Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Aux marches d’un domaine, dans une atmosphère poisseuse de marais, de gnôle et de nostalgie, une tragédie spectrale se déroule. La guerre n’a pas eu lieu, elle est perdue quand même. De jeunes soldats tombés au combat comme des fils innocents hantent leur capitaine. Une forêt brûle : c’est là qu’était l’enfance. Peut-être « les fées têtues » dont parle le narrateur brûlent elles aussi. Enfance de la France, d’une certaine Europe, enfance du capitaine, tout se confond dans la pénombre qui s’abat.
Des vers de Racine, une ritournelle d’antan, des versets des Écritures entrecoupent comme des sanglots la lettre élégiaque et amère du capitaine à l’Intendant du Domaine.
Cela se passe en 1400. En 390. En 2020. En 1870. En 1916. Dans une contrée qui évoque les marches de Lorraine.
La lettre du capitaine est tissée de souvenirs qui sont autant les siens que ceux de notre civilisation – qui sont notre chair, nos songes et notre sang. Sa Laure, disparue et lancinante, murmure une chanson d’amour, gracieuse et désespérée. Il invoque Pétrarque. On pense à la Lorelei de Heine promenant sa tristesse, « conte venu des temps anciens », sur les rives du Rhin.
Est-ce que la forêt brûle comme certains hommes, croisés dans ce court texte, brillent avec désinvolture dans les ténèbres avant d’être happés ? Est-ce qu’elle brûle comme un phénix, comme les cyprès de Toscane qu’Apollinaire appelait des flambeaux, et que le narrateur place au limes de sa lettre, comme les veilleurs d’une nouvelle Renaissance ?
Ce bref écrit, qui tient des méditatifs Tombeaux baroques et de la Pavane, est entêtant comme la chanson d’amour dont se souvient le capitaine : comme une chanson d’amour à un pays blessé. On ne sait plus si les brumes l’estompent, ou si c’est notre fièvre, et s’il nous survivra.