Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Il ne semble pas particulièrement éclairant de convoquer la psychiatrie pour expliquer la dernière sortie d’Emmanuel Macron au sujet des non-vaccinés qu’il aurait « très envie d’emmerder ».
Pourquoi dire de quelqu’un qu’il est un psychopathe ou un pervers manipulateur, ou n’importe quelle autre des catégories psychologiques aujourd’hui si à la mode, alors que nous avons à notre disposition le riche vocabulaire de la moralité, articulé autour de la distinction entre le vice et la vertu et appuyé sur des millénaires d’expérience et de réflexion ? Le vocabulaire psychiatrisant non seulement n’apporte rien à notre compréhension, mais au contraire il nous éloigne de la réalité en insinuant l’idée qu’avoir des défauts de caractère serait une sorte de pathologie, un état indépendant, donc, de notre volonté, alors que notre caractère est en partie le résultat de nos choix et de nos actions.
Non, Emmanuel Macron n’est pas un psychopathe ou un sociopathe ou que sais-je encore, c’est juste un homme à l’égoïsme et à l’orgueil particulièrement concentrés ainsi qu’à l’ambition démesurée, un homme qui recherche l’admiration universelle parce qu’il croit la mériter et qui, par conséquent, cherchera à vous séduire ou bien à vous écraser s’il ne peut pas vous séduire. C’est en outre quelqu’un qui prend plaisir à humilier ses adversaires, ou ceux qu’il considère comme tels, c’est-à-dire tous ceux qui lui résistent. Bref, c’est un très sale type doté hélas d’un certain nombre de talents, c’est la méchanceté fortement armée et cuirassée, autant dire un homme à éviter autant que possible, donc.
Quelqu’un qui est capable de déclarer, comme il l’a fait dans cet interview : « Nous mettons une pression sur les non-vaccinés en limitant pour eux, autant que possible, l’accès aux activités de la vie sociale. D’ailleurs, la quasi-totalité des gens, plus de 90 %, y ont adhéré », est soit un idiot incapable de comprendre que « l’adhésion » dont il se prévaut est strictement contradictoire avec la « pression » qu’il se flatte d’exercer, soit un tempérament suffisamment tyrannique et imbu de lui-même pour arriver à confondre la crainte avec l’admiration. Macron se prévalant de l’adhésion de 90 % des Français à ses « mesures sanitaires », c’est Néron tirant gloire de se voir décerner des premiers prix de poésie par des jurys tremblants de déplaire à l’empereur tout-puissant.
Car, et c’est le second point, il ne me semble pas que cette sortie soit un calcul électoral, ou en tout cas pas un pur calcul électoral. Sur le fond, il semble clair, en effet, que Macron a pour objectif cynique de « nourrir symboliquement et politiquement son électorat le plus arrimé » par la manière dont il gère la pandémie et de « se maintenir au pouvoir en jouant et se jouant des fractures françaises », comme le dit Arnaud Benedetti. Mais, sur la forme, je suis assez convaincu que les termes qu’il a employés n’étaient pas prémédités et qu’aujourd’hui il les regrette quelque peu, sentant qu’ils pourraient lui porter préjudice.
Nous avons vu cette scène jouée trop souvent depuis bientôt cinq ans.
Macron, c’est l’homme qui passe son temps à s’excuser d’avoir été brutal et qui ne peut pas s’empêcher, immédiatement ou peu de temps après, de faire un croche-pied à celui à qui il a présenté des excuses. C’est le mari violent qui susurre des mots d’amour entre trois gifles et deux coups de pied dans le ventre.
Il y a trois ans, par exemple, il promettait qu’il ferait désormais « très attention aux petites phrases » qui ont nourri « un procès en humiliation », avant de déplorer quelques minutes plus tard que « Jojo avec un gilet jaune » puisse avoir autant droit à la parole qu’un ministre ou un député.
Il y a à peine un mois il déclarait à la télévision, avec des mines contrites de premier communiant : « J’ai appris une chose, on ne fait rien bouger si on n‘est pas pétri d’un respect infini pour chacun. Dans certains de mes propos, j’ai blessé des gens. C’est ça que je ne referai plus […] J’ai acquis beaucoup plus de respect pour chacun. »
Aujourd’hui il affirme qu’il va « emmerder les non-vaccinés jusqu’au bout » parce qu’il en a « très envie », parce que ce sont des « irresponsables » qui n’ont pas de place dans sa République à lui.
La première déclaration était le fruit d’un calcul et avait sûrement été soigneusement répétée (et Dieu seul sait combien elle a dû lui coûter…), la seconde déclaration est une expression de son caractère.
Mais notre caractère, dépendant en partie de nos choix et de nos actions, dépend donc aussi en partie de nos opinions et, en l’occurrence, ce énième « dérapage » présidentiel met en lumière certaines opinions politiques fondamentales d’Emmanuel Macron.
