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Bombes et sensualité

L’orientaliste contemporain avait deux manières de rassasier sa passion cet été. Il pouvait s’accabler des nouvelles internationales et craindre pour la famine, la sécheresse et la guerre au Proche-Orient et dans la Corne de l’Afrique. Il pouvait également se délecter des périodes de Richard Millet qui revient sans cesse au Liban, dans l’histoire de sa sensualité, publiée sous le titre La Forteresse – Autobiographie 1953-1973 aux éditions Les Provinciales.

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Bombes et sensualité

Millet creuse sa famille, son père, ses pulsions, ses vices et ses racines dans un texte qui excède de loin les limites que l’auteur s’était imposées. Toujours, Beyrouth revient, comme un motif qui devrait se glisser partout, se fondre dans la vie des sens et de l’esprit de l’ancien éditeur tourmenté. 

En lisant La Forteresse et son affirmation minutieuse des origines du talent de son auteur, il faut être attentif à ce que le Liban, et singulièrement sa guerre civile, furent comme ce qu’il y eut de plus limpide et ordonné dans la vie de Richard Millet. Pas un ordre né du chaos, la chose serait trop bête, mais un ordre discret, imperceptible aux âmes avilies, et dont l’évidence n’étonne que ceux qui n’embrassent la vie du pays du Cèdre que par l’enchaînement des nouvelles. 

Elles ne furent d’ailleurs pas rassurantes, cet été, dans un pays où l’on chercha durant deux mois les cadavres de migrants noyés, piégés dans leur embarcation, au large de Tripoli ; une concorde suffisante pour désigner un successeur au président Michel Aoun et des raisons d’espérer alors qu’un épargnant a dû prendre en otage son banquier pour qu’il daigne lui remettre à peine 10 % de ses honnêtes économies. Emmanuel Macron n’a pas hésité à donner la leçon aux dirigeants du pays dans un entretien au quotidien L’Orient-Le Jour, pour l’anniversaire de l’explosion du 4 août 2020, expliquant que les dirigeants libanais étaient tous responsable et que ce n’était décidément pas sa faute si ces élus refusaient d’entendre ses prophéties.

L’effacement des puissances européennes

Comme ailleurs, les évènements s’acharnent à démontrer l’impuissance étatique à faire fructifier nos atouts et nos amitiés au Levant. En Syrie, les rumeurs bruissent d’un rapprochement entre Damas et Ankara, au point que les rebelles islamistes, loués à l’époque par le Quai d’Orsay, craignent l’abandon de leur parrain ottoman. L’appétit d’Erdogan est sans limite puisqu’il a amorcé deux rapprochement inattendus dans la région :  avec Israël, en rétablissant des relations diplomatiques suspendues depuis 2018, et avec l’Arabie Saoudite. Alors que le prince héritier saoudien n’a rien cédé aux lamentations gouvernementales pour augmenter sa production de pétrole, se payant le luxe d’une visite à Paris, c’est bien l’effacement des puissances européennes qui avance, remplacées par divers empires, chinois, russes, américains ou turcs. 

Cette disparition n’était certes pas une fatalité mais elle ne tient pas seulement à des tactiques défaillantes. Tout se passe comme si nous ne parvenions plus à discerner les entrailles orientales, à en lire les secrets et à en deviner les attentes. Infatués par nos certitudes démocratiques, nous allons vers des peuples qui gardent le souvenir de nos pères et découvrent les rejetons hagards d’un continent désorienté. Nous voudrions donner la leçon à des classes vides. Ailleurs, les pires ennemis se réconcilient au lendemain de terribles affrontements et les raisons l’emportent sur les cimetières. La dictature des droits n’aura rien effacé du tragique, elle nous aura simplement assis au milieu des spectateurs abouliques et incrédules.

 

 Richard Millet, La Forteresse – Autobiographie. 1953-1973. Les Provinciales, 2022, 300 p., 24 €.

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