Si les catholiques sont très présents dans l’accomplissement des œuvres de miséricorde (le bénévolat, l’accompagnement des malades, les actions de charité, l’enseignement), et il convient de s’en féliciter, ils sont cependant plus réticents à investir avec le même enthousiasme le champ politique.
Or le magistère de l’Église catholique propose à foison des textes qui analysent, détaillent, justifient la vocation spécifique des laïcs dans le monde. Ce qui constitue ce qu’on appelle la Doctrine Sociale de l’Église, à savoir l’ensemble des textes et réflexions produites en vue d’incarner l’Évangile dans les réalités politiques, sociales et économiques dont l’acte fondateur est l’encyclique Rerum Novarum signée par Léon XIII en 1891, est le socle sur lequel s’appuyer pour connaître les grandes orientations en la matière ; libre à chacun de les mettre en œuvre selon sa sensibilité ou ses priorités sur le terrain.
Les catholiques formés connaissent bien la Doctrine Sociale de l’Église. Ils l’incarnent plus aisément dans les œuvres de charité et le social car ils s’y sentent légitimes. En revanche, en qualité de citoyen, la peur de se salir les mains, les compromissions nécessaires et la logique des partis sont probablement les principales raisons qui créent un frein pour briguer des mandats sur le terrain.
Or, comme le rappelle Clotilde Brossollet dans son ouvrage qui est un magnifique plaidoyer en faveur de l’engagement politique, « La politique est l’art de gouverner la cité, elle s’incarne ainsi dans des discours, des pratiques et une action rationnelle qui vise l’organisation de la société. […] La doctrine chrétienne confère une ambition bien plus grande à la politique car, pour elle, la politique n’est pas une nécessité dictée uniquement par la vie sociale, elle découle de la nature même de l’homme. La politique doit être ordonnée au plus grand des biens, c’est-à-dire le bien commun, dont l’essence est non seulement temporelle mais aussi spirituelle. Si le bien commun doit profiter à tous, il doit aussi favoriser l’accession des âmes à la béatitude céleste. La responsabilité politique est donc immense car elle doit prendre sa part dans l’économie du Salut. […] Les catholiques sont, dans l’espace public, des citoyens comme les autres auxquels incombent les mêmes droits et devoirs […] mais notre foi fait de nous des citoyens à la double appartenance. »
Les questions sociales ou économiques, les périphéries, les territoires perdus, les Gilets jaunes sont les grands oubliés des sujets portés par l’Église aujourd’hui, pourtant très présente dans des domaines comme celui de l’écologie ou des migrants. Désertées par les catholiques, ces questions politiques sont pourtant par excellence des lieux d’évangélisation et de réalisations concrètes d’actions en faveur du respect et de la dignité de la personne et du travail, de la recherche de bien commun ou de solidarité. La lecture du livre de Clotilde Brossollet n’en est que plus urgente.
Dans la foulée des chapitres consacrés à rappeler l’importance et l’essence même de la politique au sein de la Cité, Clotilde Brossollet propose des pistes concrètes d’action, ce qui rend l’ouvrage passionnant et incarné. Il serait en effet téméraire de se lancer dans l’arène sans y être un minimum préparé. À une époque où catholiques et politique n’ont pas vraiment le vent en poupe, il est important de se rappeler la distinction que faisait Jacques Maritain entre s’engager en tant que catholique et s’engager en catholique. Autrement dit, au sein de la cité, le catholique est d’abord un citoyen et sa pensée, son action, sa vision de la société, si elle est certes ou probablement irriguée de sa foi ou de la doctrine sociale de l’église, doit agir en citoyen, certes catholique, mais en citoyen au service du bien commun.
Alors qu’en tant que catholique, le citoyen qui adopte cette posture laisse entendre qu’il représenterait une communauté, voire même l’institution de l’Église, ce qui outre le fait de le discréditer de fait aux yeux de tous ceux qui ne partagent pas cette foi, alimente en sus, au sein des catholiques mêmes, des discordes infinies sur la catholicité des sujets politiques abordés par tel ou tel de sensibilité politique différente.
Clotilde Brossollet est cependant réaliste. Dans le contexte actuel, l’engagement politique ne peut être efficace qu’à l’échelle locale, où la logique des partis et des étiquettes politiques est moins prégnante, voire inexistante. L’opposition systématique également ne peut être féconde, d’où l’idée de penser à des sociétés dissidentes qui peuvent prendre forme plus aisément sur des territoires restreints dans l’intérêt de tous.
Voir, discerner, agir : s’engager demande un long travail de préparation. Citoyens catholiques qui en avaient les épaules et le talent, ne perdez pas de temps.
Clotilde Brossollet, Catholiques de tous les partis, engagez-vous ! Mame, 2021, 153 p., 14,90 €.