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L’escalade en catimini

D’intrigues en trahisons, de mensonges en duplicités – le cheminement dans la pénombre d’Emmanuel Macron et de son club d’idolâtres vers les marches de l’Élysée, à la conquête d’un pouvoir chancelant, fut bref, mais sans gloire, et le triomphe demeure couvert de taches.

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L’escalade en catimini

Laisser un nom dans l’histoire est une chose ; y laisser une trace en est une autre, et ce privilège n’est pas accordé à tous ceux qui le sollicitent. On peut prétendre à un grand poste, on ne peut exiger d’être un grand homme. Emmanuel Macron fait partie de ceux à qui un tel demi-destin a été imparti. Il est monté vers ce qu’il prenait pour la gloire sur la pointe des pieds, par des escaliers de service faiblement éclairés, après avoir pris soin d’huiler en cachette les portes des arrière-cours.

Le traître et le néant, le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, décrit les préliminaires de cette effraction. À vrai dire, c’est là un ouvrage ennuyeux, tellement chaque page est la répétition de celles qui l’ont précédée – mais n’accusons pas les auteurs de cet ennui : c’est le personnage principal qui en porte la responsabilité, et c’est la construction à la fois fiévreuse et discrète d’une grande bâtisse d’air, avec des gestes répétitifs, dépourvus d’intérêt.

Le sort pour cinq ans de la France – et peut-être dix – a été ourdi au cours de rencontres clandestines et par des messages chiffrés, à la manière de ces conspirations dont la-presse-qui-dit-le-vrai réfute l’existence. Seules les fausses barbes faisaient défaut, et les gabardines un peu râpées. Le nom du soi-disant parti qui fait ce qu’il veut de la France a été choisi, puis soumis à l’approbation de Mme Macron, dans une cuisine, comme dans les vieux films soviétiques montrant l’ascension de Lénine. Il est vrai qu’on ne s’abreuvait pas au robinet tarabiscoté de quelque samovar, mais à la bouteille de bon whisky, et que, pour faire jeune, on parlait comme dans les faubourgs et on jurait comme des charretiers.

Dans les cabinets ministériels et les couloirs des états-majors des traîtres enrôlaient des traîtres, les initiaient. Et le mauvais acteur Emmanuel Macron jouait avec grand succès devant ce mauvais public sa pièce à l’action floue. « Autre chose », mais sans bien savoir quelle chose, était leur mot d’ordre. La France importait peu ; il fallait juste que la fausse vedette arrive à encaisser son cachet. Les spectateurs étaient assurés d’obtenir des parts de la manne. Il y avait dans la salle où se donnait le spectacle un affligeant grouillement d’ambitions. Pour paraphraser le terme juridique, on peut appeler cela « carriérisme en bande organisée ». Mais, dans ce domaine, les hommes de Macron n’ont pas l’exclusivité.

Fait remarquable : alors que l’imposteur agit habituellement seul, dans le secret honteux de son forfait, nous assistons ici à la mise en place – et, en fin de compte, au triomphe – d’une imposture en groupe, où chacun attribue à l’autre des capacités et des mérites qu’il n’a pas. Une duperie qui a fonctionné parfaitement, peut-être, justement, parce qu’elle était le fait d’une équipe.

« Le chef », comme ils l’appelaient déjà, avec une déférence grotesque, alors que le complot n’était encore qu’à ses balbutiements, a persuadé ses acolytes, puis une partie des Français, qu’il avait trouvé enfin la formule qui lui permettrait de transformer le plomb en or. Ils étaient en pâmoison. Le temps allait montrer qu’il n’est nullement alchimiste, mais seulement prestidigitateur – et pas des meilleurs. La traîtrise mène parfois à la déception, mais le décorum des palais estompe son goût désagréable.

Le sacre ne changeant pas l’homme, l’Emmanuel Macron d’avant son élection, celui qui se déchiffre dans les pages du livre – maladivement ambitieux, manipulateur, déloyal, prêt à marcher sur les cadavres de ceux qui l’ont fait monter, n’obéissant qu’à sa volonté de parvenir – est le même que le président Emmanuel Macron de cette France qu’il laisse ou fait glisser sur la pente de la déchéance. Du machiavélisme d’opérette par l’exercice duquel il s’est hissé au pouvoir, il ne reste plus que l’opérette que jouent interminablement ses compères à tous les niveaux de l’État.

N’eussent été la petitesse de ses machinations et l’insignifiance de ses partisans, comme de la plupart de ses adversaires, Balzac aurait fait un magnifique roman de l’aventure d’Emmanuel Macron, de son avance rampée vers la porte du Château. Il est vrai, cependant, que, de nos jours, même les trahisons sont pitoyables.

Faute de pouvoir convoquer Balzac et son admirable don d’ôter de leurs ténèbres dérisoires les caractères les plus douteux, contentons-nous du travail de Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Le premier mérite de leur livre – et le plus affligeant – est de nous montrer à quel point les génies qui nous gouvernent sont médiocres.

 

 Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Le traître et le néant. Fayard, 2021, 638 p., 24,50 €.

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