Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Fondée en 1144, l’abbaye de Beaulieu fut détruite par les protestants au XVIe, relevée au XVIIe, vendue en 1791, classée en 1875…
Les gravats s’y entassaient quand Pierre Brache et Geneviève Bonnefoi décidèrent, en 1960, de l’acheter, de la restaurer et de la transformer en centre d’art contemporain. C’est plus d’un demi-siècle d’avant-garde qu’on peut y admirer. Mais des avant-gardes mésestimées du vivant des artistes, provinciaux plus que parisiens, Français plus qu’Américains, artistes indépendants plus que “créateurs” officiels ; artistes collectionnés par des amateurs qui ne spéculent pas (et sont donc de vrais mécènes), qui veulent retracer une histoire de « l’art de notre temps ». Qu’en reste-t-il, au temps d’aujourd’hui ? Une huile de Claude Georges (1957), plan nerveux d’une ville ou insecte vibrant, de magnifiques gribouillis de George Mathieu (1955-57), plusieurs Hantaï, sur vingt ans (la Fondation Louis Vuitton vient de lui consacrer une exposition), des encres de Michaux, les Dubuffet que Vialatte aimait, les personnages inquiétants de Claude Viseux (Opération cerveau, 1957), qui réussit à suggérer simultanément des silhouettes et des viscères, une sculpture géométrique de Parvine Curie (Mère Santa Maria del Mar, 1971), grand bronze qui paraît agglomérer des tours médiévales… Et un tableau de Frédéric Benrath de 1984, sans titre, qui représente un nuage, débordant les limites de la toile ; comme un morceau de ciel à portée de main ; on attend de plonger dans la masse blanche, qui se grise là où la lumière ne peut l’atteindre, qui se dissipe imperceptiblement dans le bleu profond du ciel.
Brache et Bonnefoi prisaient la puissance évocatrice de cet art “abstrait” où se révèle une vie intérieure, comme un flux de pensées si serrées, si simultanées, si drues et imprécises à la fois que les exprimer explicitement est impossible : la matière des pigments et le geste du peintre restituent ce bouillonnement avant que l’esprit n’analyse et que la parole n’ordonne. Les notices sont parfois trop lyriques ou absconses mais l’ensemble frappe, intéresse, séduit. On veut aller à Beaulieu, où les cisterciens ont cédé la place à d’autres témoins du temps, muets eux aussi, eux aussi apportant au spectateur le signe d’une vie cachée.