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Illégitime défense ? 

La légitime défense désigne le moment où le citoyen se protège parce que l’État, hic et nunc, en est incapable : la loi prévoit donc ce cas, et le justifie. Mais les tribunaux appliquent-ils la loi ? Pas vraiment, et en cela ils sont macroniens puisqu’ils ne supportent que le monopole de l’État sur toute action sociale.

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Illégitime défense ? 

En affirmant qu’il était « opposé à la légitime défense » (30 avril, Europe 1), Emmanuel Macron s’est un peu mélangé les pinceaux, mais il a cependant exprimé le fond de sa pensée. Je m’explique.

Le président-candidat réagissait à un fait-divers récent : quelques jours plus tôt, un agriculteur avait tiré à deux reprises avec un fusil sur un groupe de quatre cambrioleurs entrés nuitamment chez lui, tuant l’un d’eux. Cela se passait à Longré, dans le nord de la Charente. L’agriculteur, qui se trouvait seul avec sa fille de trois ans au moment de l’intrusion des cambrioleurs, a été mis en examen pour meurtre.

Sur cette affaire, Emmanuel Macron a fait le commentaire suivant : « Nous sommes dans un État de droit. Chacun doit avoir la sécurité et c’est le devoir de la puissance publique de l’assurer. Mais, je suis opposé à la légitime défense. Donc ça, c’est très clair et c’est intraitable parce que sinon, ça devient le Far West. Et je ne veux pas d’un pays où prolifèrent les armes et où l’on considère que c’est aux citoyens de se défendre. » Et, en bon meunier qui ne perd jamais une occasion d’amener de l’eau à son moulin, il a ajouté : « C’est aussi pour ça que j’ai décidé de créer 200 brigades de gendarmerie pour être plus présent sur le terrain en monde rural. » À quoi on serait tenté de répondre simplement : « Ben voyons ! » Mais soyons didactiques et expliquons la pensée pas si complexe de notre président qui se voyait alors déjà réélu.

En réalité, ce qu’Emmanuel Macron a voulu dire, c’est qu’il est opposé à l’autodéfense, comme le montre la fin de sa tirade. L’autodéfense, c’est précisément la situation où chaque individu est livré entièrement à lui-même et laissé seul juge des moyens propres à assurer sa conservation. C’est ce que certains philosophes des XVIIe et XVIIIe siècles appelaient « l’état de nature » et ce que l’ancien stagiaire de Paul Ricœur appelle « le Far-West », montrant d’ailleurs au passage que l’histoire des États-Unis lui est aussi mal connue que l’histoire de la philosophie, car ledit Far West était en réalité assez éloigné de l’état de nature, mais passons.

Et, de fait, il n’est certainement personne sur l’échiquier politique pour prôner « l’autodéfense », car cela revient à juger désirable un état où la vie est « courte, misérable, vicieuse et brutale », selon la célèbre formule de Hobbes. Seuls quelques hommes vicieux et brutaux ou quelques rêveurs ayant mal compris Rousseau peuvent souhaiter un retour à l’état de nature.

La légitime défense, c’est tout autre chose. Elle désigne la situation où, la puissance publique étant incapable de le protéger ici et maintenant, un individu doit assurer lui-même sa défense contre des malfaiteurs. La légitime défense est si peu contraire à « l’État de droit » qu’elle en est au contraire un des piliers. Pour faire court : le but de toute association politique légitime est la protection des droits naturels des individus, pour reprendre les termes de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. Tant que la loi protège correctement ces droits, elle est légitime et prévaut sur tous les « jugements particuliers ». Lorsqu’en revanche cette protection cesse, chacun est à nouveau libre de s’en remettre à ses propres moyens pour assurer la protection de ses droits naturels. Ce qui est le cas lorsque je me trouve confronté à un danger immédiat, car l’immédiateté du danger ne me laisse pas le temps de faire appel à la puissance publique censée me défendre.

En fait, une loi qui prétendrait m’interdire de me défendre dans ces circonstances et qui me punirait pour m’être défendu serait une loi proprement tyrannique, qui justifierait que je m’unisse avec mes concitoyens pour « résister à l’oppression », par exemple en renversant le gouvernement ayant édicté cette loi inique ou qui prétendrait la faire appliquer.

La légitime défense est le complément naturel et nécessaire de la loi et de la puissance publique. Très normalement, elle est donc prévue par la loi française. L’article 122-5 du Code pénal dispose ainsi : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. ».

Cet article est de bon aloi, les conditions qu’il pose sont raisonnables et il n’y aurait pas beaucoup à gloser s’il était appliqué par les tribunaux dans l’esprit où il a été rédigé. Disons-le simplement : à la lumière de l’article 122-5 du code pénal, il apparaît à peu près évident que le fait-divers que commentait Emmanuel Macron est un acte de légitime défense, car qui voit quatre personnes pénétrer dans son domicile – qui plus est la nuit – doit légitiment craindre le pire et considérer que sa vie et celle de ses proches sont immédiatement menacées. Si, du moins, les circonstances sont bien celles que rapportent les médias.

Malheureusement, au fil du temps, les tribunaux ont donné de cet article une interprétation qui l’a largement dénaturé, notamment en interprétant de manière totalement irréaliste les exigences de temporalité, de nécessité et de proportionnalité.

