Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Vaste ambition, singulièrement compliquée aujourd’hui.
Pour se repérer dans un monde où « l’essentiel est d’être “ouvert”, c’est-à-dire indifférent à la vérité » (Bloom, excellemment résumé en une formule par l’auteur), Charles-Henri d’Andigné a rassemblé, présenté et exposé cent livres décisifs pour comprendre l’homme, l’Histoire et la société, et atteindre Dieu : l’ambition est simple ! Son parti pris est d’abord pédagogique, et il a fait le choix judicieux de ne proposer que des auteurs des XXe et XXIe siècle. Il est certain que lire saint Augustin permet de comprendre le monde, lire Le vrai génie du christianisme de Harouel permet de ne pas sombrer dans l’augustinisme politique ; se plonger dans Hobbes promet au philosophe de saisir les fondements de l’horreur étatique, lire L’Archipel du Goulag permet à chacun d’en observer le mécanisme. Les noms et les titres retenus ne sont pas toujours huppés, leur renommée n’est pas toujours celle de chef d’œuvre ou d’ouvrage capital, mais ils ont tous le premier mérite d’être compréhensibles par le profane (Comment se pose aujourd’hui le problème de l’existence de Dieu, de Tresmontant, en est le parfait exemple), de fixer les termes contemporains du débat, d’éclairer ce qui aujourd’hui structure vraiment les opinions. Historiquement correct, de Jean Sévillia, remplace avantageusement mille articles de spécialistes et cent gros volumes, surtout flanqué de Le Moyen Âge, une imposture, de Jacques Heers.
Chaque chapitre est court, trois ou quatre pages : il justifie le choix du livre (non, l’Autriche-Hongrie ne s’est pas désagrégée toute seule : lisez Fejtö ; non, les populistes ne sont pas des demeurés : lisez Delsol), en expose la thèse, conclut sur l’auteur en expliquant “d’où il parle”. Pour les paresseux, les pressés ou les organisés, le livre est un bonheur. Car on voit bien que ces cent livres dessinent en fait une approche du monde, catholique et de droite, en montrant où se situent les combats majeurs et comment les aborder avec prudence – c’est-à-dire armé d’autre chose que des certitudes toutes faites ou de faciles slogans – et avec curiosité – c’est-à-dire sans résumer toute l’époque au wokisme ou toute la religion à la l’historicité des Évangiles. On a besoin du baroque révélé par Beaussant et on a besoin qu’Eugenio Corti nous raconte, dans un roman qui porte une vérité essentielle, l’Italie fasciste et communiste. On a besoin que Gerald Durrell nous parle de manière hilarante de sa famille et que Simon Leys nous parle, dans son Studio de l’inutilité, de Simone Weil, d’Orwell, de Chesterton et de Segalen. Si l’homme ne vit pas que de pain et que le chrétien ne vit pas que d’adoration (il doit aussi être charitable), notre intelligence ne vit pas que d’ouvrages sublimes : Charles-Henri d’Andigné sait nous apporter, tempéré par son style aimable, la fureur des grandes causes sans nous jeter dans la mêlée en nous apostrophant. Il nous entraîne et sait ménager des pauses. Lire son livre, c’est aussi apprendre à apprendre.