L’affaire Quatennens révèle moins la décadence de la chose politique que le problème de l’individualisme, et manifeste ce que le divorce enlève à la société : le sens et le goût du lien et de la fidélité.
Alors que le raz de marée médiatique se retire lentement après quelques dégâts, il apparaît un point de l’affaire dite Quatennens dont on parle peu, sinon pas. Et pourtant, ce point n’est pas un détail. Sur les faits : Adrien Quatrennens, jeune député NUPES réélu en juin, s’est retiré de ses fonctions de coordonnateur au sein du mouvement de la France Insoumise pour « protéger son mouvement » après qu’un média (Le Canard enchaîné) a révélé que sa femme, avec laquelle il est en instance de divorce, a déposé une main courante pour violence quelques mois auparavant. Les violences sont – d’après les faits connus – une gifle balancée dans un élan de colère (ou de désespoir ?) et une bousculade au cours d’une dispute pendant laquelle le criminel député s’appropria le téléphone de son épouse quelques longues minutes, ce qui est une inacceptable atteinte à la propriété privée, un viol de son jardin secret… Si le divorce de Céline et Adrien est factuellement une révélation, au sens où nous ne n’en avions pas connaissance avant les publications afférentes – ce qui est bien normal –, un divorce n’est pas une surprise dans une société où annuellement 200 000 couples séparent juridiquement ce que la loi a uni…
Il n’y a pas de révélation quant à l’inévitable contradiction entre les discours politiques si féministes soient-ils, et la réalité vécue. Il n’y a pas non plus de révélation quant aux conséquences politiques de cette affaire, dont les médias glosent. LFI ne voit plus de problème depuis que Quatennens s’est mis en retrait et le parti ne demandera pas sa démission de son mandat de député. Il est même salué. Mélenchon en a tiré les conséquences : son ami Adrien a pris des dispositions courageuses avec « dignité » et il renouvelle sa « confiance » en son ami. Il n’y a pas plus de découverte sur le traitement journalistique des hommes politiques et de leur politique confrontée au réel. Nous ne parlerons donc pas de la pauvre Céline, (l’encore) femme d’Adrien, qui aurait été « grammaticalement invisibilisée » dans les 280 caractères du tweet de Mélenchon d’après la puissante analyse du très attendu rhétoricien Clément Victorovitch de l’émission Quotidien de Yann Barthes.
Une vision libertarienne des institutions
On remarquera seulement que ce type d’affaire (errements privés étalés au grand jour) malheureusement très courant (affaire Griveaux, Taha Bouhafs, et maintenant Julien Bayou, etc.) n’est rien d’autre qu’une arme de dissuasion politicienne plus qu’un réel enjeu de civilisation… Force est de constater qu’ils promeuvent tous une vision libertarienne des institutions, plaçant l’individu au centre comme le nombril de l’intérêt général… Certaines féministes demandent même de cesser la récupération et l’instrumentalisation de ces affaires en vue de faire tomber des têtes… Décidément, tout ici est connu, sinon attendu. Pire : conforme.
En couple depuis plus de treize ans, mariés depuis 2014 et parents d’une petite fille de trois ans, les Quatennens ont suivi la trajectoire idéale de qui veut fonder une famille et lui donner un cadre. Ils ont même suivi (jusqu’ici) un parcours exemplaire à rebours des mœurs libertaires promues à gauche : un couple, un mariage, puis l’enfant. Félicitations. Bienvenue chez les réacs ! D’ailleurs Quatennens aime sa femme, Céline. Et le cœur d’Adrien a ses raisons que la raison de Céline ignore… Du long communiqué d’Adrien Quatennens, il ne fallait retenir qu’une phrase : « je vois tant de couples autour de nous surmonter leurs difficultés que je me résous mal à l’idée que ces 13 années d’une intensité singulière ne puissent finalement représenter qu’une saison de notre vie ».
Puisqu’ils étaient mariés, ils se sont dit oui, librement, devant la loi en 2014 dont les articles de loi suivants : « Article 212 : Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. Article 213 : Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir. » En demandant le divorce, Céline ne rompt pas seulement un contrat. Elle annule sa promesse de « respect, fidélité, secours, assistance ». Elle met fin à un projet de vie commun… Alors peut-on comprendre le désespoir d’Adrien ?