Concrètement, si vous avez le malheur de blesser ou de tuer votre agresseur, vous devez vous attendre à ce que les juges décortiquent votre comportement à la seconde près, pour vérifier que votre défense a bien été « dans le même temps » ; vous devez vous attendre à ce qu’ils considèrent que votre défense n’était pas nécessaire – et donc pas légitime – dès lors que vous aviez la possibilité de fuir ou de vous cacher ; vous devez vous attendre à ce qu’ils vous reprochent d’avoir utilisé une arme à feu si votre agresseur avait « seulement » un couteau ; et ainsi de suite. Vous devez aussi vous attendre à faire de la détention provisoire avant votre procès. Cela n’arrive pas systématiquement, mais cela arrive trop souvent.

Cette interprétation perverse de l’article 122-5 traduit en fait une préférence implicite pour les délinquants : la justice manifeste plus de sollicitude pour l’agresseur que pour la victime et montre plus de vigilance envers les honnêtes gens – toujours soupçonnés de « vouloir se faire justice eux-mêmes » – qu’envers les délinquants chroniques, facilement considérés comme des « victimes de la société » ou comme des malades à soigner. Comme si le plus grave était non pas le crime mais que certains puissent menacer le monopole des magistrats, ou manifester en actes leur indépendance vis-à-vis de la puissance publique. 

En confondant autodéfense et légitime défense, Emmanuel Macron a simplement montré qu’il était totalement en accord avec cette orientation d’une partie de la magistrature. Ce qui ne surprendra personne ayant des oreilles pour entendre et un peu de jugeotte. En bon technocrate europhile, Emmanuel Macron est intimement convaincu que les peuples ont besoin d’être gouvernés par une élite surdiplômée et cosmopolite, avec leur consentement si cela est possible mais sans leur consentement si nécessaire. Il ne déteste rien tant que ceux qui prétendent se passer de la puissance publique, et son désir publiquement exprimé « d’emmerder » les insuffisamment vaccinés traduisait avant tout le courroux du despote jaloux de ses prérogatives. 

Trente secondes suffisent pour tuer un homme, parfois moins.

Par ailleurs, il l’a dit également publiquement, Emmanuel Macron aime « tous les enfants de la République », même ceux qui ont fait des « bêtises », par quoi il désignait des délinquants chroniques ultramarins. Le choix des ministres de la justice qu’il aura fait durant tout son quinquennat a montré qu’il ne s’agissait pas là de paroles en l’air. Il y a, pourrait-on dire, chez Emmanuel Macron comme chez ses gardes des Sceaux successifs, une option préférentielle pour les délinquants ; pourvu toutefois qu’ils ne portent pas un gilet jaune – c’est-à-dire qu’ils ne remettent pas en cause son pouvoir.

La fin de sa tirade, sur les « 200 brigades de gendarmerie » créées en zone rurale pour que les citoyens n’aient pas à se défendre eux-mêmes, était aussi révélatrice que risible. Lorsque des cambrioleurs pénètrent chez vous, quelle différence cela fait-il que les gendarmes soient à 15 minutes de chez vous plutôt qu’à 30 minutes ou plus, comme cela peut souvent être le cas aujourd’hui ? Absolument aucune. Lorsqu’une « bande de jeunes » entreprend de vous tabasser parce que vous avez eu l’audace de défendre votre compagne contre leurs propos insultants, quelle différence cela fait-il que les policiers arrivent en trois minutes plutôt qu’en six (en étant très optimiste) ? Aucune. Trente secondes suffisent pour tuer un homme, parfois moins.

Ce qu’Emmanuel Macron refuse de comprendre c’est que, quels que soient les effectifs des forces de l’ordre, celles-ci arriveront toujours au moins neuf fois sur dix bien après que le crime ou le délit aura été commis. Par conséquent, au moins neuf fois sur dix, il y aura toujours un moment où la victime sera seule face à son ou ses agresseurs, sans autre secours possible que ses propres ressources. Et donc, en situation de légitime défense. Mais on devine que, pour Emmanuel Macron, l’agriculteur qui a tiré sur ses cambrioleurs aurait dû se cacher dans sa salle de bains ou s’enfuir par la fenêtre plutôt que de résister manu militari à ses agresseurs. L’intégrité physique des délinquants avant tout !

En vérité, ce qui procure aux citoyens cette sécurité que les pouvoirs publics leur doivent, comme le reconnaît le président alors candidat, ce n’est pas d’augmenter sans cesse les effectifs des forces de l’ordre. Cela ne sert guère qu’à vider les poches des contribuables. C’est une justice qui traite les délinquants comme des délinquants, et non comme des chiens perdus sans colliers, ainsi qu’une police qui reçoit la consigne et les moyens de faire respecter la tranquillité publique, et non d’acheter la « paix sociale » jusqu’à la prochaine émeute.

Bref, c’est tout ce qu’Emmanuel Macron n’a pas donné aux Français depuis cinq ans et qu’il ne leur donnera pas davantage dans les cinq ans qui viennent maintenant qu’il est réélu. Mais après tout, si les Français aiment être brutalisés et méprisés, on peut éventuellement les plaindre mais certainement pas les sauver contre leur volonté.

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