Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
« Moi ou le chaos », disait Macron. Et la France a droit aujourd’hui à « moi et le chaos ». ça fait vraiment trop !
La France peut craindre le pire. Les campagnes électorales une fois passées, où il n’a été question que de pouvoir d’achat, à la manière d’un vulgaire Mélenchon, comme si le chef de l’État en était le maître, les vraies difficultés apparaissent dans leur implacable réalité.
Qui connaît un peu son monde peut, dans les circonstances actuelles, faire le tour de la question. Et fort sérieusement. Il suffit de fréquenter les gens instruits, intelligents et libres ; et de lire les études qui s’imposent par leur qualité. Ça existe encore, et heureusement ! Et, donc, il est des choses qui se disent dans des milieux éclairés qui osent penser différemment, s’affranchir des clichés et user de leur jugement ; ils ne se contentent pas de la bouillie intellectuelle et moralo-républicaine servie officiellement pour satisfaire une opinion versatile et agitée. Oui, il est encore en France des gens qui, bien qu’ils n’aient pas pignon sur rue, connaissent parfaitement la situation réelle du pays, la comprennent et l’évaluent. Il suffit de les écouter : leurs diagnostics comme leurs pronostics sont d’un pessimisme inexorable qui aurait de quoi inquiéter la clique de parvenus et de têtes-en-l’air au pouvoir qui, dans leur fatuité, ne songent qu’à eux-mêmes. Pareillement, un tel avenir qui s’annonce sinistre, devrait détourner de leurs ambitions tous ceux qui rêvent d’accéder à ce même pouvoir, d’y participer, d’en partager les revenants-bons. Grande question de l’heure, comme on sait, qui serait le tout de la stratégie politique du moment, et à quoi s’attache avec soin Madame Borne sur les indications prescriptives de son guide et chef de président dont elle ne saurait être que le serviteur, pardon : la servante attitrée. Le gouvernement relève d’En-haut et non d’elle qui ne saurait être qu’assignée à son poste. Jupiter a ses tocades et ses exigences ; lui seul décrète du bien et du mal, du possible et de l’impossible, du vrai et du faux, du républicain et du non-républicain. Ainsi tout ce qui est internationaliste est macron-compatible jusqu’aux communistes inclus, voire les Insoumis s’ils sont sages ; tout ce qui est nationaliste ne peut pas l’être. Sous aucun prétexte. Donc exclu !
Macron est bel et bien le héros de Pindare qui se doit de gagner aux jeux, la seule religion qui vaille ! « Ne crois pas, ma chère âme, à la vie éternelle, mais épuise le champ du possible… » Rien n’est vrai ni beau ni bon que la réussite de l’instant. Ce pourrait être l’adage de la macronie. Alors, se rallier ou ne pas se rallier devient la question, la seule ; c’est « être ou ne pas être » ! Terrible dilemme. Quelle angoisse ! L’un tient à son âme ; l’autre est prêt à la vendre ; mais où va donc se nicher l’idéal républicain ? Et comment s’imaginer qu’il est possible de faire avancer les affaires de la France dans de telles conditions ? Qui ne voit, mais à l’évidence, qu’il est des questions de principe préalables et que s’agréger à un tel régime suppose d’abord de se renier soi-même.
