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Dictionnaire amoureux de Napoléon, de Jean Tulard

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Dictionnaire amoureux de Napoléon, de Jean Tulard

Qui sait que l’œuvre la plus regardée au musée du Louvre après La Joconde est Le Sacre de David ? Cette toile fixe à jamais un moment unique : la naissance d’un monde qui reste encore le nôtre, même si ses jours sont désormais comptés. Tous les personnages qui y sont représentés témoignent des circonstances de cette naissance et justifient les interrogations qu’elle ne cesse de poser.

Dans une page centrale et même capitale, justement placée sous la rubrique «Le Sacre», Jean Tulard, qui nous donne à lire le Dictionnaire amoureux de Napoléon, invoque, à partir du chef-d’œuvre de David, ce qu’il en fut de ce 2 décembre 1804. Si la Révolution s’était terminée le 19 brumaire 1799, en était-elle pour autant stabilisée ? Certes, ses conquêtes politiques étaient garanties : abolis, les droits féodaux ; vendus, les biens nationaux ; libérés, les paysans des charges féodales ; victorieux, les bourgeois, nouveaux propriétaires, sur l’aristocratie…

Mais encore ? Les esprits du temps étaient ainsi faits qu’ils eussent volontiers accepté une monarchie constitutionnelle. Las ! Louis XVIII avait repoussé tout compromis dans sa déclaration de Vérone. Quant à la République, « tantôt elle s’était révélée trop autoritaire, liant sa destinée à celle de la Terreur, tantôt elle s’était révélée trop faible, allant du Coup d’État en coup d’Etat sous le Directoire ».

Que faire ? Restait une dernière option : une dictature, non pas militaire, mais de salut public à la romaine. Ce que fut le Consulat. Bonaparte y fit merveille. «En deux ans, rappelle M. Tulard, l’autorité de l’État était restaurée, la France pacifiée, le budget remis à l’équilibre, la crise économique maîtrisée, de nouvelles institutions établies». Dès lors, de Fontanes à Talleyrand, s’impose l’idée d’ «habiller» – le mot est de Jean Tulard – cette dictature en monarchie. C’est ainsi que Napoléon reçut le titre d’empereur, renouant de la sorte avec les Carolingiens, une manière comme une autre d’oublier les Capétiens. Louis XVIII n’ayant pas été sacré, Napoléon devient donc le souverain légitime.

Il faut lire cette page, tout ensemble passionnée et terrible, où l’on voit et l’on entend les protagonistes de cette tragi-comédie s’interroger sur le lieu de la cérémonie (Reims ? Aix-la Chapelle ? Rome ?) ou encore, sur la nécessité de faire venir le Pape (alors que, imitant en cela Frédéric II de Hohenstaufen, Napoléon est décidé à placer lui-même la couronne sur sa tête). Quant au spectacle lui-même, il suffit d’observer le sourire ironique que David prête à Talleyrand pour se faire une idée de l’atmosphère qui prévalait à Notre-Dame.

Fontanes, royaliste rallié, justifie ainsi ce Sacre : «Une monarchie toute philosophique survit à peine à l’année de sa proclamation. Nous l’avons vu en 1791. Une monarchie fortement constituée, entourée de l’appareil de la religion et des armes, résiste à l’action des siècles». Ne daubons pas sur la résistance «à l’action des siècles», puisqu’il suffira du coup d’État du général Malet pour la briser. En revanche, cette action-là, ramenée à ses institutions, à son Code civil, perdure tant et si bien que la lecture de ce Dictionnaire amoureux de Napoléon nous invite à revivre quelques-unes des heures les plus étonnantes de notre roman national.

Ce qu’il y a d’heureux dans cet ouvrage, c’est que le temps présent y côtoie sans cesse le passé, les beaux-arts, le cinéma, le roman policier ou encore la bande dessinée, Sacha Guitry, Talleyrand. L’auteur est d’autant plus sérieux qu’il s’amuse beaucoup. Cela donne aux «entrées» de son «Dictionnaire» un ton toujours vif, souvent allègre, parfois facétieux. Est-il meilleur guide, et plus disert, et de meilleure compagnie, que le cher Jean Tulard ?

Dictionnaire amoureux de Napoléon, de Jean Tulard, Plon, 24 euros.

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