Une nouvelle page s’est écrite dans le roman liturgique né de Traditionis Custodes.
A Vatican Swiss guard stands to attention during the funeral for late Cardinal Agostino Cacciavillan celebrated by Pope Francis, in St. Peter's Basilica at the Vatican, Monday, March 7, 2022. (AP Photo/Andrew Medichini)/AJM103/22066377459734//2203071140
En effet, dans un décret du 11 février (date mariale !), en guise de réponse à la Fraternité Saint-Pierre demandant des précisions sur l’application du motu proprio, le pape concède à ladite Fraternité de pouvoir user des livres liturgiques de 1962 dans ses lieux propres et avec l’autorisation des évêques concernés dans les autres lieux. Cette demande de précisions intervenait après que le cardinal Roche, préfet de la Congrégation pour le culte divin, le 18 décembre 2021, dans une réponse à des dubia sur l’application du motu proprio, interdisait en dehors de la messe, l’usage des livres liturgiques de 1962 et, donc, l’administration des sacrements selon ses livres.
Inquiète, la Fraternité, et avec elle d’autres instituts, voulait savoir s’il était encore possible, malgré tout, d’ordonner ses séminaristes et ce qu’il en était de l’obligation, faite par certains évêques zélés, de concélébrer dans le rite rénové pour continuer à pouvoir user du rite ancien. À ces rebondissements, on n’oubliera pas d’ajouter que le 7 octobre (date mariale !) le cardinal De Donatis, vicaire général du diocèse de Rome, interdisait déjà l’usage des livres anciens pour l’administration des sacrements et des sacramentaux ; interdisait la célébration de la messe pendant le triduum pascal ; instaurait l’obligation d’une autorisation expresse pour pouvoir célébrer les jours ordinaires.
Voilà donc où nous en sommes, au rythme des petits pas, deux en avant, un en arrière, de ce tango liturgique depuis le 16 juillet dernier où Traditionis Custodes, au nom de l’unité de l’Église gravement compromise, venait perturber en profondeur le travail pastoral, liturgique et théologique conduit par Jean-Paul II et Benoît XVI.
Il est à noter que les termes exprès du nouveau décret ne font aucune allusion au droit, relatif à la nature de l’institut, qu’aurait la Fraternité à faire usage des livres liturgiques de 1962 mais qu’il s’agit là d’une concession venant directement du pape. En outre, il n’y est fait mention que de la seule Fraternité, qu’en est-il des autres instituts religieux concernés ?
Rite traditionnel : accès restreint
Sans revenir sur les principes de Traditionis Custodes, le pape, donc, par cette dérogation à la règle édictée par la Congrégation pour le culte divin, tout en conservant son autorité et la mainmise sur la chose, apparaît comme magnanime. Le document du cardinal Roche n’est pas remis en question, et la liturgie traditionnelle reste bien là où l’a placée le motu proprio, et puisque désormais elle sent un peu le fagot, il est nécessaire de demander bien humblement la possibilité de faire usage d’une lex orandi interdite : miséricordieux, le pape ne manquera pas d’accepter. C’est sans doute ce que devront faire, eux aussi, les autres instituts qui ne sont pas concernés, a priori, par le décret : venir docilement, l’échine pliée, demander au pape une pareille concession.
On a tout de même un peu l’impression qu’à Rome aussi on pratique avec brio un certain « en même temps » autoritaire et bienveillant dont certains peinent à saisir la cohérence. C’est pourtant clair, et très clérical finalement, il s’agit de bien faire comprendre qu’en matière liturgique les temps ont changé, qu’on a repris la main par un contrôle strict du rite ancien, désormais fortement restreint et contenu dans des “réserves” aux bornes bien fixées avant d’être rangé dans le catalogue des souvenirs pieux.
C’est évidemment l’avenir du rite ancien qui est concerné mais aussi, et de façon plus dramatique, celui des communautés qui en font usage, communautés ayant toutes des membres jeunes. Ces communautés appartiennent aujourd’hui à un régime d’exception, un régime de tolérance. Par sa nature, ce régime est précaire et peut évoluer à tout moment, soit par la volonté du Saint-Siège – congrégations ou pape directement – soit par le zèle des évêques qui retrouvent en partie – on voudrait bien que ce soit pour le meilleur, mais hélas souvent pour le pire – leur autorité en la matière. Et comme, depuis le début de ce pontificat, en cette chose comme en d’autres, il n’est pas rare d’avoir des évêques plus papistes que le pape, à commencer par le cardinal Roche, cela n’augure rien de bon.
Traditionis Custodes a moins rallumé la guerre liturgique que créé une tension perpétuelle, une dialectique idéologique, entre l’Église des “purs”, celle d’une lex orandi qui se veut unique et uniforme, et les cercles d’aficionados du rite ancien. L’idée fixe épiscopale de la concélébration est la cristallisation de cette tension. On veut non seulement une adhésion théorique à la légitimité de la concélébration – ce qui ne pose aucune difficulté pour personne – mais on exige, théologie brandie à l’appui, qu’on la mette en pratique. Ce n’est pas sans faire penser, mutadis mutandis, aux débats du primo-jansénisme et à l’acharnement à faire signer aux religieuses de Port-Royal le formulaire des cinq propositions. Nihil novi sub sole. n