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« En même temps » : le bilan d’une politique extérieure syncrétique

Peut-on avoir une politique internationale française dans le cadre d’un mondialisme libéral ? Qu’il s’agisse des États-Unis, de l’Allemagne, de l’Union européenne, de la question arabe ou du continent africain, Macron a beaucoup parlé. A-t-il été entendu ? et qu’a-t-il fait ?

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« En même temps » : le bilan d’une politique extérieure syncrétique

La politique extérieure de l’actuel quinquennat n’est pas facile à résumer. Je pense que le plus utile est encore de la comprendre comme une tentative de synthétiser un certain nombre de courants préexistants, qui avaient souvent d’ailleurs chacun leur logique, et certaines orientations nouvelles. Peut-être espère-t-on ainsi faire enfin aboutir des politiques qui, essayées séparément de façon successive depuis 1945, ont pratiquement toutes échouées ? En les confortant les unes par les autres et en les modernisant ? Le problème est que ces politiques sont souvent contradictoires entre elles et que leur logique interne disparaît dans leur mélange, ou qu’en tout cas nos partenaires n’ont aucune envie de nous laisser les synthétiser à notre profit.

La ligne générale initiale : un mondialisme libéral

Incontestablement, en 2017, l’ordre du jour consistait à adapter le plus vite possible la France à la mondialisation libérale (dans le sens des sommets de Davos). Mais les incertitudes de celle-ci, liées à nos déséquilibres économiques et commerciaux bien connus (désindustrialisation, déficit croissant de la balance commerciale) mais aussi à la multiplication des points de tension dans le monde et, à partir de 2020, à la crise sanitaire, ont remis en cause ce programme. Il devient très difficile de voyager hors des frontières (et pour les étrangers de venir en France) ; les expatriés, tant encouragés et félicités depuis le début des années 2000, rencontrent les pires difficultés ; tous les assouplissements et facilités que l’on attendait de la libération des échanges et transferts de toute nature ne sont plus à l’ordre du jour. Cela nous ramène parfois à la situation du début des années 1950.

Il reste l’objectif climatique, mais il est en fait fort peu libéral et en l’état inatteignable, sauf à provoquer une réduction de niveau de vie que les Français n’accepteront pas. L’expérience des Gilets jaunes de 2018 devraient rendre nos responsables très prudents. (Rappelons que dans l’ensemble du monde occidental les émissions de gaz à effet de serre ont baissé depuis les années 1990 de 30 à 40 %, par le seul effet du marché et de l’augmentation tendancielle du prix des énergies fossiles, sans contrainte étatique).

Heureusement, il reste toujours et « en même temps » le gaullo-mitterrandisme.

Mais en fait très vite on a rejoint le grand courant de la Ve République. Je n’ai jamais trop aimé l’expression de gaullo-mitterrandisme, mais enfin elle résume bien une « doxa » et une représentation du rôle international de la France devenue quasiment un réflexe national. Outre la gestion même des affaires politico-stratégiques, plus présidentielle que jamais, on relèvera la place de l’arme nucléaire dans notre dispositif militaire mais aussi dans notre discours. On rappellera notre politique africaine, même si elle veut poursuivre le processus de dépassement de la « Françafrique » annoncé par François Mitterrand au début des années 1990. On soulignera notre volonté réaffirmée de maintenir un dialogue spécifique avec la Russie et la Chine.

Et on aura garde d’oublier la « politique arabe de la France » lancée par le général de Gaulle, reprise par Jacques Chirac, qui se développe désormais du Maroc à la Péninsule arabique en passant par l’Égypte. Mais là aussi il y a un « en même temps » emboîté dans l’« en même temps » précédent : à la différence de ses prédécesseurs, en tout cas avant François Hollande, Israël est pleinement associée, dans ce qui est désormais une politique moyen-orientale et plus seulement « arabe ». (La justification de ce changement est qu’il faut accompagner le rapprochement en cours entre Israël et les Pays du Golfe, mais j’y reviendrai).