Est-il possible, est-il permis de comprendre au fond ce qui se passe concrètement ? Et, d’abord, pour tâter le terrain des ententes possibles, la discussion législative, transformée en épreuves successives, sera mise sur les sous du pouvoir d’achat. Qui osera refuser ? Première tentation : la bouffe ! Il est question ensuite d’aborder la constitutionnalité du droit à l’avortement : autrement dit, se permettre tout avec son corps, et pourquoi pas jusqu’à neuf mois, pour manifester la libre disposition de soi-même. Deuxième tentation, l’ivresse de la décision qui brave la loi divine et naturelle. Qui résistera ? Enfin il s’agira de remodeler la société dans son ensemble selon le schéma prévu, et dans la visée d’un monde à recréer, à la condition de se jeter au pied du tentateur et de l’adorer. Troisième tentation, la plus folle, la plus prégnante. Qui dira non au séducteur ? Avec la force du Verbe de vie ! Ce n’est pas un rêve. L’expérience se déroule sous nos yeux. Il faut en saisir la portée. Car il n’y a aucune exagération à juger que l’homme d’aujourd’hui en est là. La conscience personnelle n’est point nécessaire à la réalisation de l’événement. Macron est le type de l’homme moderne d’au-delà des révolutions, d’au-delà du marxisme, du capitalisme, de toutes les synthèses du fameux « en même temps », à qui incombe d’effectuer la dernière révolution, celle de la béatitude, telle qu’il la définit dans son premier livre électoral et telle qu’il l’a annoncée et proclamée dans son fameux discours de Davos en janvier 2018. Il n’a jamais changé de point de vue et la difficulté de l’heure ne fait que le renforcer dans ses convictions. Il joue son rôle. Point de fantasmagorie dans cette constatation qui relève de l’analyse pure et simple ; l’interprétation gnostique n’est jamais que l’aboutissement de l’imaginaire républicain, hugolien – ah ! Hugo, il a tout dit d’avance sur la République macronienne –, puis progressiste et moderniste, à la démocrate-chrétienne, sangnieriste et schumanienne. Tel est l’achèvement d’une histoire des idées, fort bien connue par ailleurs. Maurras, dès la fin du XIXe siècle, a tout vu de ce qui allait issir d’un tel cheminement vers le plus faux des paradis : il en a même fait son premier livre, mystérieux. Newman, Dostoïevski, Soloviev, pareillement et à leur manière, différente mais tout à fait convergente.
Pourtant le grotesque n’est pas loin du tragique. Qui sait s’il faut sourire ou gémir des contorsions macroniennes ? Quand celui que regarde un tel spectacle, songe qu’il s’agit de la France et de son avenir.
Ainsi donc la funeste comédie va continuer. Et trouver des partenaires nationaux, européens, mondiaux. Macron ne cesse de tisser ses liens qui sont le gage de sa durée. Il est sur tous les fronts et prétend dominer toutes les situations. Il cherche à susciter l’aveugle envie de ses partisans comme de ses adversaires, les uns pour mieux les entraîner, les autres pour les rejeter. C’est son procédé de discrimination. Et pourtant, plus il amplifie son pouvoir, plus il devient dérisoire. Ceux qui sont tentés de s’y associer feraient bien d’y réfléchir à deux fois. Il ne sera pas bon sous peu d’avoir la main sur le pouvoir ou d’incarner l’exercice de l’autorité. L’inquiétude devrait être aussi grande qu’est grave la situation de fait, ce qui est peu dire, bien que tout ou presque tout soit encore dissimulé. Peut-être même existe-t-il une vague appréhension chez les plus lucides des détenteurs de la puissance publique ?
Annoncer des échéances terribles ne relève pas du complotisme. Les personnes averties qui mettent en garde, n’exercent que leur bon sens sur des analyses aussi sûres qu’alarmantes.
