hommage à l’abbaye de Westminster, saluant massivement « cette grande amie de l’Afrique ». Avec le décès de la reine Elizabeth II, c’est aussi une page de l’histoire coloniale britannique qui vient définitivement de se tourner, emportant avec elle les tourments d’une époque révolue – on peut l’espérer.  

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