Autre exemple : les États-Unis. D’une façon que n’auraient pas désavouée la plupart de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron a tenu tête au président Trump et a constamment réaffirmé le « multilatéralisme » face à l’unilatéralisme pratiqué par son administration. La limite, c’est que la politique de Joe Biden n’est pas au fond si différente…

Autre exemple encore : l’Europe. Emmanuel Macron se réclame de Jean Monnet et de Robert Schuman, et assume leurs tendances fédéralistes. Mais « en même temps » il a repris sans le dire le concept exprimé par le Général en privé dès 1960 : utiliser l’Europe comme un « levier d’Archimède » pour multiplier l’influence française dans le monde. Son discours à la Sorbonne en 2017, et tant de déclarations depuis, se comprennent très bien dans ce sens. 

Et d’autre part il n’a rien fait pour limiter les conséquences pour la France du Brexit : il est clair que pour lui, comme pour de Gaulle mais à la différence de Georges Pompidou ou de Chirac, la Grande-Bretagne n’a pas vraiment sa place dans l’Europe organisée. Là aussi, il rejoint bien des réflexes nationaux…

Mais le « en même temps » trouve ses limites.

La politique africaine, que François Hollande avait relancée en 2013 en intervenant au Mali contre l’ « islamisme radical », désormais se cherche. Paris est aujourd’hui mal vu par Bamako, l’appel à l’Union européenne pour aider nos forces engagées sur le terrain n’a pas donné de grands résultats, la concurrence de la Chine et désormais de la Russie se fait plus vive, l’optimisme qui marquait le début du quinquennat sur les potentialités et la rapidité du décollage de l’économie africaine s’est révélé excessif. 

Quant à la politique au Moyen Orient, elle parie sur la stabilité des monarchies du Golfe. Or celle-ci est loin d’être assurée, et d’autre part Israël ne cherche pas à accompagner son rapprochement avec le monde musulman sunnite par une politique palestinienne plus raisonnable : en fait la colonisation continue, les tensions avec l’Iran et ses alliés ne faiblissent pas. À court terme, cela permet certainement une détente, et nous signons des contrats et vendons des armes, et nous accueillons des investisseurs. Mais c’est fragile…

L’affaire AUKUS (le contrat de sous-marins résilié par l’Australie) a mis à mal le volet atlantiste du « en même temps », tandis que les Britanniques réaffirmaient leur relation privilégiée avec Washington, alors que depuis le sommet de Saint-Malo en 1998 ils avaient engagé un rapprochement stratégique profond avec la France et l’Union européenne.

Le programme du nouveau gouvernement allemand, en revanche, a suscité l’optimisme du gouvernement français, car il paraît faire écho au programme européen proclamé par le président Macron dès 2017, pilier essentiel de sa politique extérieure. Mais en fait on n’est pas d’accord sur le plan stratégique : tout indique que Berlin ne va pas se montrer plus disposé à suivre Paris que sous Mme Merkel. Quant au nucléaire, que Paris, depuis les années 1960, a parfois tenté de faire valoir auprès des Allemands comme une contribution à la sécurité commune, il n’est concevable pour la nouvelle coalition que dans le cadre de l’OTAN, et à titre provisoire, dans une perspective de désarmement. L’Allemagne va d’ailleurs rejoindre le traité d’interdiction des armes nucléaires à titre d’observateur, ce qui laisse présager bien des problèmes…

Et si Berlin est davantage disposé à assouplir les règles budgétaires de l’Union, ce qui rejoint nos préoccupations financières, les contreparties à accepter sont claires : la généralisation du vote à la majorité, et la judiciarisation croissante de l’Union. Certes, nous critiquons la Hongrie et la Pologne quand elles se rebiffent contre la Cour européenne de Luxembourg, mais nous trouverons celle-ci sur notre chemin à propos de bien des projets agités pendant cette campagne électorale, concernant par exemple l’immigration, s’ils doivent être réalisés un jour…

Le seul domaine où Paris et Berlin me paraissent actuellement pouvoir collaborer, à partir d’inquiétudes partagées, c’est pour freiner la double tendance d’une politique extérieure américaine en crise, qui à la fois parle de l’Europe avec les Russes par-dessus la tête des Européens (on le voit dans la crise ukrainienne) et qui contribue, par sa rhétorique impuissante, à renforcer toujours davantage l’axe Moscou-Pékin. Ce serait le seul « en même temps » raisonnable, entre le rapprochement franco-allemand initié au début des années 1960 et notre souci constant de prudence envers la Chine et la Russie…

 

Illustration : Emmanuel Macron, le 19 janvier, montrant toute sa détermination à l’encontre de Poutine.

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