Une table à repasser comme pupitre
Il ne s’agit pas d’excuser les violences d’un homme envers sa femme, mais de les expliquer et de comprendre comment elles auraient pu être évitées dans le cas particulier Quatennens (bien différent de l’écolo Julien Bayou…). Cela demande d’aller au-delà des analyses à trois sous sur le machisme systémique et le patriarcat d’État… À rechercher les causes des disputes entre Adrien et Céline comme elles apparaissent dans le communiqué du député LFI, on comprend que les tensions du couple sont liées à des « ruptures de communication » et finalement que ces tensions explosent à la demande de divorce formulée par Céline, après « les dernières vacances d’été passées ensemble ».
En s’appuyant sur la psychologie de comptoir, sans se départir d’un peu de bon sens, quelques indices pourraient permettre de remonter la rupture du fil… En juin 2022, le député donnait un long entretien au magazine Society dans lequel il expliquait pourquoi il choisit une filière professionnalisante (BTS) plutôt que de suivre l’avis de ses professeurs et poursuivre vers une grande école : « Dès que j’ai eu l’occasion de travailler pour avoir la vie que je souhaitais avec celle qui est devenue ma femme, je l’ai fait. » C’est donc pour Céline qu’il a préféré travailler rapidement…
Dans le même entretien, il expliquait avoir rédigé son discours inaugural à l’Assemblée nationale pendant tout un week-end et le déclamer devant sa femme, avec une table à repasser comme pupitre… Quand c’est exceptionnel, c’est supportable, mais c’est quand il y en a beaucoup que ça pose un problème… Sans excuser Céline, si toutes ses fins de semaines se résument à une répétition de son mari, c’est compréhensible… Qui s’est engagé en politique sait combien l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle est difficile à trouver surtout si l’on est le seul à y croire, à la politique… La vie familiale des hommes ou femmes politiques est à cet égard souvent chaotique…
Peut-on lâcher un ami autour duquel tout s’effondre ?
Oui mais Céline ne s’était-elle pas engagée pour le meilleur ET pour le pire ? Et c’est là que l’affaire Quatennens met en lumière ce que l’on tait depuis la promotion des mœurs libres et la légalisation du divorce : briser un mariage, disperser une famille est un déchirement. Ici c’est Adrien qui paie les pots cassés… Et l’on peut comprendre le désarroi d’un homme face à l’ultime demande de sa femme : le divorce… Le divorce est le grand absent de l’affaire Quatennens. C’est lui qui est invisibilisé, pour paraphraser le bon Victorovitch. Tout divorce, longtemps promu comme une libération, une émancipation, est en réalité la conséquence d’autres aliénations. Celle d’Adrien pour la politique ? Celle de Céline par rejet de la politique ? Il ne me semble pas nécessaire de poursuivre l’investigation.
Il faut tirer le fil de la pelote pour réaliser que les gestes de Quatennens sont des gestes de désespoir. Tout ce qui émancipe déchire un lien, détruit l’amour, brise les limites du mariage que la société s’était fixées avec l’intelligence du cœur et de la raison : fidélité, indissolubilité. Le mariage est une union entre un homme et une femme unis devant la société en vue de fonder une famille. Et une famille, c’est sacré, même républicaine.
Relues au prisme de la famille traditionnelle, les réactions maladroites et gênées de La France Insoumise prennent une autre couleur : peut-on abaisser un homme blessé en plein cœur par la destruction de sa famille ? Peut-on lâcher un ami autour duquel tout s’effondre, en l’occurrence sa famille ? Les gestes sont condamnables, mais pas l’homme, comme le rappelait Mathilde Panot, autre député LFI sur les plateaux. Au fond, en dénonçant les violences conjugales d’Adrien Quatennens, les féministes dénoncent la conséquence d’un mal bien plus profond. Un mal pernicieux qui s’est immiscé au cœur même des familles. Un autre séparatisme, le premier d’ailleurs…
Illustration : Et avec sa gifle, Adrien rentre dans le top 5 des personnalités politiques les plus rejetées, en compagnie de 1. Zemmour, 2. Mélenchon, 3. Le Pen et… 5. Sandrine Rousseau. baromètre Odoxa, sept. 2022.