Oui, répétons-le, il n’y a pas que dans notre famille de pensée que se trouvent des Cassandre dont le sort est de ne pas être écoutées. Il est des gens d’un peu partout qui ont repéré les dangers qui menacent, qui en comprennent les ressorts et qui les évaluent. Ce, en tout domaine. Chacun peut en connaître. Il n’est possible d’écrire dans ces colonnes que si on a la sagesse de les consulter. Ce sont des politiques – très rares et il faut les connaître –, des journalistes informés, des essayistes au fait de ce qu’ils écrivent, voire des philosophes de la politique – assez rares mais tous talentueux –, des hauts fonctionnaires, plus nombreux qu’on ne le croit mais forcés à la discrétion, sauf en privé, personnes de haute qualité d’esprit et de grande capacité, mais effectivement tenus en lisière, tels les militaires, des chefs d’entreprise, des financiers, des économistes, des particuliers avisés, mais tous plus ou moins contraints par l’actualité du moment à rester dans l’immédiateté, des retraités qui suivent les événements avec sagacité et qui n’en peuvent mais ; bref, il est des Français conscients qui savent maintenant et pertinemment, de science certaine sur des données établies, tout aussi bien d’intuition juste sur l’enchaînement des causes et des effets, que l’accumulation des risques pris depuis des années, tant politiques que sociaux, financiers, économiques, juridiques et humains, va aboutir sous peu à une rupture, pas d’un mais de tous les barrages construits faussement dans l’espoir de réguler les flux des énormes problèmes de fond qu’il était d’usage de ne pas traiter en les laissant s’ajouter les uns aux autres en feignant de les retenir et de les dériver : immigration sans retenue, zones de non-droit, insécurité générale et délinquance à tous les niveaux, désindustrialisation, arrêt des savoir-faire jusque dans les techniques de pointe, agriculture en déshérence, abandonnée aux marchés, artisanat écrasé, retraites mal gérées, dettes sans fin atteignant bientôt les 3000 milliards, sans compter les dettes des entreprises, la balance commerciale déficitaire depuis des années jusqu’à la centaine de milliards, l’éducation à vau-l’eau qui, en-dehors des privilégiés, n’existe plus, la pauvreté galopante, la famille détruite, divisée, la vieillesse parquée et euthanasiée, le crime d’État favorisé, l’innocence poursuivie et salie par la propagande de la pourriture organisée, tout, absolument tout… Plus rien de propre sauf quelques secteurs encore préservés mais qu’il n’est question que de capter dans les mêmes filets.
Dans un tel contexte, pourtant, prospèrent les François Hollande, toujours souriant et portant beau, bien payé et qui, après avoir tout détruit autour de lui, s’amuse à convoler. Ces gens sans scrupule – tels que lui et ses compères – qui se sont identifiés à la République, ont en plus l’audace de nous faire en son nom la leçon de morale.
Telle est la France de 2022, pour le deuxième quinquennat de Macron. Le désastre économique et financier est là, avec les taux qui remontent, l’inflation que rien n’arrêtera, la pénurie qui s’installera et qui commence déjà, la « stagflation » pour ne pas dire la récession qui s’ensuivra, crise de l’offre comme de la demande selon les secteurs, la crise sociale qui éclatera avec toutes ses conséquences dont l’impossibilité de contenir les populations que l’État ne contrôle plus et dont les images du stade de France fournissent une petite idée. Voilà ce qui attend Macron sur le plan intérieur. Élisabeth Borne et son équipe quelle qu’elle soit, ne changera pas l’état des lieux. C’est inéluctable. De jouer les chefs de guerre n’arrangera rien ; c’est une fuite en avant, comme cette illusion que l’Europe et l’OTAN où il pérore sans raison et sans moyen vont le hisser au-dessus des événements, lui donner une stature internationale qui le sortira du bourbier français. La guerre est une réalité trop dure pour laisser des Macron en décider. L’Europe aura explosé avant que Poutine n’ait arrêté ses troupes. Tout se retourne.
Il était de mode, il y a quelque temps, de parler des années 1930 pour dénoncer un prétendu péril fasciste. Macron lui-même avait donné dans ce fantasme. Cependant il est une comparaison qui reste pertinente : ce sont les politiques menées entre les deux guerres qui ont été la cause directe du désastre de 1940. Il est interdit de le dire, ce qui est pourtant une évidence, d’autant plus que les responsables en question se sont défaussés et esbignés, selon la vieille loi républicaine de l’irresponsabilité. Macron ferait bien de réfléchir à la suite. Il est des nécessités en histoire, remarquait Jacques Bainville.
Un peu d’inquiétude ne messiérait pas à notre président si sûr de lui. Il se croit roi sans l’être vraiment. Toutes les décisions qui dépendent de lui sont suspendues sur sa tête. « Inquiète est la tête qui porte une couronne », faisait dire Shakespeare au roi d’Angleterre. Loin de s’enorgueillir, il vaut mieux en pareil cas s’humilier pour considérer les réalités de la terre, même si elles sont terribles. ? Le Prophète et la Techno, par ordre hiérarchique d’importance.