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Un apôtre de la musique pure

C’est lui qui créa le Boléro de Maurice Ravel le 22 novembre 1928 à la tête de l’orchestre qu’il avait fondé, le seul orchestre français qu’admirait l’intransigeant Arturo Toscanini ! Son nom ? Walther Straram. Artiste oublié, il joua un rôle déterminant dans la vie musicale française de l’entre-deux-guerres.

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Un apôtre de la musique pure

Première étude d’envergure consacrée au phénomène Straram, le copieux ouvrage de Gilles Demonet lui rend enfin justice et s’impose d’emblée comme une référence dont se délectera tout mélomane passionné. Après avoir brossé un panorama détaillé de la vie musicale parisienne, l’auteur expose les objectifs stratégiques et artistiques de Straram et souligne l’originalité de sa conception programmatique soutenue par une démarche entrepreneuriale novatrice.

Né le 9 juillet 1876 à Himmersmith, au nord de Londres, de parents musiciens, il commença le piano à six ans sous l’impulsion de sa grand-mère paternelle et s’amusait à improviser. Devant la médiocrité de ses résultats scolaires, son père décida de le retirer du lycée Janson de Sailly et de lui faire apprendre le violon avec Alfred Brun. A seize ans, en 1892, il entra comme second violon au sein de l’Orchestre Lamoureux. Ayant échoué au concours d’entrée du Conservatoire, il étudia l’harmonie et le contrepoint en privé auprès de Gustave Sandré, et se perfectionna en piano auprès d’Edouard Risler.

Une lente ascension

En 1902, sa collaboration avec Alfred Cortot au Théâtre du Château d’Eau marqua une nouvelle étape. « L’amitié fraternelle qui nous unissait [… ] était née d’un commun enthousiasme pour l’œuvre de Wagner, d’un semblable souci d’en répandre la connaissance autour de nous, dans un moment où le prosélytisme n’était pas superflu. Que de nuits blanches nous avons passées dans ce petit entresol du Boulevard Malesherbes, à combiner les coups d’archet des parties d’orchestre du Crépuscule des Dieux ou de Tristan dont je préparais les premières représentations à Paris. De quelle fièvre s’accompagnait notre travail de répétitions avec les interprètes fameux des deux chefs-d’œuvre » Les concerts durent cesser brusquement en cours de saison suivante devant la violente campagne des antiwagnériens, ayant Claude Debussy à leur tête, qui mit à mal les finances de l’entreprise.

Nous retrouvons Straram chef de chant en 1905 à l’Opéra de Paris et, l’année suivante, remplissant les mêmes fonctions à l’Opéra-comique. Mais, trop indépendant de caractère, il rêvait de diriger son propre orchestre. Pour combler ses lacunes en la matière, il parcourut l’Allemagne qu’il considérait comme « la patrie de la vraie musique et des grands musiciens. » À Munich, il se forma avec Richard Strauss, alors au sommet de sa gloire. Puis il s’embarqua pour l’Amérique où il assista André Caplet à l’Opéra de Boston de 1910 à 1913. Au Théâtre du Vieux-Colombier, le 2 décembre 1918, Straram dirigea en première audition Le Dit des Jeux du monde d’un jeune inconnu prometteur : Arthur Honegger.

Une phalange qui fut la première du monde

Son ambition la plus chère se concrétisa début 1923. « C’est alors qu’on vit paraître l’inoubliable silhouette de cet homme au sourire démoniaque, toujours jaloux de tout faire par lui-même et ne demandant pour soi que la possibilité de se dépenser davantage. C’est cette oreille qui a choisi, musicien par musicien, pupitre par pupitre, les éléments d’un orchestre sans doute unique au monde. » S’inscrivant à rebours de l’interventionnisme étatique tant pratiqué en France, son activité, développée grâce à des fonds privés provenant des États-Unis, ne bénéficia guère d’une reconnaissance officielle. Mais grâce à son indépendance, il put orienter le goût d’un public largement lyricophile vers la musique instrumentale.

« Quatre Concerts de musique moderne internationale » furent donnés en avril et mai 1923 au Théâtre des Champs-Élysées, présentant vingt-trois partitions. Straram s’était donné pour mission de révéler moult contemporains : Koechlin, Malipiero, Aubert, Krasa, Tomasini, Casella, Bartók… En juin 1925, sous l’égide de la Société Internationale de Musique Contemporaine (S. I. M. C.) et à l’occasion de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs, il présenta trois autres, concerts affichant notamment Golestan, Milhaud, Tansman, Ibert, Roger-Ducasse, de Falla, Berners, Mihalovici, Delage, Rieti, Caplet, Bliss, Weill, Brillouin, Roland-Manuel. La réputation de perfection de l’Orchestre Straram, composé des meilleurs instrumentistes de l’époque, tout autant que la variété des programmes, s’étendit rapidement jusqu’en Amérique.

Une mission d’utilité publique dans un cadre privé

Les « Saisons Straram » s’échelonnèrent de 1926 à 1933, totalisant cent-sept concerts soigneusement conçus et équilibrés. Après Gaveau et Pleyel, elles s’établirent en 1929 au Théâtre des Champs-Élysées, dont Straram venait d’être nommé administrateur délégué. Il invita les compositeurs de son temps : Igor Stravinsky dirigea ainsi lui-même pour la première fois son Sacre du printemps avec cet orchestre prestigieux. « Honegger, Stravinsky, Manuel de Falla, Richard Strauss, et, récemment, Mitropoulos l’ont conduit au succès, et l’on sait que la dernière joie que Straram eut en ce monde fut de confier sa phalange aux mains du chef qu’il admirait entre tous : Arturo Toscanini ». Y accouraient non seulement le Tout Paris élégant et mélomane, mais aussi la jeunesse estudiantine à laquelle – innovation pour l’époque – était accordé un tarif réduit.

Walther Straram fut à l’origine d’un nombre impressionnant de créations. Tardivement consacré, il réalisa aussi des enregistrements pour la firme Columbia : Le Festin de l’Araignée de Roussel, La Tragédie de Salomé de Schmitt, Aubade de Poulenc avec l’auteur au piano, Alborada del Gracioso de Ravel, Le Bourgeois Gentilhomme de Strauss, Petite Suite de Debussy. C’est avec Prélude à l’après midi d’un faune qu’il obtint en 1931 le Prix Candide, premier prix décerné à un enregistrement phonographique !

Walther Straram mourut en sa demeure du 78 de l’avenue Kléber le 24 novembre 1933. Il fut inhumé au cimetière de Passy, non loin d’André Messager, de Gabriel Fauré et de Claude Debussy. La disparition du chef entraîna le démantèlement d’un orchestre à nul autre pareil. Arturo Toscanini, qui dirigea plusieurs concerts en sa mémoire, confiait d’ailleurs : « Mon rêve serait de faire trois fois le tour du monde avec l’Orchestre de Walther Straram ».

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