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Le flop des héros

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Le flop des héros

Bien que montrés en exemple aux foules et, à présent, aux étudiants des écoles de journalisme, il faut en rappeler l’évidence : Ghesquière et Taponier n’ont pas été des héros. Tout au plus quelques chasseurs de scoop plus militants que journalistes ; en tous cas certes pas des reporters au sens le plus noble où pouvaient l’entendre un Lucien Bodard, un Jean Lartéguy ou un Henry Béraud dont tout raconteur d’événement devrait avoir lu, pour commencer, l’exquis Flâneur salarié que l’on ne voit guère figurer – est-ce étonnant ? – dans la bibliothèque des écoles de journalisme.

Non, ce n’est pas étonnant. Si l’honneur est la vertu la plus obsolète de notre temps médiatique, alors il était normal que ces deux agitateurs inconscients ou manipulés fussent faits, à leur corps prisonnier défendant, emblèmes du droit à l’information, et ce, par voie de grand tapage corporatiste, au détriment même de la mission qu’à tort ou à raison deux chefs de l’État successifs ont fixée à notre armée en Afghanistan. Sans honneur, ces nouvelles idoles cathodiques l’ont montré par leur attitude irresponsable. Sans conscience, ils s’en sont vantés en des propos scandaleux au moment de leur libération.

Contrairement à Camus, ces deux-là, entre leur mère et la justice, avaient donc choisi la justice, leur justice. Car qu’est-ce que la justice quand cela commence par vouloir donner la même parole à la barbarie qu’à la civilisation ? En d’autres termes, peut-on être reporter de guerre et Français ? Ghesquière et Taponier ont répondu par la négative : bon fils de la révolution internationaliste, ils se sont considéré, en tant que commissaires de l’Information, au-dessus des États et dotés d’une supranationalité professionnellement étrangère à la mère patrie.

C’est une option idéologique. Les soldats qui œuvrent sur le terrain par obéissance à leur devoir d’état ont pu en être choqués, blessés, meurtris : eux, le payent de leur vie sans qu’aucun média n’en fasse jamais des héros. Le sang versé n’est pas un critère d’humanité pour les bateleurs de journaux télévisés, chacun a pu le constater depuis le début d’un conflit qui nous a déjà coûté 87 hommes. D’autant qu’au baromètre de l’opinion, la perte de deux journalistes eût été ressentie plus tragiquement que la mort de près de cent soldats. C’est comme ça. Aucun homme politique ne pouvait l’ignorer, surtout pas un chef de l’État dépendant, à échéances trop brèves au vrai, d’une élection présidentielle.

Du coup, la situation fut la suivante : nous eûmes d’un côté une armée qui servait humblement la politique nationale, et de l’autre des individus qui se servaient d’une guerre pour se faire un nom. Et quand la posture des seconds se trouva relayée par une oligarchie médiatique qui chargeait sous l’étendard d’une liberté dévoyée de la presse, le fossé se creusa inexorablement, et chaque jour mieux mis en scène, entre le choix de la mère et celui de la justice.

L’affaire vaut aujourd’hui leçon : le silence obéissant du serviteur et la parole amplifiée de l’informateur sont-elles encore conciliables ? Si l’un et l’autre étaient l’expression de la même France, la question trouverait sa réponse, en toute justice et tout à la fois, dans le respect du sacrifice et dans l’honneur d’une information libérée des idéologies. Cela paraît de bon sens, mais il aurait fallu que nous l’entendions dire, que le politique nous en rappela le principe. C’est ce que nous n’avons lu nulle part.

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