Notre président, il l’a assez prouvé, croit qu’une communauté politique peut reposer entièrement sur certaines « valeurs », que l’on devient Français simplement en professant certaines opinions concernant par exemple l’égalité entre les sexes, la laïcité, etc. Cette conception peut paraître très « ouverte » et « généreuse » puisque la France ainsi conçue ne repose ni sur une histoire partagée ni sur des ancêtres communs et qu’elle offre donc à tous les hommes l’espoir de devenir Français un jour s’ils le souhaitent. Mais elle a aussi pour conséquence logique que ceux qui renient ces valeurs censées être fondamentales cessent d’être Français. Et comme lesdites valeurs sont très générales et ont besoin d’être constamment précisées et spécifiées pour servir de guide à l’action, la tentation est très grande d’identifier lesdites valeurs avec les opinions politiques particulières qui ont votre faveur. Dans le cas d’un tempérament despotique comme Emmanuel Macron, cette tentation devient irrésistible. La « communauté de valeurs » chère au président Macron a donc pour vérité effective qu’être en désaccord avec les autorités publiques vous rend indigne d’être membre de la communauté politique.
Et de fait, c’est à peu près ce qu’Emmanuel Macron a déclaré en aussi peu de mots à propos des opposants à sa « politique sanitaire ». Ceux-ci, a-t-il dit, sont des « irresponsables » et « un irresponsable n’est plus un citoyen ». Autant dire qu’ils sont devenus des étrangers dans leur propre pays et qu’il est désormais loisible de leur ôter un à un tous les droits qui sont garantis par la loi au « citoyen ». Ces « irresponsables » moralement déchus de leur citoyenneté peuvent même s’attendre à être plus mal traités que de véritables étrangers, car, dans l’univers mental du progressisme macronien, l’étranger bénéficie d’un préjugé favorable et, par ailleurs, il y a bien longtemps que les pouvoirs publics ont cessé d’attendre que l’étranger observe les lois françaises, si ce n’est dans le sens le plus minimal.
Nous pourrions peut-être être tentés de nous rassurer en nous disant que cette déchéance de citoyenneté prononcée du haut de l’Olympe présidentielle ne concerne qu’une frange marginale « d’antivax » endurcis – quelques millions de Français tout de même – mais ce serait méconnaître le fait que la catégorie des « antivax » recouvre en fait tous ceux qui, à un moment ou l’autre, se retrouveront insuffisamment vaccinés au gré du gouvernement.
Si, par exemple, vous avez dûment fait vos deux doses mais que, à la troisième, vous trouvez que la plaisanterie a assez duré et qu’il serait temps d’envisager la possibilité que nous ayons mal posé le problème dès le début, vous rejoindrez le camp des « antivax » hérétiques. Et de même à la quatrième dose, à la cinquième, et ainsi de suite. Puis, de proche en proche et exactement avec les mêmes arguments, tous ceux qui, à un moment ou l’autre, en viendront à contester le bien-fondé des contraintes imposées par les pouvoirs publics au nom de la « lutte contre l’épidémie » se verront appliquer la même étiquette fatale. Il suffira de dire que votre liberté « vient menacer celle des autres » – formule suffisamment large pour être toujours vraie en un certain sens –, que par conséquent vous êtes un « irresponsable », et vous connaissez la suite.
Le progressisme technocratique dont notre président est la parfaite incarnation transforme les désaccords politiques en autant d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation. Cela a toujours été latent mais, avec l’épidémie de Covid-19, le masque est définitivement tombé…
Et gardez bien présent à l’esprit que la même personne qui condamne les « irresponsables » aux ténèbres extérieures de la non-citoyenneté est celle qui déclare juste avant : « Moi, ma responsabilité, c’est que le pays ne se désunisse pas dans ces débats-là. » Il n’y a là nulle contradiction, et pas même du cynisme, juste une redéfinition du mot « pays » cohérente avec la nouvelle « citoyenneté » : le pays est l’ensemble de ceux qui « adhèrent » aux décisions des pouvoirs publics – au sens où « plus de 90 % des gens adhèrent à mes décisions », comme il a été dit plus haut.
Certains d’entre nous ont cru pendant longtemps que la guerre civile, si elle devait venir, viendrait des conséquences de l’immigration. Mais la politique est par nature à la fois intelligible et imprévisible, et nous devons maintenant envisager l’hypothèse que des fractures irréversibles pourraient aussi résulter de l’irrationalité de notre réaction à une épidémie somme toute banale.
Si cela devait advenir, le premier responsable serait assurément Emmanuel Macron, responsable au sens vrai du mot et non au sens controuvé qu’il cherche à lui donner. Nous savons maintenant ce que valent ses appels à « rester unis, bienveillants et solidaires » ou à « prendre soin les uns des autres », si jamais nous avions eu quelques doutes à ce sujet. Mais, pour bien mesurer toute la profondeur de sa responsabilité, et de son indignité, il n’est sans doute pas inutile de conclure en citant les propos que prononça, il y a longtemps déjà, Abraham Lincoln, à un moment où la nation aux destinées de laquelle il devait présider était, précisément, sur le point de se déchirer horriblement – la comparaison est aussi éclairante que cruelle : « Je répugne à conclure. Nous ne sommes pas des ennemis, mais des amis. Nous ne devons pas être ennemis. Quelle qu’ait été la force avec laquelle la passion les a mis à l’épreuve, elle ne doit pas briser les liens d’affection qui nous unissent. Les accords mystiques du souvenir, qui s’élèvent de chaque champ de bataille et de chaque tombe de patriote vers chaque cœur et chaque foyer, partout dans ce vaste pays, se joindront encore au chœur de l’Union quand ils seront de nouveau touchés – comme ils le seront à coup sûr – par les meilleurs anges de notre nature. »